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Article
Adaptation des normes funéraires dans le cadre de l’urgence sanitaire
Adaptation des normes funéraires dans le cadre de l’urgence sanitaire
Afin de limiter les risques de contamination résultant du contact avec des cadavres contaminés et pour prendre en compte les difficultés dans l’organisation des funérailles liées au confinement et à la surmortalité, le gouvernement adapte les normes funéraires. Des décisions qui vont parfois au-delà des recommandations du Haut Conseil de la santé publique.
par Lisa Carayonle 17 avril 2020
La modification des normes et des pratiques funéraires en temps d’épidémie est une réalité historique bien documentée1. Nulle surprise donc à ce que la présente crise sanitaire s’accompagne de modifications des dispositions applicables au traitement des corps morts. Les modifications adoptées dans le cadre de la lutte contre le covid-19 peuvent être classées en deux catégories : celles qui visent avant tout à protéger les proches et les professionel·les de la contamination et celles qui anticipent le risque de sur-mortalité et les difficultés organisationnelles liées au confinement.
Concernant la protection contre la contamination. Le gouvernement prend acte du constat établi par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) : les corps des défunts peuvent être contaminants pour les personnes qui les manipulent, même si le risque est limité2. Les dispositions du décret n° 2020-384 du 1er avril 20203 visent dès lors à limiter les contacts avec les corps des personnes dont on sait, ou dont on soupçonne, qu’elles sont décédées alors qu’elles étaient porteuses du virus. Ceux-ci doivent, au moins jusqu’au 30 avril prochain, être mis en bière immédiatement et ne pas faire l’objet d’une toilette mortuaire. Notons ici que le gouvernement va au-delà de ce qui est préconisé par le HCSP dans son avis le plus récent. En effet, si lors d’un premier avis, rendu en urgence au début de la période d’épidémie, le Haut Conseil avait préconisé une fermeture immédiate du cercueil et une toilette mortuaire minimale4, ses recommandations se sont assouplies dans un second temps. Son avis du 24 mars est explicite : « dans la prise en charge des personnes décédées, il convient de respecter (…) dans leur diversité les pratiques culturelles et sociales autour du corps d’une personne décédée, notamment en ce qui concerne la toilette rituelle du corps par les personnes désignées par les proches, ainsi que la possibilité pour ceux-ci de voir le visage de la personne décédée avant la fermeture définitive du cercueil ». Il préconise ainsi que deux proches puissent être désignés pour pratiquer eux-mêmes une toilette mortuaire ou tout autre rite funéraire à condition qu’ils soient équipés de protections adéquates5. De même, la recommandation de placer le corps dans une housse hermétique pour tout transport était accompagnée de la précision suivante : « la housse est fermée en maintenant une ouverture de 5-10 cm en haut si le corps n’a pu être présenté aux proches », qui pourront « voir le visage de la personne décédée dans la chambre hospitalière, mortuaire ou funéraire, tout en respectant les mesures barrière », à savoir notamment une distance de sécurité d’un mètre avec le corps, sans contact.
Les raisons pour lesquelles le gouvernement a choisi des normes plus strictes que celles qui étaient suggérées par le HCSP ne nous sont pas connues, mais nous ne pouvons qu’espérer que ce choix procède d’une précaution supplémentaire et non d’une impossibilité matérielle d’appliquer des règles moins restrictives, notamment au regard du manque de matériel de protection disponible. À n’en pas douter, les conditions imposées constituent une limitation importante de la liberté des familles dans l’organisation des funérailles, liberté qui, rattachée au droit au respect de la vie privée et à la liberté de conscience, est une liberté fondamentale. On notera par ailleurs que l’interdiction de la toilette mortuaire constitue une règle particulièrement stricte pour les personnes pratiquant une religion dans laquelle elle est un rite funéraire important, au premier rang desquelles l’Islam. Si l’on ajoute que les décès par covid-19 s’annoncent particulièrement importants dans des départements tels que la Seine-Saint-Denis6, où l’Islam est très pratiqué, on comprend que, comme tant d’autres, les normes liées à l’urgence sanitaire n’auront pas les mêmes conséquences pour tous7…
La décision d’établir des règles funéraires strictes suppose également un choix – tout à fait compréhensible mais un choix cependant : celui de privilégier la préservation de la santé somatique d’aujourd’hui à la sauvegarde de la santé psychique de demain. Car les contraintes imposées aux pratiques funéraires en ce temps d’épidémie ne seront certainement pas sans conséquences sur les démarches de deuil des personnes qui auront perdu un proche dans cette période8. Mais ces normes restrictives auront au moins pour efficacité de renforcer la protection sanitaire des travailleurs et travailleuses du funéraires, si toutefois le matériel adéquat leur est fourni.
