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Reportage 

Viol conjugal : « C’était quand même mon mari »

Au cœur des violences conjugales, le viol reste l’un des derniers tabous de la sphère du couple. Souvent correctionnalisé, largement banalisé, y compris par les victimes, le viol conjugal constitue un crime avec la circonstance aggravante d’être commise sur conjoint. Comment les traiter au milieu d’un contentieux de masse ? Quelle juridiction privilégier ? Comment caractériser un viol au cours d’une vie conjugale ? Les 27 et 28 mars, à la cour criminelle départementale de Paris, avocats et magistrats ont tenté d’apporter quelques éléments de réponse.

par Anaïs Coignac, journalistele 16 mai 2023

Du tribunal correctionnel à la cour criminelle départementale

« Hello, ça va ? », lance Matthieu F. à son ex-femme en entrant dans la salle d’audience où il s’apprête à être jugé pour viol conjugal. L’homme, un développeur informatique installé à Athènes, comparaît libre devant la cour criminelle départementale de Paris, ce lundi 27 mars. Libre mais sous contrainte judiciaire. Libre et comme déconnecté de la gravité de la situation. Adélaïde P., employée de banque et résidente du XVIe arrondissement de Paris, est arrivée plus tôt. Elle s’est glissée derrière son avocate, avec sa sœur jumelle. Furieuse de cette entrée en matière, en larmes, elle part se calmer au fond de la salle. Avant leur divorce, avant la justice pénale, Adélaïde P. et Matthieu F., quarante-quatre ans chacun, formaient un couple de vingt ans. Ils s’étaient rencontrés à seize ans, puis mariés en 2005. Ensemble, ils ont quatre enfants. À l’issue de l’audience, Matthieu F. doit les retrouver pour quelques jours, s’il n’est pas incarcéré.

L’affaire commence le 17 avril 2019 avec la plainte d’Adélaïde P., quelque temps après la séparation définitive des époux. La veille, Matthieu F. a débarqué alcoolisé et menaçant sur son lieu de travail, après l’avoir harcelée par SMS. Aux policiers, auprès desquels elle vient rapporter la scène, la mère de famille va aussi dénoncer des relations sexuelles qu’il lui aurait imposées pendant leur vie de couple. L’été 2013 d’abord, lors de vacances entre amis dans la maison berrichonne de ses parents, Matthieu F. l’aurait réveillée au milieu de la nuit et contrainte, alors que les enfants et les couples dormaient dans des chambres voisines. Il aurait recommencé cinq ans plus tard, entre janvier et juin 2018, dans leur domicile de l’époque, à Marseille. Elle décrit un même mode opératoire : la nuit, alors qu’elle dort, et qu’il rentre alcoolisé et sous cocaïne dans la chambre, il la tire violemment par les pieds, la pénètre malgré ses refus, tout en s’allongeant sur elle pour l’empêcher de se débattre. Adélaïde P. relate un dernier viol, de jour cette fois, en septembre 2018, lors d’une dispute sur fond d’adultère. La relation se serait dégradée à partir de 2015. Elle aurait reçu des gifles et des coups de poing, y compris devant les enfants. Avisé de la plainte, le procureur de la République décide de disjoindre la procédure en deux volets. L’enquête pour viol est transmise à la police judiciaire. Placé en garde à vue le 18 avril 2019, l’accusé confirme une relation de couple chaotique. Il reconnaît les disputes, dénonce des violences réciproques, et nie la contrainte sexuelle. Testé positif au cannabis, il affirme, à propos de la nuit de 2013 : « Je l’ai peut-être baisée un peu violemment mais je ne l’ai pas forcée, nous étions ivres, nous n’avons pas fait l’amour tendrement. Le matin elle me l’a reproché, je me suis excusé, j’avais trop bu ». Il conteste avoir été violent en 2018 et mentionne des rapports sexuels consentis par la suite, parfois à l’initiative de sa femme. En confrontation, le mis en cause reconnaît insister « trop » parfois, rappelant qu’à cette période, après la perte de son emploi, il allait mal, buvait beaucoup et se droguait.

En août 2020, une ordonnance est prononcée concernant les viols. La juge d’instruction signe un non-lieu pour les faits de 2013, faute d’éléments objectifs suffisants « compte tenu de l’ancienneté des faits » et correctionnalise ceux de 2018, « compte tenu des circonstances dans lesquelles les faits ont été commis, de leur...

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