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Action en référé d’une organisation internationale : application du règlement Bruxelles I bis

Dans un arrêt du 3 septembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne se penche, à propos de la détermination du juge compétent dans l’Union, sur la qualification d’une action en référé engagée par une organisation internationale appartenant à l’OTAN.

par François Mélinle 23 septembre 2020

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a été saisie d’une affaire originale.

Le 20 décembre 2001, le conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies a autorisé la création de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), en vue de renforcer la sécurité en Afghanistan. À compter du 11 août 2003, l’OTAN a assuré le commandement stratégique et la direction de la FIAS.

Dans le cadre d’accords conclus en 2006 et 2007, trois sociétés, établies en Suisse, en Allemagne et aux Émirats arabes unis ont fourni des carburants, pour les missions de la FIAS, au Commandement suprême des forces alliées en Europe (SHAPE), qui est l’un des deux états-majors militaires stratégiques de l’OTAN et qui est situé à Mons en Belgique. Le SHAPE est une organisation internationale et dispose à Brunssum, aux Pays-Bas, d’un quartier général régional, le commandement des forces interarmées Brunssum (JFCB).

Les accords de 2006 et 2007 venant à leur terme en 2014, les trois sociétés et le JFCB ont signé une convention de séquestre pour garantir le paiement des frais résultant de ces accords.

En raison d’un trop-perçu, les trois sociétés devaient rembourser une somme de 122 millions de dollars à l’OTAN, montant qui a été versé sur un compte séquestre ouvert à Bruxelles.

Les trois sociétés ont ensuite assigné, au fond, le SHAPE et le JFCB devant un juge néerlandais, en faisant valoir qu’ils n’avaient pas respecté leurs obligations de paiement. Le SHAPE et le JFCB ont alors soulevé une exception d’incompétence devant ce juge, en se prévalant d’une immunité de juridiction.

Parallèlement, les trois sociétés ont saisi le juge néerlandais en référé et obtenu l’autorisation de pratiquer une saisie-arrêt conservatoire sur le compte ouvert à Bruxelles.

Invoquant son immunité d’exécution, le SHAPE a alors saisi le juge des référés néerlandais afin d’obtenir la mainlevée de cette saisie ainsi que l’interdiction pour les trois sociétés de procéder à une nouvelle saisie conservatoire.

La Cour de justice a, quant à elle, été saisie, au regard des dispositions du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Il s’agissait de déterminer si l’action en référé relevait bien de la notion de matière civile et commerciale, qui est utilisée par l’article 1, § 1, du Règlement pour définir son champ d’application : « le règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne s’applique notamment ni aux matières fiscales, douanières ou administratives ni à la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (acta jure imperii) ».

La particularité de l’affaire tenait au fait qu’il s’agissait d’une action en référé engagée par une organisation internationale invoquant son immunité d’exécution, ce qui devait conduire à qualifier l’objet de cette action et à déterminer si l’existence d’une telle immunité avait ou non une incidence.

Sur le premier point, l’arrêt relève que l’objet de l’action est, en l’espèce, l’obtention de mesures provisoires et qu’il y a donc lieu de considérer qu’elle porte sur les mesures visées par l’article 35 du Règlement, qui dispose que « les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent être demandées aux juridictions de cet État, même si les juridictions d’un autre État membre sont compétentes pour connaître du fond ». À ce sujet, il est utile de rappeler qu’il a déjà été jugé qu’il convient d’entendre par « mesures provisoires ou conservatoires » les mesures qui, dans les matières relevant du champ d’application du règlement, sont destinées à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder des droits dont la reconnaissance est, par ailleurs, demandée au juge du fond (CJCE 26 mars 1992, Reichert et Kockler, aff. C-261/90, pt 34, D. 1992. 131 ; Rev. crit. DIP 1992. 714, note B. Ancel ; JDI 1993. 461, obs. A. Huet). On sait également qu’il est acquis que, pour déterminer si des mesures provisoires ou conservatoires relèvent du champ d’application du Règlement, il faut prendre en considération non pas leur nature propre mais la nature des droits dont elles assurent la sauvegarde (CJCE 27 mars 1979, de Cavel, aff. C-143/78, pt 8, Rev. crit. DIP 1980. 614, note Droz ; JDI 1979. 681, obs. Huet ; 26 mars 1992, préc., pt 32).

Sur le second point, il a déjà été jugé que si certains litiges opposant une autorité publique à une personne de droit privé peuvent relever de la matière civile et commerciale au sens du Règlement lorsque le recours juridictionnel porte sur des actes accomplis iure gestionis, il en est autrement lorsque l’autorité publique agit dans l’exercice de la puissance publique (CJUE 7 mai 2020, Rina, aff. C-641/18, pt 33, Dalloz actualité, 28 mai 2020, obs. F. Mélin ; AJDA 2020. 1652, chron. P. Bonneville, C. Gänser et S. Markarian ; D. 2020. 1039 ). La Cour considère, en l’espèce, que cette jurisprudence est transposable dans le cas où le privilège tiré de l’immunité est invoqué par une organisation internationale, peu important que les immunités des organisations internationales soient, en principe, conférées par leurs traités constitutifs (arrêt, pt 61).

Au regard de ces éléments, la Cour retient qu’une action en référé, introduite devant une juridiction d’un État membre, dans le cadre de laquelle une organisation internationale invoque son immunité d’exécution afin d’obtenir tant la mainlevée d’une saisie-arrêt conservatoire, exécutée dans un État membre autre que celui du for, que l’interdiction de pratiquer de nouveau une telle saisie sur le fondement de mêmes faits, et engagée parallèlement à une procédure au fond portant sur une créance résultant d’un non-paiement allégué de carburants fournis pour les besoins d’une opération de maintien de la paix assurée par cette organisation, relève de la notion de « matière civile ou commerciale », pour autant que cette action n’est pas exercée en vertu de prérogatives de puissance publique.