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Abus de confiance et détournement du temps de travail et des moyens mis à disposition par l’employeur : utiles rappels

L’abus de confiance suscite depuis plusieurs années un intéressant questionnement sur les contours de cette infraction en cas de détournement, par un salarié, du temps de travail et des moyens humains et matériels mis à disposition par son employeur. L’arrêt rapporté contribue à alimenter cette discussion, cette fois sous l’angle des intérêts civils.

par Dorothée Goetzle 13 juillet 2021

Cet arrêt concerne un salarié du secteur pharmaceutique qui accordait à des distributeurs étrangers des baisses de tarif, moyennant le versement de commissions occultes. Ces rétributions étaient versées sur un compte bancaire ouvert en Suisse et justifiées par la facturation de prestations fictives. Sur plainte de la société victime, une information judiciaire était ouverte des chefs de corruption, faux et usage de faux. Deux réquisitoires supplétifs élargissaient la saisine du magistrat instructeur à des faits de révélation de secrets de fabrique, recel de ce délit, abus de confiance, faux et usage de faux. In fine, l’intéressé était renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef d’abus de confiance au préjudice de la société, dont il était salarié, pour avoir fait usage d’un temps de travail et de moyens humains et matériels mis à sa disposition par son employeur. Sa compagne, qui établissait la facturation, était quant à elle renvoyée devant le tribunal correctionnel pour complicité de l’abus de confiance commis par son compagnon. Cette juridiction constatait la prescription de l’action publique et relaxait les prévenus.

Les intéressés formaient un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel qui avait prononcé sur les intérêts civils.

Dans un premier temps, ils reprochent aux juges du fond d’avoir méconnu les articles 6, § 2, et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, 112-1 et 314-1 du code pénal, 1240 du code civil, 2, 497, 591 et 593 du code de procédure pénale. En l’espèce, ils placent le débat sur l’application rétroactive du revirement in defavorem opéré par la Cour de cassation dans son arrêt du 19 juin 2013, faisant de l’utilisation du temps et des moyens de travail un élément constitutif de l’infraction d’abus de confiance au détriment de l’employeur (v. RTD com. 2013. 600, obs. B. Bouloc ). En effet, pour les requérants, le principe de non-rétroactivité des revirements de jurisprudence in defavorem s’imposait à la cour d’appel qui, en l’espèce, était saisie du seul appel de la partie civile d’un jugement de relaxe. Ce faisant, les juges du fond auraient dû, aux yeux des requérants, apprécier l’existence d’une faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objets de la poursuite. La Cour de cassation ne partage pas cette lecture. Elle considère en effet que l’arrêt invoqué au soutien du pourvoi a seulement précisé les contours de l’infraction d’abus de confiance d’une manière qui était prévisible au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la chambre criminelle s’étant déjà auparavant, par plusieurs arrêts antérieurs, engagée dans le sens d’une conception dématérialisée de l’objet détourné (Crim. 19 juin 2013, n° 12-83.031, Dalloz actualité, 1er juill. 2013, obs. S. Fucini ; D. 2013. 1936 , note G. Beaussonie ; ibid. 2713, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin ; ibid. 2014. 1115, obs. P. Lokiec et J. Porta ; AJ pénal 2013. 608, obs. J. Gallois ; Dr. soc. 2013. 1008, étude L. Saenko ; RDT 2013. 767, obs. V. Malabat ; RSC 2013. 813, chron. H. Matsopoulou ; RTD com. 2013. 600, obs. B. Bouloc  ; JCP 2013, n° 37, p. 933, note S. Detraz ; 3 mai 2018, n° 16-86.369, RTD com. 2018. 498, obs. L. Saenko ).

Ensuite, les requérants reprochent aux juges du fond de les avoir condamnés in solidum à verser à la société victime 62 100 € au titre du préjudice qualifié de perte de chiffre d’affaires. En reprenant le même argument que celui précédemment invoqué, ils font valoir que les juges correctionnels ne pouvaient statuer sur l’action civile que dans la limite des faits visés à la prévention, en l’espèce avoir fait usage d’un temps de travail et de moyens et matériels mise à disposition par l’employeur et non avoir détourné une partie du chiffre d’affaires. Logiquement, la Cour de cassation rejette aussi ce moyen. Elle souligne en effet que les agissements fautifs commis par les prévenus l’ont été pendant le temps que le salarié aurait dû consacrer à son employeur en exécution de son contrat de travail. Ainsi, la chambre criminelle approuve les juges du fond d’avoir condamné les prévenus à verser cette somme à la société pour avoir usé du temps et des moyens matériels et humains mis à la disposition d’un salarié par son employeur pour exercer une activité commerciale occulte en fraude des droits de l’employeur, notamment en faisant usage de documents de formation internes à la société pour fabriquer des documents de formation à destination de distributeurs étrangers, permettant ainsi aux prévenus de détourner une partie de la marge de l’employeur.

Incontestablement, cet arrêt tire, presque dix ans après, toutes les conséquences de l’arrêt rendu le 19 juin 2013, par rapport aux intérêts civils. L’apport de cet arrêt était en effet d’avoir expressément affirmé que l’utilisation, par un salarié, de son temps de travail à des fins autres que celles pour lesquelles il perçoit une rémunération de son employeur constitue un abus de confiance. Toutefois, l’intérêt de l’arrêt rapporté ne s’arrête pas là. Il est également à replacer dans le sillage d’un arrêt plus récent, en date du 16 janvier 2019, qui, contrairement à son prédécesseur, suscite d’intéressantes réserves quant à la caractérisation du délit d’abus de confiance par détournement du temps de travail d’un salarié (v. Crim. 16 janv. 2019, n° 17-81.136, RSC 2019. 821, obs. H. Matsopoulou ; RTD com. 2020. 504, obs. L. Saenko ).