L’autre disposition phare du décret du 1er avril peut faire l’objet de la même analyse. Elle édicte une interdiction générale de la pratique de la thanatopraxie, au moins jusqu’au 30 avril, pour l’ensemble des corps, quelle que soit la cause du décès ou l’état de santé du défunt. Là encore le texte est plus strict que les recommandations du HSCP qui ne suggéraient cette interdiction que pour les corps contaminés ou soupçonnés de l’être.
L’interdiction totale est une mesure radicale, d’autant que la pratique de la thanatopraxie est, depuis 2017, très strictement encadrée sur le plan des exigences sanitaires9. Le choix procède une fois encore d’un arbitrage : l’interdiction générale de la pratique est une atteinte forte à l’activité des thanatopracteurs et thanatopractrices, dont beaucoup exercent en libéral, mais elle constitue évidemment une protection supplémentaire pour ces professionnel·les. On voit cependant ici comment le spectre du « porteur sain », personne asymptomatique ou pauci-symptomatique, contaminée et contaminante sans le savoir, conduit à prendre des mesures particulièrement radicales puisque concernant tous les corps. Un raisonnement que l’on retrouve vraisemblablement dans de nombreuses dispositions, même hors du droit de la santé.
La décision d’interdire totalement la thanatopraxie limite bien sûr la liberté des familles mais on rappellera que l’intérêt de la thanatopraxie, pour les personnes qui font ce choix, est de faciliter la présentation du corps lors de veillées funéraires ou de présentations publiques. Or, dans la mesure où le décret du 23 mars dernier limite fortement le nombre de personnes pouvant participer à des rassemblements funéraires10, il est possible que la pratique deviennent de facto moins « utile ». Son interdiction conduit cependant à restreindre le choix du lieu de sépulture puisqu’un certain nombre de pays impose que les corps aient fait l’objet de soins de thanatopraxie pour en autoriser l’entrée sur leur territoire11. Notons que l’interdiction des soins de conservation se prolongera au-delà de la période d’urgence sanitaire dans la mesure où le covid-19 est désormais inscrit formellement sur la liste des pathologies proscrivant la thanatopraxie12.
Second volet de l’adaptation des normes funéraires : l’anticipation de la surmortalité et la gestion des funérailles. Le fait que la présente épidémie induise une surmortalité globale sur l’ensemble du territoire n’est pas une certitude pour l’instant puisque les mesures de confinement ont pour effet la diminution de certaines causes de décès en parallèle de l’augmentation du nombre de morts lié à l’infection elle-même. Cependant, la surmortalité semble une réalité dans les régions les plus touchées13. C’est pourquoi l’essentiel des mesures prises aujourd’hui sont des mesures locales.
En ce qui concerne les mesures nationales, notons deux dispositions importantes14. Tout d’abord l’inscription des professionnel·les du funéraire sur la liste des personnes susceptibles de faire l’objet d’une réquisition par l’autorité préfectorale15. Ensuite la possibilité, insérée à l’article R. 2213-29 du code général des collectivités territoriales, de conserver provisoirement les cercueils fermés dans des « dépositoires », c’est-à-dire des lieux de conservation provisoires, hors des caveaux provisoires existant dans les cimetières16. L’utilisation de tels dépositoires était possible jusqu’en 2011, date à laquelle il avait été interdit17, notamment pour éviter la création de lieux de conservation difficiles à contrôler sur le plan sanitaire18. Leur usage est donc à nouveau permis et cette autorisation semble devoir être permanente puisque le décret ne limite pas cette modification dans le temps19. Le texte précise même l’usage du dépositoire, ce qui n’était pas le cas antérieurement : le dépôt du cercueil ne peut excéder six mois, délai au-delà duquel il doit être inhumé (il nous semble que, malgré cette rédaction restrictive, rien, dans l’esprit du texte, n’interdirait une crémation).
