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Accident : insuffisance des déclarations de la victime pour établir l’implication

En l’absence de contact entre le véhicule et le siège du dommage, les seules déclarations faites par la victime à qui incombe la charge de la preuve sont insuffisantes à établir l’implication du véhicule dans l’accident de circulation.

par Anaïs Hacenele 7 novembre 2017

L’arrêt de rejet rendu par la deuxième chambre civile le 26 octobre 2017 présente l’intérêt de mêler l’application de la loi du 5 juillet 1985 aux principes fondamentaux du droit de la preuve. Il apporte de nouvelles précisions sur la caractérisation de la notion d’implication d’un véhicule dans la survenance d’un accident de la circulation.

Les faits d’espèce étaient très simples. En voulant dépasser un véhicule sur l’autoroute, une conductrice avait perdu la maîtrise du sien. La conductrice et les deux passagères furent blessées et indemnisées de leurs dommages par leur assureur. Ensemble, ils assignèrent le conducteur du véhicule dépassé et son assureur en indemnisation de leur préjudice corporel et en remboursement des sommes déjà versées aux victimes.

La cour d’appel de Paris les débouta de leurs demandes au motif que la preuve de l’implication du véhicule conduit par le conducteur assigné n’était pas rapportée.

Ils se pourvurent en cassation, reprochant à l’arrêt d’appel d’avoir violé l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985. Selon le pourvoi, en n’admettant pas que le fait pour le conducteur de s’être déporté sur la gauche sans dépasser la ligne prouvait le rôle du véhicule dans la réalisation de l’accident, les juges du fond exigeraient là la preuve d’un rôle « perturbateur » du véhicule.

La Cour de cassation, amenée à s’interroger sur la preuve de l’implication du véhicule dans l’accident rejette le pourvoi considérant que celle-ci n’est pas établie.

Elle rappelle d’abord que la charge de la preuve de l’implication d’un véhicule dans un accident de la circulation incombe à celui qui s’en prévaut (Civ. 2e, 28 mai 1986, n° 84-17.330, Bull. civ. II, n° 83 ; D. 1987. 160, note H. Groutel [1re esp.] ; 5 déc. 1990, n° 89-18.935, Bull. civ. II, n° 251 ; RTD civ. 1991. 354, obs. P. Jourdain ; 16 mai 1994, n° 92-17.135, Bull. civ. II, n° 129 [2 arrêts] ; R. p. 362). Cette preuve incombait, en l’espèce, aux trois victimes dont une, seulement, avait la qualité de conducteur.

Elle relève ensuite l’absence de contact entre les deux véhicules. Cette absence de contact, qui n’exclut pas l’implication du véhicule (Civ. 2e, 14 nov. 2002, n° 00-20.594, Bull. civ. II, n° 252), justifie le rappel de la charge de la preuve de l’implication puisque la haute juridiction la considère présumée en cas de heurt entre le véhicule et le siège du dommage (Civ. 2e, 25 janv. 1995, n° 92-17.164, Bull. civ. II, n° 27 ; GAJC, 11e éd., n° 220-222 [II] ; RTD civ. 1995. 382, obs. P. Jourdain ; Gaz. Pal. 1995. 1. 315, note F. Chabas ; 29 avr. 1998, n° 96-18.421, Bull. civ. II, n° 129 ; 5 nov. 1998, n° 96-20.243, Bull. civ. II, n° 261 ; D. 1998. 260 ; RTD civ. 1999. 121, obs. P. Jourdain ).

Elle confirme, enfin, que la valeur et la portée des éléments de preuves sont à l’appréciation souveraine des juges du fond auxquels ils sont soumis et que l’écart à gauche imputé au conducteur par les victimes mais contesté par celui-ci n’est confirmé par aucun témoin et aucun élément matériel. Il n’est donc pas établi. En conséquence, la preuve du rôle joué par le véhicule dans l’accident de circulation n’est pas rapportée.

Pour justifier la non-application de la loi, la deuxième chambre civile rappelle, d’une part, que ce n’est pas parce que ce véhicule est présent sur la voie de circulation et qu’il a été dépassé qu’il est impliqué dans l’accident (en ce sens, v. déjà Civ. 2e, 13 déc. 2012, n° 11-19.693, Dalloz actualité, 11 janv. 2013, obs. I. Gallmeister isset(node/156597) ? node/156597 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>156597 ; 8 juin 1994, n° 92-21.687, Bull. civ. II, n° 147). Elle ajoute, d’autre part, que les seules déclarations des victimes non confirmées par des éléments extérieurs (témoins, éléments matériels) sont insuffisantes à démontrer l’implication que le véhicule a pu avoir dans l’accident.

Ces précisions méritaient d’être apportées puisque le législateur ne donne aucune définition de l’implication, laissant une certaine souplesse à la notion et une grande marge de manœuvre au juge. Elle se distingue du lien de causalité exigé en droit commun entre la chose et le dommage. Elle serait plus large en ce qu’une causalité éventuelle suffit. Cependant, le lien de causalité, conditions constante de tout régime de responsabilité, doit rattacher le dommage à l’accident. La Cour de cassation faisant de l’imputabilité du premier au second une des conditions d’application de la loi du 5 juillet 1985 (le conducteur d’un véhicule impliqué dans un accident ne peut se dégager de son obligation d’indemnisation que s’il établit que cet accident est sans relation avec le dommage, v. Civ. 2e, 19 févr. 1997, n° 95-14.034, Bull. civ. II, n° 41 ; D. 1997. 384, note C. Radé ; JCP 1998. II. 10005, note P. Brun ; ibid. 1997. I. 4070, n° 32, obs. G. Viney ; RCA 1997, n° 163, note H. Groutel ; cette présomption d’imputabilité du dommage à l’accident ne s’applique toutefois pas quand un certain laps de temps sépare les deux, v. Civ. 2e, 24 janv. 1996, n° 94-13.678, Bull. civ. II, n° 15 ; D. 1997. 30 , obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 1996. 406, obs. P. Jourdain ; JCP 1996. I. 3944, n° 25, obs. G. Viney).

