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Le mystérieux sort du réfugié syrien de la maison du barreau de Paris

Il existe au quatrième étage de la maison du barreau de Paris l’appartement du bâtonnier. Un salon, une cuisine, une petite chambre et une salle de bain qui donnent, d’un côté, sur la Seine et, de l’autre, sur la place Dauphine. Au centre, une terrasse arborée. Cet appartement n’a rien de mystérieux, il est rarement habité par le maître des lieux qui s’en sert, à l’occasion, pour recevoir des avocats ou des journalistes. Le Canard Enchaîné révélait, dans son édition du 6 janvier, que le nouveau bâtonnier parisien, Frédéric Sicard, en poste depuis le 1er janvier 2016, avait « expulsé » du studio un réfugié syrien, logé gratuitement par son prédécesseur, Pierre-Olivier Sur. Geste quelque peu inélégant pour un avocat… rapidement démenti par l’intéressé, le lendemain, dans Marianne.

Les affaires ordinales ont cela de réjouissant qu’elles sont souvent impossibles à démêler. Le dossier du « réfugié syrien » en fait partie. En septembre 2015, un jeune migrant de 28 ans, se présente à l’Ordre des avocats de Paris. Il est avocat en Syrie, n’a pas de papiers et aucune ressource. Il ne peut être inscrit au barreau en France car il n’existe pas d’équivalence, il faudra patienter. Le jeune homme va être pris en charge par le bâtonnier Sur, sa jeune sherpa, l’avocat François Sureau et sa collaboratrice. L’idée est de lui obtenir des papiers et le statut de réfugié politique. En attendant, il faut le loger. Plutôt que de se lancer dans une recherche d’appartement, l’équipe décide de l’installer gratuitement dans l’appartement de la maison du barreau, qui est vide. Il y sera nourri aussi. Une dizaine de personnes seulement est au courant. Début décembre 2015, le jeune homme obtient son titre de séjour. À cette période, c’est la fin du bâtonnat de Pierre-Olivier Sur. Il doit rendre les clés du royaume le 31 décembre et fait prévenir le réfugié qu’il ne peut rien garantir au-delà de cette date.

Dans le même temps, Frédéric Sicard fait entendre à son prédécesseur qu’il veut récupérer le studio pour s’y installer avec sa femme. Après tout, rien de plus normal. Il connaît donc l’existence de l’appartement – doit-on préciser que Frédéric Sicard a notamment été secrétaire de l’Ordre sous le bâtonnat de Christian Charrière-Bournazel ?- et celle du réfugié. Le 24 décembre, alors que Pierre-Olivier Sur est en vacances, on raconte qu’il est ordonné au maître d’hôtel de la maison du barreau de signifier au jeune avocat syrien de plier bagage. Ce qu’il fait. Pierre-Olivier Sur et sa garde rapprochée assurent ne pas avoir été avertis. Frédéric Sicard maintient qu’il n’en savait rien non plus : « Pierre-Olivier Sur m’a informé que le jeune réfugié avait décidé de partir. Je ne l’ai jamais rencontré et ne me suis occupé de rien. Les choses étaient au clair ». Des propos qu’il avait déjà tenus dans Marianne, le 7 janvier. « Ce n’est pas moi qui ai pris cette décision. Il y a peut-être eu un avocat logé ici mais je ne le connais pas, Pierre-Olivier Sur n’a jamais souhaité que je le rencontre et je ne connais même pas son prénom ! ». Il affirmait aussi au journal : « Je découvre ce logement seulement aujourd’hui [le 6 janvier, ndlr] et c’est Pierre-Olivier Sur qui s’est occupé du dossier. Le 15 ou le 16 décembre, il est venu me voir pour m’en parler et me dire : ‘Au fait, le problème de notre confrère syrien est réglé’. Je n’ai pas demandé à en savoir plus ». Enfin, au quotidien Ouest-France, le bâtonnier déclare que le jeune avocat « aurait obtenu ses papiers et aurait rejoint l’Allemagne fin décembre 2015 ». Il est, en réalité, en banlieue parisienne, dans un foyer de réfugiés syriens et apprend le français. Fatras de versions discordantes. Ainsi vont les affaires ordinales.

 

Marine Babonneau