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Action de groupe : étendue du pouvoir de vérification du juge de la mise en état

S’il revient au juge de la mise en état de vérifier que l’assignation délivrée sur le fondement de l’article L. 423-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2015-1268 du 14 octobre 2015, expose expressément des cas individuels au sens de l’article R. 423-3, devenu R. 623-3 du même code, il ne lui appartient pas d’en apprécier la pertinence.

par Mehdi Kebirle 16 juillet 2018

Cet arrêt rendu par la première chambre civile le 27 juin 2018 fera assurément date en ce qu’il constitue la première décision rendue par la Cour de cassation sur l’action de groupe consacrée par la loi dite « Hamon » du 17 mars 2014 aux articles L. 423-1 et suivants du code de la consommation (devenus les articles L. 623-1 et suivants du même code). C’est sans doute ce qui explique la large diffusion qui en a été faite.

Dans cette affaire, il s’agissait d’une association ayant assigné, sur le fondement de l’article L. 423-1 du code de la consommation, dans sa rédaction initiale, c’est-à-dire antérieure à celle issue de la loi n° 2015-1268 du 14 octobre 2015, un souscripteur et un assureur dans le but d’obtenir la réparation de divers préjudices subis par un groupe d’adhérents et de bénéficiaires d’un contrat d’assurance sur la vie dénommé « contrat compte libre d’épargne et de retraite ».

Les défendeurs et l’assureur ont saisi le juge de la mise en état aux fins de voir annuler l’assignation. Le magistrat instructeur a rejeté cette demande et une cour d’appel a confirmé son ordonnance. Les juges du fond ont retenu que les arguments du demandeur, tenant à l’absence de représentativité des cas individuels exposés dans l’assignation arguée de nullité et à la diversité des conditions générales des contrats d’assurance applicables à ceux-ci, constituent des moyens sur lesquels le juge de la mise en état ne pouvait se prononcer. Autrement dit, les arguments étaient « des moyens de fond » qui ne sauraient être examinés dans le cadre de la mise en état. Pour les juges d’appel, le seul rappel du déroulement de la procédure de cette action spécifique démontrait que la pertinence des cas individuels exposés dans l’assignation ne pouvait être examinée par le juge de la mise en état puisque tel est précisément l’objet de la première phase de la procédure de cette action (Versailles, 3 nov. 2016, n° 16/00463, D. 2017. 630 , note B. Javaux ). Le raisonnement est convaincant dans la mesure où le dispositif légal des actions de groupe prévoit effectivement que l’examen de tous les moyens de défense opposés par le professionnel relatifs à la mise en cause de sa responsabilité, à la définition du groupe de consommateurs à l’égard desquels sa responsabilité est engagée, aux critères de rattachement à ce groupe, aux préjudices susceptibles d’être réparés et à leur montant relève de cette première phase dont le seul juge est la juridiction saisie au fond et en aucun cas le juge de la mise en état.

Un pourvoi en cassation a été formé. Les demandeurs reprochaient en substance au juge de la mise en état, et par suite à la cour d’appel, de ne pas exercer la plénitude de ses attributions telles qu’elles lui sont dévolues par les articles L. 423-1 et R. 423-3 du code de la consommation. Le premier de ces textes précise le domaine d’application de l’action de groupe en conférant qualité pour agir aux associations de défense des consommateurs représentatives au niveau national agréées en application de l’article L. 411-1 et en limitant cette action à la réparation des préjudices individuels subis par des consommateurs « placés dans une situation similaire ou identique et ayant pour cause commune un manquement d’un ou des mêmes professionnels à leurs obligations légales ou contractuelles ». Le second, devenu l’article R. 623-3 du même code, disposait quant à lui qu’outre les mentions prescrites aux articles 56 et 752 du code de procédure civile, l’assignation expose expressément, à peine de nullité, les cas individuels présentés par l’association au soutien de son action. C’est du reste cette même exigence qui se retrouve aujourd’hui dans le socle commun aux actions de groupe créé par le décret n° 2017-888 du 6 mai 2017 en application de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2018, dite « loi J21 ». L’article 826-4 du code de procédure civile dispose, de façon générale, que l’assignation doit exposer expressément, à peine de nullité, les cas individuels présentés par le demandeur au soutien de son action.

Le raisonnement des demandeurs se drapait des allures d’un syllogisme rigoureux : l’instruction de la demande est confiée au juge de la mise en état auquel il appartient de se prononcer sur les exceptions de procédure ; constitue une telle exception le moyen tiré de la nullité de l’assignation ; partant, les cas individuels choisis par l’association, qui doivent être représentatifs du groupe et des types de cas sur la base desquels l’action est engagée, doivent être appréciés par le juge de la mise en état. En refusant de procéder à cette appréciation, les juges du fond ont méconnu les pouvoirs qui leur sont dévolus.

L’argumentation ne séduit pourtant pas la haute juridiction qui rejette le pourvoi en relevant que, s’il revient au juge de la mise en état de vérifier que l’assignation délivrée sur le fondement de l’article L. 423-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2015-1268 du 14 octobre 2015, expose expressément des cas individuels au sens de l’article R. 423-3, il ne lui appartient pas d’en apprécier la pertinence. C’est donc à bon droit que les juges du fond ont estimé que l’absence éventuelle de représentativité des cas individuels exposés dans l’assignation arguée de nullité, de même que la diversité des conditions générales des contrats d’assurance applicables à ceux-ci constituent des moyens sur lesquels le juge de la mise en état ne peut se prononcer.

