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Reportage 

Une journée avec… un médecin d’unité médico-judiciaire

Le droit est partout, y compris à l’hôpital. Dans les unités de soins médico-judiciaires, les médecins interviennent jour et nuit à la demande de la police ou de la justice pour réaliser des actes médicaux établissant des constats de coups et blessures, de mauvais traitements, d’agressions sexuelles ou pour agir auprès de personnes gardées à vue. Autant d’interventions réglementées que notre rédactrice a pu découvrir en suivant le médecin chef de service Patrick Chariot à l’hôpital Jean-Verdier de Bondy, en Seine-Saint-Denis (93).

par Anaïs Coignacle 27 février 2013

La journée type

Patrick Chariot dispose d’une entière liberté pour organiser son planning au sein de l’unité médico-judiciaire de l’hôpital Jean-Verdier, selon les contraintes de chacune de ses activités de chef de service, d’universitaire, de médecin légiste, d’expert judiciaire. À l’hôpital, il est présent en moyenne de 9 h 30 à 19 h. Et chaque semaine, comme un point de repère, la garde du mercredi ponctue son agenda. Au programme : tournée dans quelques-uns des commissariats du secteur avec une voiture de police mobile, puis retour à l’hôpital à minuit, pour un examen sur place des gardés à vue et des patients arrivés en urgence. Les activités reprennent dès le lendemain matin avec à peine trois heures et demie de sommeil. Cette semaine-là comme à son habitude, le médecin a prévu de recevoir des victimes de violences sexuelles pour leur second rendez-vous en unité médico-judiciaire. La veille, il avait passé l’après-midi à recevoir des patients en consultation d’addictologie, une autre récurrence de son agenda. Mais la semaine avait aussi été marquée par une réunion à l’hôpital Hôtel-Dieu dans le cadre d’un projet inter-universitaire, par une demi-journée de travail au sein de la cellule d’experts du dossier « Mediator », par des cours à la faculté de médecine, la participation à un jury d’examen pour ses étudiants, des temps de réflexion sur ses travaux universitaires, etc. Un emploi du temps qui déborde souvent sur les soirées et le week-end, comme ce samedi pour les besoins d’une étude réalisée avec un interne.

Un lieu, une atmosphère
C’est une banale barre d’immeubles grise à la façade abîmée comme on en trouve partout dans Bondy. Ici, à côté du service des urgences, l’unité médico-judiciaire reçoit 24 h/24 adultes et mineurs victimes de violences sexuelles ou de mauvais traitements. Il faut pousser « sans frapper » la porte au milieu du hall pour arriver à l’accueil, un petit guichet à double entrée. Un employé y reçoit les victimes qu’il dirige vers la salle d’attente ou vers l’espace dédié aux enfants, au bout d’un couloir étroit. De l’autre côté du guichet, à 90°, une fenêtre carrée donne sur la salle d’attente des gardés à vue, livrés à l’hôpital menottes aux poignets par les services de police. Deux blocs bien distincts et sans vis-à-vis. « Avant, tout était du même côté donc tout le monde se croisait. Les murs étaient en feuille de papier et les consultations étaient sans rendez-vous donc beaucoup de personnes attendaient », se rappelle Patrick Chariot qui dirige l’unité. Un jeune médecin en blouse, stéthoscope autour du cou, vient chercher un couple en salle d’attente. Le brouhaha de l’hôpital ne parvient pas à briser l’atmosphère pesante du lieu. Chaque année, les 23 médecins de l’unité médico-judiciaire de Bondy réalisent 600 examens de victimes de violences sexuelles, majeures ou mineures, soit près de deux par jour. Et 11 000 victimes de violences autres que sexuelles sont examinées, sans compter les gardés à vue.

Quid de la médecine légale ?
Dans une unité médico-judiciaire (UMJ), le médecin est amené à réaliser différents types d’actes : des constations médico-légales comme la levée de corps, la délivrance d’un certificat de décès, d’un certificat de coups et blessures, d’agressions sexuelles ou de mauvais traitements ; mais il effectue aussi des prélèvements médico-légaux de sperme, de sang ou d’urine pour les besoins de l’enquête policière ou judiciaire (détection de stupéfiants, d’alcool, recherche d’ADN, etc.) et en vue d’apporter des soins au patient (dépistage du Sida, de maladies sexuellement transmissibles, d’une grossesse, etc.). Il est en mesure de déterminer un nombre de jours d’incapacité temporaire de travail (ITT). « Les UMJ, c’est le point de passage obligé de toute personne qui porte plainte pour une agression », résumait Ondine Millot, journaliste de Libération dans un article du 4 novembre 2012 dédié à une autre figure de la médecine légale, Caroline Rey-Salmon, spécialisée quant à elle en pédiatrie. À Bondy, l’accueil est prévu pour les mineurs comme pour les majeurs du département, du moment que l’examen est réalisé sur réquisition, c’est-à-dire à la demande des magistrats ou des officiers de police judiciaire.

La médecine à l’épreuve de la justice
Il arrive que des patients se présentent aux urgences spontanément, sans être préalablement passés par un commissariat. Si les faits de violence dénoncés viennent de se dérouler dans les dernières heures ou les derniers jours et que la personne est d’accord pour déposer plainte, le médecin pratiquera un examen médical avec l’accord du service de police qui enverra sa réquisition par fax « pour éviter les allers-retours ». Une procédure simplifiée adaptée à l’urgence de la situation et au fait que, dans les cas de violences sexuelles, seules 10 % des victimes portent plainte. Lorsque les faits remontent à plusieurs mois, en revanche, l’interlocuteur devra diriger la personne vers le service de police compétent. « Il peut y avoir une urgence psychologique au moment où quelqu’un a décidé de parler et, si nous sentons qu’il y a une grande détresse psychique, nous essaierons de faire un travail médical », nuance le Pr Chariot, bien qu’en théorie, une réquisition soit impérative.

D’ailleurs, l’unité de Bondy a déjà refusé de se soumettre à ce document officiel d’injonction de l’ordre judiciaire ou policier. Le médecin avait considéré que l’ordre n’était pas justifié, en l’occurrence pour des cas de demande d’examen gynécologique de mineurs, un moment qui peut s’avérer très délicat pour une adolescente qui n’a encore jamais consulté ce type de spécialiste. « C’est parfois un sujet de friction avec certains policiers ou magistrats qui considèrent que le médecin légiste est un simple auxiliaire de justice et qu’il n’a donc pas à donner son avis », explique Patrick Chariot, qui tempère : « dans une vision policière, cela peut se comprendre » mais « nous n’avons pas les mêmes préoccupations ». De fait, si l’officier de police judiciaire peut chercher à obtenir des éléments de preuve ou à éprouver la véracité des faits dénoncés par une victime, le médecin légiste reste, comme tout médecin, un thérapeute face à un patient. Par ailleurs, certaines victimes peuvent se sentir plus en confiance et parler davantage au médecin qu’aux policiers de...

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