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Abaissement des modalités d’aménagement de peine par la loi du 23 mars 2019 : application réservée de cette modification plus sévère aux faits commis à compter du 24 mars 2020

L’abaissement à un an du plafond permettant l’aménagement ab initio d’une peine d’emprisonnement ferme, issu de la loi du 23 mars 2019,  n’est applicable qu’aux faits commis à compter du 24 mars 2020, date de son entrée en vigueur.

par Julie Galloisle 19 novembre 2020

C’est par un arrêt particulièrement didactique, rendu le 20 octobre 2020 et promis à une large diffusion (P+B+I), que la chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée sur l’application dans le temps de la modification intervenue par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (JO 24 mars), abaissant d’une année le quantum de la peine d’emprisonnement sans sursis ouvrant droit à la voie de l’aménagement de peines.

Il faut savoir qu’aujourd’hui et depuis la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire (JO 25 nov.), la possibilité pour un prévenu d’aménager l’éventuelle peine d’emprisonnement ferme qui serait prononcée à son encontre constitue un véritable enjeu. On se souvient notamment, dans un passé pas si lointain, que les peines devant être prononcées par la juridiction de jugement à l’encontre de l’ancien ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, poursuivi des chefs de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale, étaient au cœur de son procès en appel (Paris, 15 mai 2018, n° 17/02755, Dalloz actualité, le 1er juin 2018, obs. J. Gallois). Si celui-ci avait vu les peines prononcées à son encontre, aggravées par les juges d’appel – passant en effet d’une condamnation prononcée par le tribunal correctionnel de trois ans d’emprisonnement ferme, outre la peine d’inéligibilité de cinq ans, à une peine de quatre ans d’emprisonnement dont deux assortis du sursis simple et à 300 000 € d’amende, outre une peine d’inéligibilité de cinq ans, par la cour d’appel –, cette nouvelle condamnation était paradoxalement apparue, aux yeux de l’avocat de la défense, comme « équilibrée » et même constitutive d’« une réelle victoire de la justice ». Pis, ce dernier avait même encouragé la juridiction du second degré à aggraver la peine d’emprisonnement prononcée à l’encontre de son client dès lors qu’elle était assortie, au moins en partie, du sursis (Dalloz actualité, 21 févr. 2018, obs. M. Babonneau). Où devait-on voir, dans cette condamnation, une « victoire » ? Au vrai, le sursis assortissant une partie de la peine d’emprisonnement nouvellement prononcée, permettait au condamné de solliciter un aménagement de sa peine d’emprisonnement ferme et ainsi d’éviter son exécution au sein d’un établissement pénitentiaire.

À cette époque, le code de procédure pénale permettait en effet à toute personne condamnée à une peine d’emprisonnement ferme au maximum à deux ans (v. not. Crim. 26 oct. 2011, n° 10-88.462, Bull. crim. n° 222 ; Dalloz actualité, 23 nov. 2011, obs. M. Léna ; AJ pénal 2013. 553, obs. M. Herzog-Evans ) de bénéficier d’un aménagement de peine, soit dès le prononcé de la peine (C. pén., art. 132-19), soit après décision du juge de l’application des peines (C. pr. pén., art. 723-15).

Sauf que depuis, la loi de programmation de 2019 est venue modifier notamment l’article 132-19 du code pénal, lequel renvoie à l’article 132-25 du même code également modifié, et 723-15 du code de procédure pénale. Aux termes de cet article 132-25, pris en son alinéa 2 : « Si la peine prononcée ou la partie ferme de la peine prononcée est supérieure à six mois et inférieure ou égale à un an d’emprisonnement, elle doit décider, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, que la peine sera exécutée en tout ou partie sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique, de la semi-liberté ou du placement à l’extérieur ». Quant à l’article 732-15, pris en son alinéa 1er issu de la loi de programmation de 2019 : « Si le tribunal n’a pas prononcé un mandat de dépôt à effet différé en application du 3° du I de l’article 464-2, les personnes non incarcérées ou exécutant une peine sous le régime de la semi-liberté, du placement à l’extérieur ou de la détention à domicile sous surveillance électronique, condamnées à une peine inférieure ou égale à un an d’emprisonnement ou pour lesquelles la durée de la détention restant à subir est inférieure ou égale à un an, ou pour lesquelles, en cas de cumul de condamnations, le total des peines d’emprisonnement prononcées ou restant à subir est inférieur ou égal à un an bénéficient, dans la mesure du possible et si leur personnalité et leur situation le permettent, suivant la procédure prévue au présent paragraphe, d’une semi-liberté, d’un placement à l’extérieur, d’une détention à domicile sous surveillance électronique, d’un fractionnement ou d’une suspension de peines, d’une libération conditionnelle ou de la conversion prévue à l’article 747-1 […] ».