La solution retenue s’inscrit dans le droit fil de plusieurs décisions de cours d’appel, celle ayant donné lieu au pourvoi formé mais aussi un arrêt de la cour d’appel de Paris qui avait été saisie d’une action de groupe mettant en cause un opérateur téléphonique. La juridiction du fond avait par la suite relevé la présence au sein de l’assignation d’un exposé détaillé de dix-sept cas individuels de consommateurs concernés par l’action de groupe introduite avec indication de l’identité et du domicile de chaque personne, du type de contrat souscrit, de la date de cette souscription, etc. Pour la juridiction, le rôle du juge de la mise en état consistait simplement à vérifier la présence de cet exposé des moyens développés et son caractère suffisamment précis et détaillé, le but étant de permettre à la société défenderesse de connaître exactement tant en fait qu’en droit ce qui lui est reproché et de se défendre. Toute appréciation allant au-delà de cet examen relève finalement du fond car elle se rattache aux conditions de mise en œuvre de la responsabilité du professionnel et dépasse par conséquent la compétence du juge de la mise en état (Paris, pôle 2 - ch. 2, 20 avr. 2017, n° 16/09997, B. Javaux, De la difficulté d’obtenir la nullité de l’assignation en action de groupe, RLDC 2017/154, n° 6388).

À défaut de résulter de la lettre des textes, cette positon apparaît conforme à l’esprit du mécanisme mis en place par la loi du 17 mars 2014. La circulaire du 26 septembre 2014 de présentation des dispositions de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation et du décret n° 2014-1081 du 24 septembre 2014 relatif à l’action de groupe en matière de consommation souligne elle-même que l’exposé des cas individuels a pour but de permettre à toutes les parties au litige, en premier lieu au défendeur, de s’assurer qu’il existe bien plusieurs consommateurs ayant subi un préjudice réparable dans le cadre de cette action et que les conditions de l’action de groupe sont donc bien remplies, « et ce au stade le plus précoce de l’action », c’est-à-dire dès l’acte introductif d’instance. Il n’est nullement question pour lui de s’enquérir de la pertinence de l’action, uniquement de déterminer si les conditions minimales d’une action de groupe sont réunies, à charge pour le juge saisi au fond d’en apprécier les mérites. Le juge de la mise en état ne saurait aucunement empiéter sur cette appréciation en exerçant des prérogatives qu’il n’a pas. Procédant aux contrôles de l’assignation, il doit simplement délivrer une sorte de "certification" de l’action » (sur l’utilisation de cette formule qui nous semble expressive, v. S. Amrani-Mekki, Action de groupe, mode d’emploi, Procédures n° 12, déc. 2014, étude 16) dès lors qu’il lui apparaît que les cas individuels auront été correctement exposés.

À l’analyse, l’approche restrictive des prérogatives du juge de la mise en état qui transparaît de cette décision se montre respectueuse de son office. Ce juge n’est pas un concurrent de la juridiction saisie au fond mais un auxilliaire. Sa mission consiste à préparer le jugement, en exerçant ses prérogatives de pure « administration » de l’instance mais aussi, en tant que juridiction, en purgeant le litige de son contentieux accessoire, relatif, notamment, aux exceptions de procédure. Son intervention vise, littéralement, à mettre l’affaire en état d’être jugée, c’est-à-dire à s’assurer qu’elle soit suffisamment instruite pour être bien jugée par la juridiction saisie au fond.

Cette économie de la fonction du juge de la mise en état est respectée par la décision rapportée. Le juge de la mise en état reste le juge de la régularité de l’assignation. Il doit vérifier si elle contient toutes les mentions obligatoires prescrites par les textes, étant entendu que l’absence d’une telle mention constitue un vice de forme pouvant conduire à la nullité de l’acte à condition de justifier d’un texte et d’un grief (C. pr. civ., art. 114). L’intervention du juge de la mise en état en ce qui concerne les cas individuels développés par le demandeur dans l’assignation se limite à ce que l’on pourrait nommer un contrôle léger, c’est-à-dire à un contrôle de la simple présence de cet exposé, ni plus ni moins. Il s’agit d’un simple contrôle du formalisme requis par la loi concernant la possibilité d’introduire une action de groupe. Par la suite, la juridiction saisie au fond pourra procéder au contrôle qui lui est dévolu, un contrôle lourd portant sur l’examen de la pertinence de l’action au regard des cas individuels exposés. Ainsi envisagée, la division du travail juridictionnel que retient la haute juridiction constitue un partage équilibré, respectueux des offices de chacun : au juge de la mise en état l’appréciation de la régularité formelle de assignation ; à la juridiction saisie au fond l’examen de la recevabilité de l’action de groupe et de son bien-fondé.

En définitive, cet arrêt confirme l’appréciation d’un auteur qui estimait que « les spécificités de cette procédure ne modifient pas les attributions du juge de la mise en état » (B. Javaux, Action de groupe : libres propos autour de l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 3 novembre 2016, D. 2017. 630 ). L’examen des cas individuels exposés dans l’assignation ne saurait faire de lui un juge du fond de l’affaire ou de sa recevabilité et c’est très bien ainsi. Reste toutefois une question centrale, celle de la nature juridique, sur le plan procédural, de ces « cas individuels » exposés dans l’assignation. Voici une exigence procédurale dont la nature pourrait varier selon le juge qui l’envisage.