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Achats de votes à Corbeil : « Ce dossier, c’est une poubelle probatoire ! »

Après les réquisitions, les avocats des prévenus qui ont plaidé ce jour devant la 32e chambre du tribunal correctionnel ont tous demandé la relaxe de leurs clients. La décision a été mise en délibéré au 17 décembre 2020.

par Julien Mucchiellile 4 novembre 2020

Le procureur de la République ayant consacré une grande partie de ses réquisitions à décrire un système clientéliste dont Serge Dassault serait l’incontestable chef, il a semblé judicieux aux avocats de la défense de démystifier le tribunal, qui pourrait être tenté de croire l’accusation. Yann Prévost, avocat de Christelle de Oliveira, a plaidé dans la foulée, lundi soir, filant la métaphore monstrueuse : « On essaie de faire de Serge Dassault une sorte de croquemitaine dont le spectre plane sur le dossier », dit-il. Les choses sont plus prosaïques. L’action se déroule à Corbeil-Essonnes, une jeune femme se lance en politique et attire la bienveillance du vieux, riche, puissant, charismatique leader politique de sa ville, qui lui propose de se présenter face à Manuel Valls. « On a la faiblesse de céder à cette proposition facile, et on se met en situation de fraude électorale », explique l’avocat, car Serge Dassault a alors naturellement financé la campagne de Christelle de Oliveira. Pour ce fait, elle sera condamnée, l’avocat ne le conteste pas. Mais il conteste en revanche que le don de 450 000 € reçu sur son compte portugais soit autre chose qu’un « don pur et simple », car il n’y a aucun moyen de raccrocher cela à une contrepartie, dit-il. Il a averti le tribunal : « Ne faites pas l’erreur de croire que votre décision doit être le fondement d’une exemplarité de la vie politique car, au nom des grands principes, on fait n’importe quoi. Et si on se présente devant vous avec une telle solennité, c’est que nous pensons qu’il n’y a aucune démonstration qui est faite », a-t-il plaidé.

Me David-Olivier Kaminski a ensuite raconté l’histoire de son client. Younès Bounouara a une vingtaine d’années lorsqu’il rencontre Serge Dassault, qui, en visite aux Tarterêts, se fait caillasser par les jeunes du quartier. Bounouara les arrête. « Avec Younès, quand on était élu municipal, on ne se faisait pas caillasser quand on entrait dans la cité. » Entre « SD », surnom donné par Bounouara à Serge Dassault, et lui, s’est nouée une relation particulière. « Younès n’est dans aucun organigramme : il n’est pas l’un de ses collaborateurs de son entreprise, pas de la mairie, ni l’un des colistiers, rien sinon ce “leader positif” – surnom de Bounouara – qu’on va utiliser ». « Younès était celui qui disait la vérité à Serge, il était celui qui lui expliquait les pièges, les chausse-trappes dans cette cité des Tarterêts. » Sur le dossier lui-même, Me Kaminski ne dit qu’une chose : l’argent que Bounouara a perçu, il l’a gardé pour lui. Il demande la relaxe mais demande qu’en cas de décision contraire, le tribunal opère une confusion de peine avec celle qu’il purge actuellement (quinze ans de réclusion criminelle).

L’avocat de Machiré Gassama, Pierre Combles de Nayves, a haussé le ton et hissé le niveau. « Je voulais revenir sur les propos qu’a tenus hier monsieur le procureur de la République, lorsqu’après un certain nombre de citations, il a décidé de requérir la peine de cinq ans d’emprisonnement contre Serge Dassault, mort. Hier, le ministère public évoquait Shakespeare, permettez-moi de lui répondre par Sophocle, car j’ai pensé à Créon qui refusait la dignité du mort parce qu’il était du camp adverse. Il y a des lois sacrées, on ne juge pas les morts, laissez les morts en paix. Il y a dans cette salle des gens qui auraient pu invoquer Serge Dassault, le charger pour se déculpabiliser, mais, voyez-vous, il y a une dignité dans cette défense. »

L’avocat a ensuite dénigré le travail de démonstration juridique de l’accusation. « La présomption d’innocence impose à l’accusation la charge de la preuve. Cela suppose la qualité de la preuve, et cela veut dire qu’elle doit être probante. Ce dossier, c’est une poubelle probatoire. On a décidé d’accepter de faire du tribunal correctionnel la caisse de résonance des rumeurs », fustige-t-il. Ironique : « Ne vous ennuyez pas à aller chercher la responsabilité personnelle de chacun, ce n’est pas nécessaire, il y a un système ! » Désabusé : « Pourquoi cet effort de démonstration n’a pas été fait ? Pourquoi ? Parce qu’il y a la conviction absolue qu’ils sont tous coupables, et qu’on trouvera bien une infraction à leur coller. » Enfin, juridique : « Machiré Gassama est prévenu de blanchiment et recel de financement illégal de fraude électorale : le délit de campagne électorale n’est pas générateur de revenus, l’infraction de recel ne peut pas être constituée si l’infraction principale ne génère pas de produit ». Sur le blanchiment : « On raisonne de la même manière pour le blanchiment, on ne blanchit qu’une infraction qui génère un profit. Juridiquement, cette qualification n’est pas possible ». Et enfin sur le blanchiment de fraude fiscale : « De quelle fraude fiscale on me parle ? De celui qui a transmis les fonds ? Qui a reçu les fonds ? » Ce n’est pas précisé dans la prévention, dit-il.