Il s’en évince que, depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle rédaction de ces textes, soit depuis le 24 mars 2020, la mesure d’aménagement de peine n’est offerte notamment qu’aux personnes condamnées à une peine d’emprisonnement ferme d’une année maximum.

Dès lors se posait la question de savoir si les personnes condamnées entre un et deux ans d’emprisonnement ferme pour des faits commis antérieurement à l’entrée en vigueur du nouveau texte mais non définitivement jugés pouvaient encore prétendre au bénéfice de l’aménagement de peine.

Tel était précisément le problème que posait l’arrêt du 20 octobre 2020, et relevé par la Cour de cassation. Le pourvoi formé par le prévenu, déclaré coupable des chefs de séquestration, violences et tentative d’atteinte sexuelle aggravée et condamné en conséquence à deux ans d’emprisonnement ferme, outre les intérêts civils, reprochait notamment à la cour d’appel d’avoir insuffisamment motivé le refus d’aménagement ab initio de cette peine d’emprisonnement. Aussi, si la cassation était prononcée sur le moyen ainsi soulevé, ce qui a été le cas (v. infra), la possibilité de bénéficier de cet aménagement de peines se serait irrémédiablement posée à la cour d’appel de renvoi. La question était ainsi incidemment posée à la Haute Cour. Notons par ailleurs qu’au moment où les juges d’appel s’étaient prononcés sur le litige, à savoir le 25 juin 2019, l’abaissement du seuil de l’aménagement de peines avait certes été adopté mais n’était pas encore entré en vigueur. Le présent problème n’existait donc pas.

La solution rendue par la Cour de cassation ne saurait ici surprendre le pénaliste. Elle juge en effet qu’« Aux termes [de l’article 132-19 du code pénal], le juge qui prononce une peine d’emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard de la gravité de l’infraction, de la personnalité de son auteur et du caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction. Si la peine prononcée n’est pas supérieure à deux ans, ou à un an pour une personne en état de récidive légale, le juge, qui décide de ne pas l’aménager, doit en outre, soit constater une impossibilité matérielle de le faire, soit motiver spécialement sa décision au regard des faits de l’espèce, de la personnalité du prévenu et de sa situation matérielle, familiale et sociale ».

Il importe de constater que, contrairement à ce qu’affirme la Cour de cassation (« [l]es dispositions ne peuvent […] être classées que dans la catégorie des lois relatives aux peines ou dans celle des lois relatives au régime d’exécution et d’application des peines » [§ 17 ; v. égal. § 14]), le fond du problème ne se situait pas, dans cette espèce, tant de savoir si la modification législative tombait sous le coup de l’article 112-1, alinéas 2 et 3, du code pénal ou sous le coup de l’article 112-2, 3°, du code pénal. En effet, en abaissant à un an d’emprisonnement ferme le seuil maximal pour que le condamné puisse solliciter d’un aménagement de peine, le législateur n’est pas venu modifier la peine en elle-même. Au reste, même si l’enjeu s’était porté sur l’application de l’un de ces deux textes, il n’aurait été que juridique, l’issue du litige étant ici identique pour le condamné. Le caractère plus sévère des articles ne prête en effet pas davantage à discussion, le condamné à une peine d’emprisonnement supérieure à un an mais inférieure ou égale à deux ans ne pouvant plus bénéficier de la voie de l’aménagement de peine. Pour preuve, dans un arrêt rendu le 9 juin 2010 dans lequel il était question de la situation juridique exactement inverse à la présente espèce – un individu condamné à seize mois d’emprisonnement sollicitait l’application de l’article 732-15 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi pénitentiaire 2009, élevant le seuil de l’aménagement de peines d’une année –, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait jugé ces dispositions d’application immédiate car plus favorables (Crim. 9 juin 2010, n° 09-87.677, inédit, AJ pénal 2011. 255, obs. M. Herzog-Evans ).

Certes une difficulté aurait pu émerger du fait que cet aménagement de peine était examiné ab initio, par la juridiction de jugement et non par la juridiction d’application des peines.