Outre ces prescriptions générales, le décret du 27 mars autorise les municipalités, ou dans certains cas les préfectures, à prendre une série de dispositions exceptionnelles si les circonstances locales le justifient. À la lecture de ces dispositions on comprend que les « circonstances » en question s’entendent à la fois de la difficulté à gérer les funérailles en cas de surmortalité et de la complexité administrative induites par les mesures de confinement. L’ensemble de ces dispositions peuvent être prises pour un délai n’excédant pas un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Au titre des dispositions particulièrement symboliques20 on notera la possibilité d’étendre localement le délai dans lequel les funérailles doivent être pratiquées. Le droit commun impose habituellement une inhumation ou une crémation dans un délai compris entre vingt-quatre heures et six jours après le décès. Ce délai peut donc être localement étendu jusqu’à vingt-et-un jours, et même au-delà sur autorisation préfectorale.
La fermeture des cercueils pourra être possible sans autorisation préalable si elle n’a pas pu être obtenue dans les douze heures précédant l’inhumation ou la crémation. Sauf dégradation très importante de la situation sanitaire cette circonstance aura cependant peu de chance de se produire étant donné que la transmission de ladite autorisation sera possible par voie dématérialisée, comme d’ailleurs les autorisations de crémation et d’inhumation elles-mêmes. Une telle fermeture de cercueil sans autorisation devra cependant être signalée dans les quarante-huit heure à la mairie. Notons ici une disposition particulière pour les cas où la famille ne pourrait être présente au moment de la fermeture de la bière et que celle-ci doive être transportée en dehors de la commune de décès ou de dépôt21. En temps normal, en l’absence de proche, la fermeture ne peut alors être faite qu’en présence d’un·e fonctionnaire désigné·e à cet effet22, qui veille notamment à l’identité du ou de la défunt·e. Les dispositions issues de l’état d’urgence sanitaire permettent de déroger à cette procédure mais uniquement lorsque le corps est destiné à l’inhumation ; elle reste obligatoire en cas de crémation, action qui rend évidemment impossible toute « correction » sur l’identité de la personne décédée… Là encore la mairie doit être informée de la situation dans les quarante-huit heures.
L’adaptation en urgence des normes funéraires est une mesure importante sur les plans à la fois pratique et symbolique. On ne peut évidemment que souhaiter que les blessures intimes subies par les personnes qui ne pourront pas vivre sereinement leur deuil trouvent leur contrepartie sociale dans une vraie protection sanitaire des professionnel·les du secteur. Mais ne l’oublions pas : l’adaptation des normes funéraires n’est pas suffisante à la protection de la santé des salarié·es et indépendant·es qui œuvrent dans ce domaine particulier. Cette protection ne peut être acquise que par un matériel adapté et des conditions de travail respectueuses de leur santé somatique et psychique. Et ceci vaut pour tous les travailleurs et travailleuses de l’ombre qui assurent actuellement le fonctionnement de notre société malade.
1. Pour un aperçu des recherches archéologiques en la matière, v. par ex. les pré-actes des journées d’étude du Groupement d’archéologie et d’anthropologie du funéraire « Rencontre autour du corps malade : prise en charge et traitement funéraire des individus souffrants à travers les siècles ». Pour un aperçu vulgarisé consulter le site Actuel Moyen-Âge qui consacre actuellement des chroniques régulière à la gestion des épidémies au Moyen-Âge.
2. HCSP, Avis relatif à la prise en charge du corps d’un patient cas probable ou confirmé covid-19, 24 mars 2020, p. 1.
3. Décr. n° 2020-384 du 1er avr. 2020 complétant le décr. n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, JORF n° 0080 du 2 avr. 2020, art. 1.
