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Accouchement : portée de l’obligation d’information et conséquences de son inexécution

L’accouchement par voie basse qui constitue un événement naturel et non un acte médical ne dispense pas le professionnel de santé de son obligation d’information quant aux risques qu’il est susceptible de présenter. Si le risque se réalise, le défaut d’information cause à celui auquel elle était due un préjudice moral distinct des atteintes corporelles subies.

par Anaïs Hacenele 21 février 2019

Par un arrêt de cassation partielle rendu le 23 janvier 2019,  la première chambre civile de la Cour de cassation précise la portée de l’obligation d’information du professionnel de santé et rappelle les conséquences de son non-respect.

À la suite d’un accouchement par voie naturelle, l’enfant a conservé des séquelles liées à l’atteinte du plexus brachial imputées, selon les demandeurs, à la faute du gynécologue dans la conduite de l’accouchement et à un défaut d’information de sa part sur les risques de celui-ci. Assigné par l’enfant victime, son frère et leurs parents, le praticien a été condamné à réparer l’ensemble des préjudices consécutifs à l’absence fautive d’une césarienne malgré la présence d’un poids supérieur à 4 kg du fœtus, lequel correspond, médicalement, à une macrosomie fœtale.

La cour d’appel de Toulouse a toutefois écarté la réparation au titre d’un défaut d’information en ce que les risques liés à l’accouchement par voie basse ne découlent pas d’un acte médical mais d’un événement naturel. Par conséquent, la seule information légalement due à la mère portait sur le déclenchement de l’accouchement et non sur autre chose.

La Haute juridiction censure ce raisonnement au visa de l’article 1111-2 du code de la santé publique. Elle rappelle, dans un attendu de principe, l’étendue de l’obligation d’information du professionnel de santé.

La portée de l’obligation d’information vise à la fois ce sur quoi elle porte exactement mais également ses limites, c’est-à-dire là où elle s’arrête et quand elle n’est plus due.

Dans un premier temps, la Cour de cassation précise ce sur quoi porte l’information et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle renvoie à un large spectre tant elle est complète. Elle porte, de façon générale, sur l’état de santé du patient. Mais elle est encore plus précise. Le professionnel de santé doit informer le patient sur les investigations faites à propos de son état de santé, sur les différents traitements ou actes de prévention dont il peut bénéficier et plus spécifiquement encore sur leur utilité, leur urgence et leurs risques éventuels. Elle porte également sur d’autres solutions et les conséquences susceptibles d’en découler en cas de refus de la part du patient d’y recourir.

Dans un second temps, la première chambre civile relève les limites de l’obligation : où s’arrête-t-elle ? À partir de quand le médecin peut se taire sans violer son devoir de renseignement ? Généralement, il est dispensé d’exécuter cette obligation en cas d’urgence, lorsque le manque de temps ne lui permet pas d’informer le patient parce qu’il est tenu d’agir très vite et qu’expliquer les tenants et les aboutissants de l’acte médical aurait des conséquences négatives. Il est également autorisé à se taire en cas d’impossibilité d’informer le patient. On peut imaginer qu’il en va ainsi lorsque les risques ne sont par exemple pas connus.

Ramener au cas d’espèce, la Cour de cassation relève que même si l’accouchement par voie basse est un événement naturel et non un acte médical, il ne constitue pas une limite à l’obligation d’information du professionnel de santé. L’information peut tout à fait porter dessus, notamment lorsque cet accouchement comporte des risques en raison de l’état de santé de la mère ou du fœtus ou s’il existe des antécédents médicaux. Elle renseigne alors sur ce dont il faut tenir compte pour évaluer si l’obligation d’information est due ou non. Elle ajoute, qu’en l’espèce, le médecin aurait dû proposer une césarienne comme alternative en exposant les risques d’un accouchement naturel au regard du poids du fœtus.

C’est d’abord le Conseil d’État qui a posé cette règle en mettant un terme à l’hésitation des juges du fond sur la question de savoir si les risques liés à l’accouchement par voie basse entraient dans le champ d’application de l’obligation d’information prévue à l’article 1111-2 du code de la santé publique alors qu’il n’est pas un acte médical mais un événement naturel. Certaines cours administratives d’appel l’acceptaient (CAA Bordeaux, 14 nov. 2014) d’autres le refusaient (CAA Douai, 3 juill. 2007, n° 06DA01178, AJDA 2007. 1999 ; CAA Paris, 8 juin 2005, n° 01PA01720, Assistance publique - Hôpitaux de Paris c/ Martin, Lebon ). Il a décidé, dans un arrêt de principe, que l’information sur les risques liés à un accouchement par voie basse, bien que l’événement soit naturel, était due par les patriciens de santé au titre de leur obligation d’information (CE 27 juin 2016, n° 386165, Centre hospitalier de Poitiers, Lebon ; AJDA 2016. 1316 . Adde D. Roman, Les violences obstétricales, une question politique aux enjeux juridiques, RDSS 2017. 867 ).