Notre droit positif semblait en effet dessiner, depuis quelques années, une distinction fondée sur la juridiction prononçant l’aménagement de peine, laquelle aurait pour conséquence de faire dépendre le fondement légal applicable… Dans l’arrêt précité de 2010, l’aménagement de peine avait été sollicité auprès du juge de l’application des peines puis de la chambre d’application des peines et la solution posée par la Haute Cour avait été rendue au visa de l’article 112-2, 3°, du code pénal (Crim. 9 juin 2010, n° 09-87.677, préc.). Dans un arrêt postérieur, rendu le 5 novembre 2013, les juges du fond n’avaient pas examiné la situation d’une personne condamnée à quatre mois d’emprisonnement, s’agissant de faits antérieurement commis à l’entrée en vigueur de la loi pénitentiaire offrant la possibilité d’aménager ab initio cette peine d’emprisonnement et la solution avait été rendue au visa, cette fois-ci, notamment de l’article 112-1 du code pénal (Crim. 5 nov. 2013, n° 12-85.387, inédit).

Malgré ce que laisse augurer les visas de ces décisions, il n’est pas certain que la Cour de cassation ait entendu, à cette époque, donner une lecture différente à l’aménagement de peines selon la juridiction qui le prononce. D’autant que dans ces deux espèces, les dispositions litigieuses demeuraient favorables à la personne du condamné, donc identiques dans leur conséquence, ce qui réduit, à notre sens, l’impact d’une telle interprétation.

Que la mesure d’aménagement de peine soit prononcée par l’une ou l’autre des juridictions, elle demeure identique. Le législateur n’a d’ailleurs pas fait le choix de différencier l’aménagement de peine, dans ses modalités, selon la juridiction ayant vocation à le prononcer. Dans ces circonstances, il serait plus que curieux, pour ne pas dire illogique, que deux textes identiques aboutissent à une solution différente. Plus exactement, comme l’affirmait à raison Mme l’Avocat général, en procédant de la sorte, cela « revien[drai]t à affirmer que, selon le moment où l’aménagement de la peine est prononcé et selon la juridiction qui le prononce, cet aménagement changerait de nature et que l’aménagement ab initio serait non pas une modalité d’exécution de la peine d’emprisonnement prononcée mais se confondrait avec la peine elle-même ». Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la faculté offerte à la juridiction de jugement de prononcer ab initio l’aménagement de peines a été mise en place dans le but de désencombrer les juridictions d’application des peines et d’éviter le passage corrupteur de la prison. Le but poursuivi par le législateur demeure donc le même que celui poursuivi par les juridictions d’application des peines.

C’est donc en toute cohérence que la Cour régulatrice rompt avec cette éventuelle distinction  et rattache les dispositions relatives au seuil d’aménagement de la peine à l’article 112-2, 3°, du code pénal relatif au régime d’exécution et d’application des peines, et ce, quel que soit le moment où l’aménagement est prononcé (§ 21).

La problématique portait davantage sur l’application ou bien de l’article 112-2, 2°, du code pénal, relatif aux lois fixant les modalités des poursuites et les formes de la procédure, d’application immédiate, ou bien de l’article 112-2, 3°, du même code, relatif quant à lui aux lois relatives au régime d’exécution et d’application des peines, d’application immédiatement également mais uniquement lorsque la loi pénale nouvelle porte sur une modification in favorem de la peine pour l’auteur.

D’autant que deux autres sources entretenaient la confusion. D’abord, l’article 7, alinéa 1er, du décret n° 2020-81 du 3 février 2020 (JO 4 févr.) dispose que : « conformément aux dispositions de l’article 112-2 du code pénal les dispositions du présent décret entrent en vigueur le 24 mars 2020 pour les condamnations prononcées à compter de cette date, y compris si elles concernent des infractions commises avant cette date ». Ensuite, la circulaire de la direction des affaires criminelles et des grâces du 6 mars 2020, indique quant à elle, que les dispositions nouvelles relèvent « de la catégorie plus générale des lois fixant les modalités des poursuites mentionnées au 2° de l’article 112-2 du code pénal et qui s’appliquent immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur. Elles ne peuvent en revanche être analysés comme des dispositions relatives au régime d’exécution et d’application des peines qui auraient pour effet de rendre plus sévères les peines prononcées et ne s’appliqueraient alors, en application du 3° de l’article 112-2 du code pénal, qu’aux faits commis après leur entrée en vigueur ».