4. HCSP, relatif à la prise en charge du corps d’un patient décédé infecté par le virus SARS-CoV-2, 18 févr; 2020, p. 2.
5. À savoir lunettes, masque chirurgical, tablier anti- projection et gants à usage unique.
6. Le nombre de décès dans ce département a augmenté de 63 % entre la semaine du 14 mars et celle du 21 mars (Source : INSEE). Cette augmentation peut être diversement expliquées. Bien que la population de Seine-Saint-Denis soit globalement plus jeune que celle d’autres départements (et donc moins sujette à décès), les mesures de confinement y sont plus difficiles à appliquer : la surpopulation des logements rend le confinement moins supportable, les catégories socio-professionnelles qui y sont représentées sont moins sujettes au télétravail, le nombre de lits en réanimation y est moins important qu’ailleurs, etc.
7. La situation de Mayotte est particulièrement préoccupante : les funérailles sont souvent entièrement assurées par les proches, la toilette rituelle est pratiquée par la quasi-totalité de la population et l’inhumation sans cercueil y est la norme en pratique. Pour un aperçu, v. Mayotte Hebdo, 2 avr. 2020.
8. L’Agence régionale de santé d’Île-de-France a d’ailleurs mis en place une cellule d’écoute des personnes endeuillée : 01 48 95 59 40 (du lundi au vendredi de 10 h à 17 h) ou psychotrauma.avicenne@aphp.fr.
9. Arr. du 12 juill. 2017 fixant les listes des infections transmissibles prescrivant ou portant interdiction de certaines opérations funéraires mentionnées à l’art. R. 2213-2-1 CGCT, JORF n° 0168 du 20 juill. 2017, texte n° 19. Pour plus de détails, v. notre commentaire : Ouverture et encadrement des soins de thanatopraxie. Évolutions pratiques et idéologiques du traitement des corps, La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, 6 sept. 2017.
10. Décr. n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, art. 8 : vingt personnes pour les rassemblements dans les lieux de culte. Il semble que pour les autres lieux fermés il faille s’en remettre aux prescriptions locales. Pour ce qui est des lieux ouverts, dans le flou des textes il semble que, sauf position municipale spécifique, se soit l’interdiction d’un rassemblement de plus de cent personnes qui trouve à s’appliquer (art. 7).
11. Un recensement indicatif de ces États a été effectué par l’association française d’information funéraire.
12. Arr. du 28 mars 2020 modifiant l’arrêté du 12 juill. 2017 fixant les listes des infections transmissibles prescrivant ou portant interdiction de certaines opérations funéraires mentionnées à l’art. R. 2213-2-1 CGCT.
13. Pour plus de détails consulter la publication de l’INSEE du 3 avr. 2020.
14. On y ajoutera la prolongation jusqu’au 31 déc. 2020 des habilitations de l’ensemble des opérateurs funéraires.
15. Décr. n° 2020-384 du 1er avr. 2020, préc., art. 1er.
16. Décr. n° 2020-352 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles funéraires en raison des circonstances exceptionnelles liées à l’épidémie de covid-19, JORF n° 0076 du 28 mars 2020, art. 8.
17. Décr. n° 2011-121 du 28 janv. 2011 relatif aux opérations funéraires, JORF n° 0025 du 30 janv. 2011, p. 1926.
18. V. Réponse ministérielle à la question écrite n° 17667, JO Sénat du 29 mars 2012, p. 786.
19. Même si le décret énonce ne contenir que des modifications provisoire du droit funéraire, l’art. 8 ici étudié n’est soumis à aucune date de fin d’application.
20. Mettons ici de côté la possibilité de reporter les contrôles de conformité et la transmission des attestations de conformité pour les véhicules de transport de corps respectivement de un et deux mois après la fin de l’état d’urgence.
21. Soulignons qu’au titre de ces mesures provisoires le transport du corps lui-même, avant mise en bière, peut être autorisé localement sans déclaration préalable, de même que le transport inter-communal après mise en bière. Les déclarations devront être transmises dans un délai d’un mois après la fin de l’urgence sanitaire.
22. Fonctionnaire de police nationale ou municipale ou encore garde-champêtre, art. L. 2213-14 CGCT.
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