S’opposant à certaines cours d’appel (Besançon, 12 juin 2014, n° 13/01372 ; Versailles, 26 juin 2014, n° 12/04994 : les risques susceptibles de résulter de l’accouchement ne relèvent pas d’obligation d’information mais de celle de délivrer des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données de la science) et suivant la décision de son homologue administratif, la Haute juridiction judiciaire étend à son tour le devoir d’informer le patient au-delà des actes médicaux stricto sensu. Les juges administratif et judiciaire font de l’aspect naturel de l’accouchement par voie basse un élément indifférent à l’application de l’obligation d’information due à la patiente.

Il résulte de cette décision que même un événement naturel tel qu’un accouchement par voie basse, entre dans le champ d’application de l’article 1111-2, précité.

L’affaire soulevait une seconde question concernant cette fois-ci les conséquences du non-respect de cette obligation et la nature des préjudices qui en découlent.

La cour d’appel saisie a également écarté une autre demande des victimes, lesquelles invoquaient l’existence d’un préjudice moral autonome d’impréparation aux conséquences de la réalisation des risques non exposés. Les juges d’appel ont estimé que ce préjudice ne résultait pas du défaut d’information ni pour la mère ni pour l’enfant, mais qu’il était lié aux complications de l’accouchement imputées à l’absence de césarienne laquelle n’était pas due au défaut d’information mais à la faute du médecin.

Sur ce point, la Cour de cassation censure également l’arrêt d’appel. Elle rappelle que le défaut d’information cause à celui auquel l’information est due, quand le risque se réalise, un préjudice moral distinct des atteintes corporelles subies. Ce préjudice moral s’analyse en un défaut de préparation à l’éventualité que ce risque survienne dont l’appréciation de l’étendue relève du pouvoir souverain des juges du fond. Elle reconnaît que le défaut d’information, en plus des conséquences dommageables corporelles qu’il peut engendrer, peut aussi causer un préjudice distinct, à part, de nature morale qui correspond à une impréparation pour la victime aux conséquences du risque encouru et qui s’est effectivement réalisé.

Initialement, la Cour de cassation sanctionnait le non-respect du devoir d’information du praticien quant aux risques liés à l’acte médical sur le fondement d’une perte d’une chance, chance qu’aurait eue le patient d’éviter que le risque se réalise en refusant l’acte (Civ. 1re, 7 févr. 1990, n° 88-14.797, D. 1991. 183 , obs. J. Penneau ; RTD civ. 1992. 109, obs. P. Jourdain ; 7 déc. 2004, n° 02-10.957, D. 2005. 409 ; ibid. 403, obs. J. Penneau ; RCA 2005. Comm. 60 ; 6 déc. 2007, n° 06-19.301, D. 2008. 192 , note P. Sargos ; ibid. 804, chron. L. Neyret ; ibid. 2894, obs. P. Brun et P. Jourdain ; ibid. 2009. 1302, obs. J. Penneau ; RTD civ. 2008. 272, obs. J. Hauser ; ibid. 303, obs. P. Jourdain ). La difficulté était telle que cette perte de chance n’était présente que dans le cas où une chance existait vraiment. Ce qui n’était le cas que s’il y avait une alternative à la solution proposée. Dès lors que l’intervention pratiquée s’était avérée nécessaire, le préjudice ou le lien de causalité n’existait pas (Civ. 1re, 7 oct. 1998, n° 97-10.267, D. 1999. 145 , note S. Porchy ; ibid. 259, obs. D. Mazeaud ; RDSS 1999. 506, obs. L. Dubouis ; RTD civ. 1999. 83, obs. J. Mestre ; ibid. 111, obs. P. Jourdain ; 20 juin 2000, n° 98-23.046, D. 2000. 471, et les obs. , obs. P. Jourdain ; RDSS 2000. 729, obs. L. Dubouis ; Defrénois 2000. 1121, obs. D. Mazeaud).

