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Action en responsabilité personnelle des tiers contre le dirigeant d’une société en liquidation judiciaire

La recevabilité d’une action en responsabilité personnelle engagée par un créancier contre le dirigeant d’une société en procédure collective, pour des faits antérieurs au jugement d’ouverture, est subordonnée à l’allégation d’un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d’une faute du dirigeant séparable de ses fonctions. Ne donne pas de base légale à sa décision la cour d’appel qui ne recherche pas, comme elle y était invitée, si les fautes imputées au dirigeant n’étaient pas à l’origine d’un préjudice moral dont la réparation était étrangère à la reconstitution du gage commun des créanciers et si elle n’échappait pas en conséquence au monopole d’action du liquidateur.

La liquidation judiciaire d’une société a généralement pour cause de multiples facteurs, parmi lesquels se retrouve souvent la gestion malheureuse, défectueuse, voire malhonnête, des dirigeants sociaux. Les créanciers et les associés, soucieux de trouver un débiteur – et un patrimoine – solvable au côté de la société en difficulté, et souvent également désireux de confronter le dirigeant à ses actes pour lui en faire supporter les conséquences, n’hésitent pas à engager des actions en responsabilité à son encontre. Il convient alors de distinguer selon que le titulaire de l’action recherche la réparation d’un préjudice qui est en fait commun à la collectivité des créanciers ou des associés ou, au contraire, d’un préjudice personnel, comme cela était le cas en l’espèce.

Une SARL, créée par M. X. qui en était associé majoritaire et gérant et Mme X. associée minoritaire, a été placée en redressement judiciaire en octobre 2013, avant que ne soit prononcée sa liquidation judiciaire le 24 février 2015. En juillet 2015, Mme X. assigne M. X. ainsi que l’expert-comptable de la société, Mme Y., qui avait notamment été chargée des formalités de constitution, afin d’obtenir leur condamnation solidaire au paiement de diverses sommes en réparation de son préjudice matériel et moral. Par un arrêt du 30 juin 2021, la Cour d’appel de Nîmes (Nîmes, 30 juin 2021, n° 21/00016) déclare irrecevables les demandes de Mme X. au titre du préjudice moral aux motifs que celui-ci n’était qu’une conséquence de son préjudice financier. Cette dernière forme alors un pourvoi en cassation et sur le fondement d’un moyen divisé en plusieurs branches, dont seule la quatrième est retenue par la Cour de cassation, reproche à la cour d’appel d’avoir privé sa décision de base légale au regard des articles L. 223-22, L. 622-20 et L. 641-1 du code de commerce en ne recherchant pas si Mme X. ne fondait pas sa demande en réparation du préjudice moral sur la violence du comportement de M. X. à l’occasion de sa gestion de la société, et notamment sur l’embauche de plusieurs de ses maîtresses conjointement avec son épouse, ainsi que sur sa violence verbale attestée par un expert.

La chambre commerciale de la Cour de cassation, par cet arrêt – non publié – du 24 mai 2023, casse partiellement l’arrêt d’appel en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande de Mme X. en réparation de son préjudice moral formée contre M. X. Cela aux termes d’une solution qui, si elle se révèle orthodoxe en s’inscrivant dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation, n’en suscite pas moins certaines réserves.

Une solution orthodoxe s’inscrivant dans une jurisprudence constante

L’arrêt est rendu au visa de trois dispositions du code de commerce. L’article L. 223-22, qui fixe les conditions d’engagement de la responsabilité civile des gérants de SARL à l’égard de la société et des tiers ; l’article L. 622-20, conférant au mandataire judiciaire un monopole pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers ; et le 4e alinéa de l’article L. 641-4, qui rend applicables à la liquidation judiciaire les dispositions de l’article L. 622-20 précité.

La Haute juridiction, reprenant une formule ciselée dans de précédents arrêts (v. not., Com. 8 sept. 2021, n° 19-13.526, inédit, BJS déc. 2021, p. 37, note F.-X. Lucas ; 7 mars 2006, n° 04-16.536 P, Dalloz actualité, 5 avr. 2006, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2006. 644, note J.-F. Barbièri ; RTD com. 2006. 431, obs. P. Le Cannu ), énonce que la recevabilité d’une action en responsabilité personnelle engagée par un créancier contre le dirigeant d’une société en procédure collective, pour des faits antérieurs au jugement d’ouverture, est subordonnée à l’allégation d’un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d’une faute séparable de ses fonctions. Aux termes de cette solution qui n’est pas nouvelle, la responsabilité du dirigeant de la société débitrice est donc soumise à une double condition.

D’une part, le préjudice allégué doit être personnel, c’est-à-dire distinct de celui des autres créanciers. L’ouverture de la procédure collective entraîne...

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