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Abus de confiance : la confirmation du refus de caractériser le délit en raison de la seule violation d’une obligation contractuelle

La chambre criminelle offre l’occasion, au travers de cet arrêt inédit du 19 octobre 2022, de rappeler que le délit d’abus de confiance suppose, pour être caractérisé, la preuve d’un détournement de fonds, laquelle n’est pas rapportée par un usage de ces fonds, différent de celui convenu par les parties. Elle rappelle également que ces fonds doivent avoir été préalablement remis à titre précaire et non pas en pleine propriété.

À n’en pas douter, l’arrêt rendu le 19 octobre 2022 par la chambre criminelle de la Cour de cassation en matière d’abus de confiance mérite l’attention, bien qu’il ne fasse pas l’objet d’une publication.

Depuis plusieurs années, le délit d’abus de confiance ne cesse en effet d’alimenter les débats, notamment en raison du rapport ambigu qu’il entretient avec le contrat, dont il serait une conséquence en cas de violation. La présente espèce, dans laquelle une société se voit reprocher plusieurs infractions contre les biens, dont l’abus de confiance et le recel d’abus de confiance par des parties civiles, pour les avoir convaincues de financer une opération immobilière d’achat pour revente vouée à l’échec, par la création d’une Société en participation (SEP) dont les apports avaient, par ailleurs, été utilisés à d’autres fins que celles prévues par ses statuts, offre l’occasion de revenir sur cette question.

L’exclusion du délit en cas d’absence de preuve d’un détournement

Dans une première branche de leur moyen, les parties civiles reprochaient à la chambre de l’instruction d’avoir jugé que la preuve d’un détournement de fonds au sens de l’article 314-1 du code pénal n’était pas rapportée. Elles faisaient valoir que la société prévenue avait utilisé une partie des fonds qui avait été apportés par les Croupiers investisseurs pour payer des dépenses sans lien avec l’opération de la SEP.

La chambre criminelle rejette cette argumentation, considérant que la chambre de l’instruction, « après avoir analysé les faits et circonstances de la cause ainsi que les éléments de preuve contradictoirement débattus, […] a[vait] répondu aux conclusions des parties civiles » et jugé, en vertu « de son appréciation souveraine, que la preuve d’un détournement n’était pas rapportée ».

La solution ne peut qu’être approuvée. Parmi les formes de détournement, l’on compte l’usage abusif du bien remis. Et il est de jurisprudence constante que le seul usage de ce bien, différent de celui convenu par les parties, n’entre pas dans les prévisions de l’article 314-1 précité (Crim. 11 janv. 1968, Bull. crim. n° 10 ; 9 déc. 1969, n° 68-91.801 P). Même à une époque où l’existence d’un contrat préalable était nécessaire à la caractérisation du délit, la violation de ce contrat ne suffisait pas, en elle-même, à donner lieu à l’application de ce texte (C. pén., art. 408 anc.). Ce n’est que dans le cas où l’agent s’est intentionnellement comporté, même momentanément, en véritable propriétaire du bien que l’usage constitue un détournement (v. not., Crim. 13 févr. 1984, n° 82-94.484 P ; 9 mars 2005, n° 03-87.371). La frontière entre l’usage licite et l’usage illicite réside en effet dans l’interversion du titre qui conduit l’agent à exercer des prérogatives incompatibles avec celles de la victime, en usurpant la possession pour se comporter en propriétaire (v. A. Lepage, P. Maistre du Chambon et R. Salomon, Droit pénal des affaires, 6e éd., LexisNexis, 2020, spéc. n° 246).

Par son approbation de la décision d’appel, la Cour de cassation refuse de subordonner la caractérisation du détournement à la simple violation de l’obligation contractuelle, rappelant en creux qu’il s’agit-là une infraction contre l’atteinte portée au droit de propriété. Ce rappel est encore plus remarquable s’agissant de la condition préalable de remise à titre précaire.

L’exclusion du délit en cas de remise en pleine propriété

Les parties civiles reprochaient à la chambre de l’instruction, dans une autre branche de leur moyen, de n’avoir pas recherché l’existence d’une contrepartie réelle à la rémunération perçue par le gérant de la SEP, au titre d’une mission de maîtrise d’ouvrage qui n’avait notamment fait l’objet d’aucune facture. À nouveau, la Cour de cassation rejette leur argumentation, affirmant que les juges du second degré n’étaient pas tenus d’une telle recherche au motif que « les fonds remis à titre de rémunération […] l’ont été en pleine propriété et non à titre précaire » de sorte qu’ils « ne peuvent faire l’objet d’un abus de confiance ». Partant, l’absence de contrepartie à la rémunération ainsi...

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