Me Julien Andrez plaide pour Jacques Lebigre. Lui aussi pense que le dossier est vide. « Sur six heures, plus de cinq heures et demie ont été consacrées à des affirmations juridico-philosophiques pour tenter de justifier que le délit d’achat de vote est un délit grave. Ce débat est vain. Évidemment que les faits sont graves, s’ils sont avérés. Cette technique oratoire, c’est d’essayer d’alourdir le climat », et d’emporter par l’émotion une culpabilité qui n’est pas juridiquement démontrée, dit-il.

Enfin, Me Sébastien Schapira a plaidé pour Jean-Pierre Bechter. D’abord, il a parlé au tribunal. « Je voudrais partager avec vous mon malaise, le malaise que j’ai eu à voir votre tribunal. Je suis là pour vous convaincre et j’ai besoin d’être convaincu que vous m’écoutez. Dès le premier jour, on avait fait des conclusions de nullité, on les a plaidés, et, Madame le Président, vous avez dit : “le tribunal part délibérer cinq minutes”. Cela m’a tout de suite scotché, car je ne vois pas comment une juridiction collégiale peut savoir après nos plaidoiries qu’elle aura besoin de cinq minutes. En tant qu’avocat, en tant que prévenu, on a besoin d’être respecté. J’ai eu l’impression qu’à chaque fois qu’on voulait prendre la parole, qu’on voulait faire un pas vers la manifestation de la vérité, nous n’étions pas écoutés. »

L’avocat déplore que le parquet n’ait pas vraiment évoqué son client, qui finalement n’a été qu’un « substitut », pense-t-il, pour pallier la mort du principal mis en cause. « On a fait une demi-heure de philosophie politique, on est fatigué, pas le temps de faire du droit », a-t-il lancé à l’adresse du procureur. Alors, Sébastien Schapira a fait du droit.

L’infraction de recel détention d’achat de votes : elle ne peut pas être constituée, Monsieur Bechter n’ayant jamais détenu, dissimulé ou transmis une quelconque chose résultant d’une hypothétique infraction d’achat de votes. Dans ses réquisitions à l’audience, le ministère public soutient pourtant que monsieur Jean-Pierre Bechter se serait rendu coupable de recel détention en ce qu’il aurait détenu des dons et promesses ou les aurait transmis à des tiers, se faisant l’intermédiaire entre monsieur Serge Dassault et les électeurs visés. Or les dons, promesses ou libéralités sont l’un des éléments constitutifs de l’infraction d’achat de votes, c’est en effet le moyen de l’existence de ce délit. Il ne s’agit pas du produit de cette infraction qui, à ce stade, n’est pas encore consommée.

Me Schapira estime que le parquet, par « cette façon de faire des va-et-vient entre les qualifications retenues, de tordre le droit et de proposer des lectures inédites et désarticulées des infractions d’achat de votes et de recel n’a manifestement qu’un seul but, revendiqué à l’audience : retenir à tout prix monsieur Bechter dans les liens de la prévention du délit de recel, plus sévèrement puni que le délit d’achat de votes ».

Me Schapira conteste également que le recel reproché à son client puisse être un recel d’usage, car l’infraction originaire ne serait pas constituée. Les achats de votes supposent qu’une convention préalable ait existé entre Serge Dassault et les personnes bénéficiaires des dons. Or aucune contrepartie à ces dons n’a pu être établie par l’accusation. « Les affirmations de ces personnes consistant à soutenir que des fonds leur auraient été versés par Serge Dassault afin d’obtenir que les électeurs de la ville de Corbeil-Essonnes votent pour lui ne sont corroborées par aucun élément matériel probant », dit-il, alors qu’il est établi que des dons ont bénéficié à de nombreuses personnes, indépendamment de leur inscription ou non sur les listes électorales. La présence de son nom sur le listing des Pinsons, le siège de campagne, n’est pas une preuve en soi, plaide-t-il, rappelant que de nombreuses personnes figurant sur cette liste n’ont pas été interrogées. Enfin, il manque un élément matériel (le fait d’avoir bénéficié du produit de l’infraction d’origine) et l’élément intellectuel (le fait d’avoir connaissance de la provenance illicite du produit dont il tire profit).

Enfin, Jean-Pierre Bechter s’est approché de la barre, et, détachant ses mots avec difficultés, il a dit : « Je n’ai jamais péché, je suis innocent de tout ce que l’on m’accuse de manière fallacieuse. »

La décision sera rendue le 17 décembre.

 

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