Pour la Cour régulatrice, « l’aménagement de peine constitue […] un dispositif relatif au régime d’exécution et d’application des peines. L’application dans le temps d’une telle mesure obéit par conséquent aux règles définies par l’article 112-2, 3°, du code pénal » (§ 21). Cette solution ne peut qu’être saluée tant cet article 112-2, 3°, est applicable au régime pénitentiaire entendu largement.

Les juges répressifs précisent au reste que, si « prises dans leur ensemble, les différentes dispositions relatives au prononcé et à la mise à exécution des peines d’emprisonnement, issues de la loi nouvelle, [peuvent être] considérées comme fixant des modalités de poursuites et des règles de procédure » (§ 15), il importe de relever que la loi de programmation de 2019 poursuit deux objectifs contradictoires en sorte que ces dispositions ne peuvent constituer un ensemble indivisible (§ 8) mais doivent, au contraire, être envisagées séparément les unes des autres (§ 13).

Il faut dire que, si « les rédacteurs de la loi pénitentiaire [avai]ent fait feu de tout bois pour faire ressortir – ou ne point entrer – de détention un nombre aussi important de condamnés à des peines privatives de liberté que possible » (M. Herzog-Evans, obs. ss. Crim. 26 oct. 2011, n° 10-88.462, préc.), lesquels avaient été suivis par ceux de la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales dite « Taubira » (JO 17 août), la position du législateur de 2019 apparaît plus contrastée. Comme le relève la Cour de cassation, celui-ci poursuit en effet, à la fois, l’objectif de limiter le recours aux courtes peines d’emprisonnement, et celui de rendre effectives les peines d’emprisonnement prononcées pour des durées plus longues (§ 9). C’est ainsi que, d’un côté, le législateur a-t-il fait, par exemple, le choix de prohiber le prononcé de peines d’emprisonnement sans sursis inférieures ou égales à un mois et d’encourager le principe d’un aménagement des peines d’emprisonnement inférieures ou égales à six mois imposant une obligation de motivation renforcée du juge refusant un tel aménagement d’un côté (§10), mais de l’autre, de supprimer, sans autre mesure corrélative, la possibilité d’un aménagement des peines d’emprisonnement comprises entre un et deux ans, que ce soit par la juridiction qui prononce la peine ou par le juge de l’application des peines, et d’instituer la faculté, pour la juridiction, de délivrer un mandat de dépôt à effet différé lorsque l’emprisonnement est d’au moins six mois (§ 11). Dans ces circonstances, les dispositions litigieuses ne sauraient revêtir un caractère indivisible.

Si la position de la Cour de cassation quant à l’application dans le temps de l’abaissement du seuil de l’aménagement de peine à un an d’emprisonnement ferme était attendue (v. not., J. Mucchielli, Loi abaissant le seuil de l’aménagement de la peine à un an : application aux situations en cours, ou aux seuls faits commis après l’entrée en vigueur ?, Dalloz actualité, 18 sept. 2020), l’arrêt rendu par cette dernière va plus loin en précisant que « [le prévenu], présent à l’audience, pouvait répondre à toutes les questions des juges et leur permettre d’apprécier si une mesure d’aménagement pouvait être ordonnée ».

La Cour de cassation casse en effet l’arrêt rendu par la cour d’appel qui, « pour refuser d’aménager la peine de deux ans d’emprisonnement sans sursis prononcée à l’encontre de [la personne poursuivie], [avait énoncé] qu[’elle] ne dispos[ait] pas, en l’état du dossier, d’éléments matériels suffisants lui permettant un aménagement immédiat ». En jugeant de la sorte, la Haute juridiction interdit aux juges du fond toute possibilité de se prévaloir de l’éventuelle insuffisance des pièces produites pour refuser l’aménagement de peines dès lors que la personne poursuivie est présente à l’audience, ce qui est le principe devant la plupart des juridictions de jugement.

Au reste, et en tout hypothèse, il était permis de douter de la réelle insuffisance des éléments fournis par le condamné aux juges du fond – le demandeur soutenait en effet, dans son pourvoi, qu’il avait fait valoir devant la cour d’appel sa situation professionnelle stable d’analyste financier avec un salaire de l’ordre de 15 000 € par mois, sa situation familiale aune situation avec un remariage depuis mai 2016, trois enfants à charge, dont deux lui étant propres et l’un d’eux souffrant d’handicap, une nouvelle épouse enceinte et sa situation de santé car suivi par deux professionnels, un psychiatre et un addictologue.