Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Adoption internationale : questions de procédure

Par un arrêt du 18 mars 2020, la première chambre civile se penche, pour la première fois, sur deux questions de procédure en matière d’adoption internationale, l’une relative au respect de la compétence des juridictions spécialisées, l’autre concernant la mise en œuvre de la convention de La Haye du 29 mai 1993.

par François Mélinle 7 mai 2020

Un couple, domicilié en France, souhaite procéder à l’adoption simple d’un enfant né et résidant à Haïti.

Cette situation, très simple, soulève alors deux difficultés, qui sont examinées par la première chambre civile dans le cadre d’un pourvoi dans l’intérêt de la loi formé par le procureur général près la Cour de cassation.

1. La première difficulté concerne la compétence du tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire) saisi.

L’article D. 211-10-1 du code de l’organisation judiciaire dispose que le siège et le ressort des tribunaux compétents pour connaître des actions aux fins d’adoption ainsi que des actions aux fins de reconnaissance des jugements d’adoption rendus à l’étranger, lorsque l’enfant résidant habituellement à l’étranger a été, est ou doit être déplacé vers la France, sont fixés conformément au tableau VIII-I annexé au code. La spécialisation de certaines juridictions s’explique par la technicité du régime juridique de l’adoption internationale, qui impose que le juge ait une pratique suffisante de la matière pour sécuriser les situations.

Si la juridiction saisie n’est pas l’une de celles qui figurent dans ce tableau, la question de son incompétence se pose, étant précisé qu’en l’espèce, les adoptants n’avaient évidemment pas soulevé l’incompétence du tribunal qu’ils avaient eux-mêmes saisi, pas plus que le parquet.

À ce propos, il est nécessaire de rappeler que l’article 76 du code de procédure civile dispose que l’incompétence peut être prononcée d’office en cas de violation d’une règle de compétence d’attribution lorsque cette règle est d’ordre public ou lorsque le défendeur ne comparaît pas et qu’elle ne peut l’être qu’en ces cas (il est à noter, pour être complet que ce même article 76 ajoute que, devant la cour d’appel et devant la Cour de cassation, cette incompétence ne peut être relevée d’office que si l’affaire relève de la compétence d’une juridiction répressive ou administrative ou échappe à la connaissance de la juridiction française).

Or l’article D. 211-10-1 concerne, selon les termes mêmes du code de l’organisation judiciaire, la compétence matérielle du tribunal. Les dispositions de cet article 76 étaient donc bien applicables.

Par suite, le tribunal disposait d’une simple faculté de se déclarer incompétent, du moins si l’on admettait que l’on se trouvait dans le cadre de l’un des deux cas visés par cet article, s’agissant d’une liste limitative, sous réserve de textes spéciaux (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, LGDJ, 2019, n° 1028).

Le cas tenant à l’absence de comparution du défendeur n’avait aucune pertinence en l’espèce, s’agissant d’une procédure d’adoption et donc de la matière gracieuse (sur cette qualification, v. V. Egéa, Droit de la famille, 3e éd., LexisNexis, 2020, n° 1008).

En revanche, la qualification de règle de compétence d’ordre public s’impose. Il est vrai que la notion de règle de compétence d’ordre public est incertaine (Rép. pr. civ., Incompétence, par G. Chabot, n° 76). Néanmoins, cette qualification est d’autant plus adaptée qu’une règle de compétence prévoyant une spécialisation de certains tribunaux judiciaires pour certains contentieux peut sans doute être considérée comme s’apparentant, au moins en partie, à une règle d’organisation judiciaire. Or il est admis que les règles relatives à l’organisation judiciaire sont d’ordre public (C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, 34e éd., Dalloz, 2018, n° 60).

C’est ce qui explique que l’arrêt rejette le moyen soulevé par le procureur général et retienne qu’un tribunal non spécialement désigné « pour connaître des actions aux fins d’adoption, lorsque l’enfant résidant habituellement à l’étranger a été, est ou doit être déplacé vers la France, s’il peut toujours se déclarer d’office incompétent en application de l’article 76 du code de procédure civile, n’y est jamais tenu ».

2. La seconde difficulté concernait l’absence de contrôle par le tribunal du respect de la procédure prévue par la convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale.

Sans qu’il soit nécessaire ici de présenter de manière approfondie cette convention (sur l’ensemble du régime juridique applicable en matière d’adoption internationale, v. P. Salvage-Gerest, in P. Murat (dir.), Droit de la famille, 8e éd., Dalloz Action, 2020/2021, chap. 226), rappelons simplement, très schématiquement, qu’elle prévoit que, lorsqu’un enfant résidant dans un État contractant doit être déplacé vers un autre État dans le cadre d’une adoption (art. 2.1), les autorités de l’État d’origine doivent établir que l’enfant est adoptable (art. 4), que les autorités de l’État d’accueil doivent constater que les futurs parents sont aptes à adopter (art. 5) et que les États contractants doivent instituer des autorités centrales (art. 6.1). Une telle organisation a été rendue nécessaire compte tenu du développement très important du nombre d’adoptions internationales au cours des dernières décennies et des problèmes juridiques et humains corrélatifs (sur ce, M.G. Parra-Aranguren, Rapport explicatif sur la convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, § 6), surtout dans un contexte où il est à craindre que des contreparties financières importantes soient exigées ou proposées.

Or, en l’espèce, le tribunal avait indiqué que les conditions légales de l’adoption étaient remplies et que celle-ci était conforme à l’intérêt de l’enfant, sans toutefois vérifier d’office si la procédure et les mécanismes prévus par la convention du 29 mai 1993 avaient été appliqués.

Il s’agissait dès lors de déterminer si le tribunal avait failli, en s’abstenant de procéder à une telle vérification. L’arrêt retient que tel a été le cas, en prononçant une cassation dans l’intérêt de la loi, une telle cassation ne permettant pas, il est vrai, aux parties de « s’en prévaloir pour éluder les dispositions de la décision cassée », selon l’expression retenue par l’article 17 de la loi n° 67-523 du 3 juillet 1967 relative à la Cour de cassation.

Cette solution est, semble-t-il, consacrée pour la première fois. Elle s’impose avec évidence, dès lors que la France est partie à la convention du 29 mai 1993 et que ce texte s’impose donc au juge en application des principes qui régissent la hiérarchie des normes. Il ne fait ainsi aucun doute que ce sont des considérations tenant à la portée des engagements internationaux de la France qui constituent le fondement profond de cette solution (sur la problématique des liens entre le droit international public et le droit international privé, v. P. de Vareilles-Sommières, La compétence internationale de l’État en matière de droit privé, LGDJ, 1997).