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Accès au document : trilogue en cours, ne pas déranger

Cet arrêt du Tribunal de l’Union européenne rendu le 22 mars 2018 est une illustration de ce que les institutions européennes ne peuvent refuser l’accès à certains documents de nature législative que dans des cas dûment justifiés.

par Nicolas Nalepale 9 avril 2018

Le système décisionnel de l’Union européenne repose principalement sur la procédure législative ordinaire (TFUE, art. 294 ; anciennement « codécision »). On dénombre ainsi 85 domaines d’intervention dans lesquels les actes législatifs sont adoptés conjointement par le Parlement européen et le Conseil, à partir des propositions de la Commission. Si la procédure comporte initialement trois lectures, celle-ci réserve toutefois de s’achever à chacune d’elles dès lors qu’un compromis est trouvé entre les deux colégislateurs.

En matière de négociations interinstitutionnelles, la pratique s’est orientée vers la tenue de réunions tripartites informelles, appelées « trilogues », auxquelles participent des représentants des trois institutions. L’objectif de ces contacts est de « rechercher rapidement un accord sur un ensemble d’amendements acceptables pour le Parlement et le Conseil », la Commission tenant, elle, à ces occasions, le rôle de médiateur. Il faut par ailleurs noter que ces débats donnent lieu à l’établissement d’un document de travail commun à quatre colonnes : les trois premières présentent les positions de chaque institution, tandis que la quatrième met en exergue le texte de compromis.

Parce qu’il souhaitait justement avoir accès aux tableaux établis dans le cadre de trilogues en cours, M. D… présenta une demande en ce sens au Parlement européen sur le fondement du règlement (CE) n° 1049/2001 du 30 mai 2001 relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JOCE, n° L. 145, 31 mai). Il n’obtint cependant d’accès intégral qu’à cinq des sept tableaux identifiés en réponse par cette institution puisque celle-ci refusa de divulguer la quatrième colonne de deux d’entre eux au motif qu’il en résulterait une atteinte grave à son processus décisionnel (exception prévue à l’art. 4, § 3, 1er al., du règlement). M. D… saisit alors le Tribunal de l’Union européenne pour demander l’annulation de la décision de refus du Parlement, lequel attendra l’achèvement de la procédure à laquelle ils se rapportaient pour finalement mettre ces tableaux à la disposition du public.

Pour le Tribunal, cette mise à disposition ultérieure des documents en cause n’a pas privé d’objet la demande d’annulation du requérant ; celui-ci conserve en effet un intérêt à agir dans la mesure où « l’illégalité alléguée par [lui] repose sur une interprétation d’une des exceptions prévues par le règlement n° 1049/2001 que le Parlement risque fort de réitérer à l’occasion d’une nouvelle demande » (§ 32 ; v. égal. CJCE 7 juin 2007, Wunenburger c. Commission, aff. C-362/05 P). Sur le fond ensuite, et à titre liminaire, le Tribunal considère que l’atteinte au processus décisionnel fait partie de ces « exceptions [qui] dérogent au principe d’accès le plus large possible du public aux documents, [et qui doivent en ce sens] être interprétées et appliquées strictement » (§ 61 ; v. encore CJCE, 1er juill. 2008, Suède et Turco c. Conseil, aff. jtes C-39/05 P et C-52/05 P, § 36, AJDA 2008. 1533, chron. E. Broussy, F. Donnat et C. Lambert ). S’ensuivent alors ces quelques développements. À propos de la nature des trilogues tout d’abord, il rappelle combien ces réunions ont été « décisives » au cours des dernières années et comment elles ont contribué à « multiplier les possibilités d’accord » (§ 68 s.) ; partant, il conclut que les tableaux de trilogues doivent être considérés « comme relevant de la procédure législative » (§ 75). Et comme « les principes de publicité et de transparence sont […] inhérents [à ce type de procédure] », il ajoute « qu’aucune présomption générale de non-divulgation ne saurait être admise en ce qui concerne la quatrième colonne [de ces] tableaux » (§ 84). Quant enfin à la question de savoir de quelle manière l’accès à ces documents pourrait porter concrètement et effectivement atteinte au processus décisionnel de l’institution, le Tribunal ne relève « aucun élément tangible » permettant ou d’établir « la réalité de pressions extérieures », ou de démontrer que la divulgation « aurait nuit à la coopération loyale que se doivent les institutions » (§ 99 et 104). Et donc, pour ces raisons notamment, il n’est pas selon lui démontré en quoi « l’accès intégral était susceptible de porter concrètement et effectivement atteinte, de façon raisonnablement prévisible et non purement hypothétique, au processus décisionnel en cours », ce sur quoi il annule la décision d’espèce du Parlement (§ 111 et 114).