En 2010, la Cour de cassation décide que le non-respect du devoir d’information cause à celui auquel l’information était légalement due un préjudice que « le juge ne peut laisser sans réparation » (Civ. 1re, 3 juin 2010, n° 09-13.591, Dalloz actualité, 21 juin 2010, obs. I. Gallmeister , note C. Lantero ; D. 2010. 1522, note P. Sargos ; ibid. 1801, point de vue D. Bert ; ibid. 2092, chron. N. Auroy et C. Creton ; ibid. 2011. 35, obs. P. Brun et O. Gout ; ibid. 2565, obs. A. Laude ; RDSS 2010. 898, note F. Arhab-Girardin ; RTD civ. 2010. 571, obs. P. Jourdain ). Cette fois-ci la difficulté portait sur la nature du préjudice évoqué qui n’était pas précisée.

Un débat doctrinal s’en est suivi. Les uns y voyant un « préjudice moral inhérent à un nouveau droit subjectif, le droit à l’information du patient » (S. Porchy, Le lien causal, préjudices réparables et non-respect de la volonté du patient, D. 1998. Chron. 379 ; S. Hocquet-Berg, Les sanctions du défaut d’information en matière médicale, Gaz. Pal. 1998. 2. 1121 ; L. Guignard, Les ambiguïtés du consentement à l’acte médical, RRJ 2000. 45 s., spéc. 63), les autres un préjudice dit « d’impréparation » (M. Penneau, D. 1999. 46, note ss Angers, 11 sept. 1998 ; M. Bacache, Pour une indemnisation au-delà de la perte de chance, D. 2008. 1908 ; P. Jourdain, Préjudice réparable en cas de défaut d’information médicale : la Cour de cassation réoriente sa jurisprudence, RTD civ. 2014. 379 ).

Le choix entre les deux types de préjudice n’est pas anodin. Il induit des conséquences. Alors que « le préjudice moral inhérent à la violation d’un droit à l’information impose une réparation quelle que soit l’issue de l’intervention et que les risques se réalisent ou non, la reconnaissance d’un préjudice d’impréparation postule la réalisation des risques » (P. Jourdain, préc). La Cour de cassation s’est d’abord prononcer en faveur de la première analyse (Civ. 1re, 12 janv. 2012, n° 10-24.447 ; 26 janv. 2012, n° 10-26.705 ; 12 juin 2012, n° 11-18.327, Bull. civ. I, n° 129 ; Dalloz actualité, 25 juin 2012, obs. J. Marrocchella , note A. Laude ; ibid. 2013. 40, obs. P. Brun et O. Gout ; RDSS 2012. 757, obs. F. Arhab-Girardin ; RCA 2012. Comm. 245, obs. S. Hocquet-Berg ; Gaz. Pal. 18-19 juill. 2012, note M. Bacache et 26-27 sept. 2012, obs. M. Mekki ; RDC 2013. 1195, obs. S. Carval ; JCP 2012, n° 987, note O. Gout ; CCC 2012. Comm. 225, obs. L. Leveneur) avant de finalement retenir la seconde conception dans un arrêt de 2014 (Civ. 1re, 23 janv. 2014, n° 12-22.123, Dalloz actualité, 5 févr. 2014, obs. N. Kilgus ; ibid. 584, avis L. Bernard de la Gatinais ; ibid. 590, note M. Bacache ; ibid. 2021, obs. A. Laude ; ibid. 2015. 124, obs. P. Brun et O. Gout ; RDSS 2014. 295, note F. Arhab-Girardin ; RTD civ. 2014. 379, obs. P. Jourdain ; JCP 2014, n° 446, note A. Bascoulergue ; ibid., n° 124, obs. C. Quezel-Ambrunaz ; RCA 2014. Comm. 116, obs. S. Hocquet-Berg ; Gaz. Pal. 16-17 avr. 2014, obs. M. Mekki).

Désormais, le défaut d’information quant aux risques liés aux actes médicaux pratiqués peut être la cause d’un préjudice d’impréparation, à la condition que le risque se réalise (Civ. 1re, 25 janv. 2017, n° 15-27.898, Dalloz actualité, 13 févr. 2017, obs. N. Kilgus , note M. Ferrié ; ibid. 2224, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; RDSS 2017. 716, note D. Cristol ; RTD civ. 2017. 403, obs. P. Jourdain ). Et par le recours à l’adverbe « indépendamment » pour viser les préjudices de perte de chance et d’impréparation, la Cour de cassation admet que « l’indemnisation de la perte d’une chance est cumulable avec celle du nouveau préjudice » (P. Jourdain, préc. ; v. égal., C. Quezel-Ambrunaz, JCP 2014, n° 124 ; Civ. 1re, 25 janv. 2017, préc).

La décision du 23 janvier 2019 confirme l’existence du préjudice d’impréparation et rappelle surtout son caractère autonome. Il mérite une indemnisation à part entière, indépendamment de préjudices corporels et de la perte de chance.