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Abus de biens sociaux : un retour de l’interprétation stricte de l’intérêt personnel ?

Dans un arrêt du 7 septembre 2022, la chambre criminelle juge que le caractère fictif des factures acquittées ne saurait à lui seul suffire à présumer que le dirigeant avait soit pris un intérêt direct ou indirect dans le règlement des factures fictives, soit favorisé une autre société ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement.

Bien que non publié, cet arrêt du 7 septembre 2022, rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation mérite l’attention, non pas tant pour la solution qu’il prononce, parfaitement conforme aux principes irriguant la matière pénale, mais en raison de la pratique jurisprudentielle consistant à présumer l’intérêt personnel du dirigeant de société poursuivi du chef d’abus de biens sociaux.

L’interprétation présomptive de l’intérêt personnel

Pour rappel, les textes d’incrimination – notamment les articles L. 241-3 et L. 242-6 du code de commerce – définissent le délit d’abus de biens sociaux comme un acte d’usage intentionnel contraire à l’intérêt social commis par un dirigeant de société, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle il est intéressé directement ou indirectement.

D’un point de vue moral, la volonté de commettre un acte contraire à l’intérêt de la société qu’il administre, autrement appelé dol général, ne suffit pas à elle seule à caractériser le délit. Il faut en plus que le dirigeant social poursuive, en réalisant cet acte, un intérêt personnel.

Considérer le dol spécial comme un élément inutile ou « superfétatoire » (W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, 6e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2005, spéc. n° 276) revient à méconnaître le sens qu’a entendu conférer le législateur au délit d’abus de biens sociaux. En exigeant que le dirigeant social soit animé d’une volonté spécifique, il offre à celui-ci la liberté de mouvement nécessaire à la réalisation de sa gestion d’entreprise sans risque d’être sanctionné pénalement pour la prise de positions néfastes – quand bien même auraient-elles de graves conséquences – pour l’avenir de la société voire la commission de faute de gestion. L’exigence d’un tel dol spécial se justifie donc par le souci de ne pas freiner l’esprit d’entreprise.

Aussi, ce dol spécial, qui permet de conforter l’intention du dirigeant social, constitue une limite à la caractérisation du délit dans la mesure où sa démonstration fait naturellement obstacle à la poursuite pénale du dirigeant incompétent ou trop audacieux.

Il faut cependant également garder en tête que, dans la vie des affaires, tout acte est à base d’intérêt personnel. Sachant que la poursuite d’un tel intérêt personnel n’est pas exclusive de la satisfaction de l’intérêt de la société. Aussi la recherche de cet intérêt par le dirigeant ne saurait, à elle seule, être punie. Cette intention doit nécessairement se combiner avec l’exigence de contrariété à l’intérêt social. Comme le disait Verdier, « il n’est pas à craindre, contrairement à ce qui a été dit, que seuls les inactifs soient à l’abri de la prison : la méconnaissance de l’intérêt social n’est répréhensible que si elle a été consciente et surtout l’acte ne peut être abusif que si, en contrepartie, un intérêt personnel a été poursuivi » (V. Verdier, « L’abus de mandat social », in Le droit pénal des sociétés anonymes, Dalloz, 1955, p. 181, spéc. p. 210). En créant cette infraction, le législateur n’avait donc pour souhait de ne sanctionner que les cas graves lésant les intérêts patrimoniaux de la société sans entrave aucune à la liberté d’action du dirigeant de société.

Dans ces circonstances, l’on mesure toute l’importance de la recherche de l’intérêt personnel du dirigeant social, outre la connaissance que l’acte réalisé est contraire à l’intérêt. Il appartient donc aux juges du fond de relever l’intérêt personnel, direct comme indirect, de l’auteur aux fins de permettre à la Cour régulatrice d’exercer son contrôle et de vérifier que l’ensemble des éléments constitutifs du délit sont réunis. C’est ainsi qu’elle a pu casser la décision d’une cour d’appel, faute pour cette dernière de n’avoir pas « précis[é] si les recettes non représentées avaient été utilisées de mauvaise foi par le prévenu à des fins personnelles et dans un intérêt contraire à celui de la société (Crim. 22 oct. 1990, n° 89-85.019, Rev. sociétés 1991. 125, note B. Bouloc ; Dr. pénal 1991. Comm. n° 58, obs. J.-H. Robert).

La jurisprudence a cependant pris l’habitude de déduire la poursuite de l’intérêt personnel de la contrariété de l’intérêt social. Depuis deux arrêts rendus le 28 novembre 1994, les juges répressifs considèrent « qu’en l’absence de justification du caractère social des dépenses [litigieuses], le délit d’abus de biens sociaux se trouve caractérisé » (Crim. 28 nov. 1994, nos 94-80.524 et 94-81.818, Rev. sociétés...

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