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27 interprètes traducteurs des tribunaux demandent la régularisation de leur situation

Ils ont présenté leur demande mercredi 4 septembre devant le TASS de Paris, demandant le paiement de leurs cotisations sociales par leur employeur, l’État, en infraction depuis près de vingt ans en ne payant pas les cotisations patronales pour ces collaborateurs occasionnels du service public dont il requiert les services.

par Julien Mucchiellile 10 septembre 2019

En 2012, Jean-Pierre Lafaure, rapporteur de la Cour des comptes, s’étonnait devant la commission sénatoriale que les dispositions de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 et le décret de 2000, qui prévoyaient l’assujettissement aux cotisations sociales des collaborateurs occasionnels du service public (COSP) de la justice, n’eussent toujours pas été mis en œuvre. Le sénateur Roland du Luart, rapporteur spécial au nom de la commission des finances des crédits de la justice, se disait « personnellement choqué que le ministère de la Justice soit en totale infraction par rapport au paiement des cotisations sociales », tandis que le directeur du budget, embarrassé, ne pouvait que regretter cette situation (v. Dalloz actualité, 21 oct. 2014, art. M. Babonneau isset(node/168989) ? node/168989 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>168989).

Le 4 septembre 2019, Me David Dokhan, au tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris, retrace ces faits et ajoute : « 12 ans plus tard, la situation est toujours sujette à controverse. On sait que la loi impose le paiement des cotisations, et pourtant, il n’y a pas de budget affecté au paiement de ces cotisations ». Il représente 28 plaignants, aujourd’hui 27 après le décès de l’un d’eux, tous traducteurs et interprètes de tribunaux, requis depuis des années pour exercer leur mission (v. Dalloz actualité, 18 mars 2019, art. J. Mucchielli isset(node/194971) ? node/194971 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>194971). Tous demandent la régularisation de leur situation, leur affiliation au régime général de la sécurité sociale et des retraites, ainsi que le paiement de leurs cotisations sociales par l’État, leur employeur, pour toutes les missions effectuées jusqu’alors.

L’avocat rappelle que les traducteurs et interprètes des tribunaux, requis pour traduire des documents, assister un gardé à vue, un prévenu, un accusé, sont des collaborateurs occasionnels du service public par détermination de la loi (CSS, art. D. 311-1), et que c’est en cette qualité qu’ils peuvent prétendre à ces demandes (CSS, art. D. 311-2).

À cet égard, les demandeurs observent que si l’État a régularisé leur situation en versant les cotisations sociales afférentes aux missions accomplies depuis le 1er janvier 2016, il n’a en revanche procédé à aucune régularisation pour la période courant de la date de la première mission effectuée par les demandeurs, au 31 décembre 2015. Pourquoi cette différence ? Un décret, entré en vigueur au 1er janvier 2016, a introduit explicitement l’obligation d’affiliation au régime général de la sécurité sociale des COSP, qui pèse sur l’État employeur.

Ce dernier n’a donc cru bon de régulariser la situation qu’à partir de l’entrée en vigueur de ce décret. Or Me Dokhan redit au tribunal que le décret du 17 janvier 2000 imposait déjà les mêmes obligations. Ce décret rattachait certaines professions au régime général, dont celles énumérées à l’article R. 92 du code de procédure pénale, qui liste les frais de justice criminelle, correctionnelle et de police, dont font partie les frais de translations ainsi que les « honoraires, émoluments et indemnités qui peuvent être accordés » aux interprètes traducteurs. Le décret entré en vigueur en 2016, qui intervient après l’accablant rapport de la Cour des comptes, ne fait selon l’avocat que clarifier ces dispositions, en faisant explicitement figurer l’obligation d’affiliation au régime général à l’article D. 311-1. C’est pour ces raisons, affirme Me Dokhan, que les demandeurs sont fondés à demander le rattrapage de leurs cotisations sur la période antérieure à 2016.

Mais l’État conteste le caractère « occasionnel » de ces collaborations. Selon son avocate, le fait de multiplier les missions, dans des proportions considérables, serait incompatible avec la nature occasionnelle de la collaboration. C’est un raisonnement qu’avait appliqué la cour d’appel de Paris qui, dans un arrêt du 14 juin 2019, avait débouté un traducteur interprète qui présentait des demandes similaires (v. Dalloz actualité, 3 juill. 2019, art. J. Mucchielli isset(node/196531) ? node/196531 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>196531).

Pour mettre à mal ce raisonnement, David Dokhan cite un arrêt du 11 octobre 2018, dans lequel la Cour de cassation estimait que les experts auprès des tribunaux, qui aspirent au même statut, « apportaient leur concours au service public de la justice, ce dont il résultait qu’ils avaient la qualité de collaborateurs occasionnels de la juridiction », sans plus de précision. Il cite également un jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale d’Evry du 9 février 2017, qui a considéré que le caractère occasionnel de l’activité judiciaire d’un interprète était « manifestement démontré puisqu’il est établi et non contesté que les interventions de Monsieur G. devant les cours et les tribunaux ont lieu en fonction des réquisitions de l’autorité judiciaire, donc de manière épisodique ». Pour lui, le qualificatif « occasionnel » ne tombe pas au-delà d’un certain nombre de missions, mais souligne le caractère non permanent de leur travail. « C’est ponctuel, irrégulier, discontinu : ils n’interviennent que lorsqu’ils sont requis, en opposition aux agents permanents », explique-t-il. En outre, ajoute-t-il, l’État ne peut affirmer d’un côté que les demandeurs n’ont pas la qualité de COSP, et, par ailleurs, régulariser leur situation (comme cela a été fait en partie), admettant de fait ce statut.

Par ailleurs, il existe un lien de subordination entre l’employeur – l’État – et les interprètes traducteurs. Ceux-ci n’ont pas la liberté de refuser une mission et peuvent être requis à tout moment, ils ne choisissent pas le lieu de leur mission, ils ne fixent pas eux-mêmes le montant de leur indemnité. Me Dokhan rappelle au soutien de cette argumentation, que la jurisprudence judiciaire comme la jurisprudence administrative, vont en ce sens (CE 11 févr. 2013 ; 14 nov. et 20 déc. 2011 ; Cass. 18 mars 2003).

Enfin, l’État tente de se défausser en invoquant le bénéfice de plusieurs prescriptions (triennale, quadriennale et, au cas où, quinquennale). L’avocat écarte la prescription triennale (CSS, art. L. 244-3), dont l’État ne saurait se prévaloir. « Admettre le bénéfice d’une prescription, ce serait reconnaître à l’État, en sa qualité d’employeur, le droit de ne régler les cotisations sociales que pour une période maximale de trois ans à compter de la mise en demeure de l’URSSAF », développe-t-il. « Le point de départ de la prescription quinquennale (employeur de droit privé) ou quadriennale (employeur de droit public) est fixé à la date de la liquidation des droits à la retraite, et non à la date du dernier versement de la rémunération soumise au paiement des cotisations sociales », poursuit l’avocat.

En conclusion, les demandeurs demandent au tribunal des affaires de la sécurité sociale de condamner l’État à payer les cotisations sociales, salariales et patronales, afférentes à l’ensemble de leurs missions d’interprète judiciaire accomplies depuis la première pour le compte de l’État. Ils demandent également la régulation de leur situation au regard des régimes de retraite, ainsi que d’enjoindre à l’État de les rétablir dans l’intégralité de leurs droits résultant de leur affiliation au régime général à compter de leur première mission.

La décision sera rendue le 20 décembre 2019.