C’est au gré des arrêts que la jurisprudence précise ce que recouvre la notion d’implication.

Pour que le véhicule soit impliqué, il doit avoir joué un « rôle quelconque » dans la réalisation de l’accident (Civ. 2e, 15 mai 1992, n° 90-20.322, Bull. civ. II, n° 139 ; JCP 1992. I. 3625, n° 5, obs. G. Viney ; 1er avr. 1999, n° 97-17.867, Bull. civ. II, n° 62 ; D. 1999. IR 119 ; JCP 2000. I. 199, n° 21, obs. G. Viney ; 24 févr. 2000, n° 98-18.448, Bull. civ. II, n° 31 ; D. 2000. 93 ; RTD civ. 2000. 348, obs. P. Jourdain ; JCP 2000. I. 243, n° 32, obs. G. Viney ; 11 janv. 2001, n° 98-17.829, RCA 2001. Comm. 81) ou être intervenu « d’une manière ou d’une autre dans l’accident » (Civ. 2e, 28 févr. 1990, n° 88-20.133, D. 1991. 123, note J.-L. Aubert ; RTD civ. 1990. 508, obs. P. Jourdain ; Defrénois 1991. 360, obs. J.-L. Aubert) ou « à quelque titre que ce soit » (Civ. 2e, 16 mars 1994, n° 92-19.089, Bull. civ. II, n° 90 ; D. 1994. IR 96 ; JCP 1996. I. 3944, n° 21, obs. G. Viney ; 25 mai 1994, n° 92-19.200, Bull. civ. II, n° 132 ; D. 1994. IR 173  ; 28 juin 1995, n° 93-20.540, Bull. civ. II, n° 203 ; JCP 1996. I. 3944, n° 20, obs. G. Viney ; 2 avr. 1997, n° 95-13.303, Bull. civ. II, n° 100 ; 18 mars 1998, n° 96-13.726, Bull. civ. II, n° 88 ; RCA 1998. Chron. 14, par H. Groutel ; Civ. 2e, 6 janv. 2000, n° 97-21.360, Bull. civ. II, n° 1 ; D. 2000. 39 ; RTD civ. 2000. 348, obs. P. Jourdain ; 24 févr. 2000, n° 98-12.731, Bull. civ. II, n° 30 ; D. 2000. 86 ; RTD civ. 2000. 348, obs. P. Jourdain ; JCP 2000. I. 243, n° 32, obs. G. Viney ; 18 mai 2000, n° 98-10.190, Bull. civ. II, n° 79 ; RTD civ. 2000. 853, obs. P. Jourdain ; 12 oct. 2000, RCA 2001. Comm. 16, obs. H. Groutel).

En revanche, en refusant que l’implication soit subordonnée à la démonstration du rôle actif du véhicule (Civ. 2e, 4 déc. 1985, n° 84-13.226, Bull. civ. II, no 186 ; 16 déc. 1985, n° 83-15.991, Bull. civ. II, n° 96 ; 14 oct. 1987, n° 86-14.526, Bull. civ. II, n° 192) ou de son « rôle perturbateur » dans l’accident (Civ. 2e, 2 mars 2017, n° 16-15.562, Dalloz actualité, 21 mars 2017, obs. N. Kilgus isset(node/183853) ? node/183853 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>183853), la Cour a censuré l’audace des juges du fond qui ont essayé de conditionner davantage la notion. Elle distingue, comme le voulait le législateur, la loi du régime de responsabilité du fait des choses.

Si le simple rôle d’un véhicule dans l’accident suffit à caractériser son implication, encore faut-il qu’il en ait véritablement eu un. En l’espèce, on comprend aisément que de simples déclarations faites par les victimes, qu’elles soient conductrices ou non, contestées par le défendeur, ne peuvent suffire à faire la preuve de ce rôle. Certes, la loi est édictée en faveur des victimes mais elle reste, heureusement, soumise au respect du droit de la preuve.

En vertu des articles 6 et 9 du code de procédure civile, il appartient aux parties de prouver les faits qu’elles allèguent. En l’espèce, si les juges avaient admis, sur les simples déclarations de la conductrice et des passagères victimes, que le véhicule dépassé avait joué un rôle dans la survenance de l’accident, le régime d’indemnisation prévu par la loi serait, finalement, automatique en présence de n’importe quel accident de la circulation.

L’intérêt de l’arrêt du 26 octobre 2017 porte sur la matérialisation de l’implication du véhicule dans l’accident. Aussi large soit-elle, l’implication doit être matérialisée. Il revient aux victimes de démontrer matériellement la participation du véhicule à l’accident. Cette conception matérielle du rôle joué par le véhicule est une limite à l’application souple de la loi ; limite qui se comprend facilement au regard du droit de la preuve. L’exigence de la démonstration effective de l’implication vient contrebalancer l’absence d’exigence d’un rôle actif ou perturbateur du véhicule.