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Adoption plénière intrafamiliale à l’étranger : conformité à l’ordre public international

L’adoption plénière par une femme des enfants de son frère ne méconnait pas l’ordre public international dès lors que les enfants ne sont pas nés d’un inceste. 

par Amélie Panetle 19 janvier 2021

Mme B. a obtenu l’adoption plénière des trois enfants de son frère, décédé en 2011, par un jugement du tribunal régional hors classe de Dakar le 19 mai 2014. Elle a sollicité en France l’exequatur de ce jugement d’adoption.

La cour d’appel de Paris, par un arrêt en date du 23 janvier 2018, a rejeté la demande d’exequatur, au motif de la contrariété du jugement sénégalais à l’ordre public français en matière international. Elle a en effet retenu que l’adoption plénière par Mme B. des enfants de son frère conduirait à l’établissement d’un acte de naissance d’enfants nés d’une relation incestueuse entre un frère et une sœur, ce qui heurte les articles 162 et 310-2 du code civil, et méconnaît par conséquent la conception française de l’ordre public international.

Mme B. se pourvoit en cassation, en soutenant que le droit interne français admet l’adoption, par une tante, de ses neveux et nièces, dès lors qu’il ne s’agit pas d’enfants nés d’un inceste. Une telle adoption serait donc par suite conforme à l’ordre public international français.

La Cour de cassation examine la question à l’aune de la Convention de coopération en matière judiciaire entre la France et le Sénégal, signée le 29 mars 1974. Cette Convention prévoit que les décisions rendues par les juridictions française et sénégalaise sont reconnues de plein droit et ont l’autorité de la chose jugée sur le territoire de l’autre État sous réserve que la décision ne contienne rien de contraire à l’ordre public de l’État où elle est invoquée. Reste à déterminer si l’adoption par une tante de ses neveux porte atteinte à l’ordre public international. La Cour de cassation s’appuie sur les dispositions du code civil, notamment les articles 161 et 162, pour rappeler que si le droit français interdit l’établissement, par l’adoption, du double lien de filiation de l’enfant né d’un inceste absolu, il n’interdit pas pour autant l’adoption des neveux et nièces par leur tante ou leur oncle dès lors que les adoptés ne sont pas nés d’un inceste. Dans la mesure où le droit français connaît lui-même l’adoption intrafamiliale (C. civ., art. 348-5), une telle adoption ne peut pas être considérée en elle-même comme contraire à l’ordre public international.

Elle casse et annule l’arrêt de la cour d’appel de Paris et renvoie les parties devant la même cour d’appel, autrement composée.

L’arrêt sous examen permet de censurer une décision de la cour d’appel de Paris qu’on avait pu qualifier de « déroutante » (L. Dupin, Refus d’exequatur de jugements étrangers ayant prononcé des adoptions intrafamiliales, Dr. fam. 2019. Étude 5). La confusion opérée entre l’adoption intrafamiliale, autorisée par notre code civil, et l’établissement d’un double lien de filiation au profit d’un enfant incestueux, fermement prohibé (v. Civ. 1re, 6 janv. 2004, n° 01-01.600, D. 2004. 362, et les obs. , concl. J. Sainte-Rose ; ibid. 365, note D. Vigneau ; ibid. 1419, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 2005. 1748, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2004. 66, obs. F. B. ; RTD civ. 2004. 75, obs. J. Hauser ; Defrénois 2004, art. 37926, p. 594, note J. Massip ; RJPF mars 2004, p. 34, note T. Garé ; adde D. Fenouillet, La filiation incestueuse interdite par la Cour de cassation, Dr. fam. 2004. Comm. 16) est ainsi corrigée par la Cour de cassation : seul l’article 310-2 du code civil paraît à même de rentrer sous la protection de l’ordre public international. Quand bien même une adoption telle que celle prononcée à l’étranger au cas d’espèce consacrerait un inceste « légal » ou « désincarné » (v. sur la question, D. Fenouillet, L’adoption de l’enfant incestueux par le demi-frère de sa mère, ou comment l’intérêt prétendu de l’enfant tient lieu de seule règle de droit, Dr. fam. 2003. Chron. 29, spéc. nos 21 s.) en ce qu’elle lierait dans le couple parental un frère et une sœur, la Cour de cassation estime qu’elle ne heurte pas l’ordre public international.

La solution paraît en outre en conformité avec la jurisprudence européenne : on voit mal ce qui dans les circonstances de l’affaire étudiée permettrait de considérer un refus de reconnaissance comme proportionné au but légitime poursuivi (v. CEDH 3 mai 2011, Negrepontis, n° 56759/08, CEDH, 3 mai 2011, n° 56759/08, D. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2011. 817, étude P. Kinsch ; RCDIP 2011, p. 817, chron. P. Kinsch ; JDI 2012. 213, note A. Dionisi-Peyrusse ; JCP 2011, n° 28, p. 839, obs. Favier), puisque les enfants ne sont pas nés d’un inceste, et que le droit français permet bien l’adoption intrafamiliale.