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Affaire Bygmalion (1/2) : réflexions portant sur l’application du principe non bis in idem

Par jugement rendu le 30 septembre 2021, le Tribunal correctionnel de Paris a, dans le cadre de l’affaire Bygmalion, déclaré l’ancien président de la République coupable de financement illégal de campagne. Si les juges parisiens ont refusé de faire application du principe non bis in idem à l’égard de l’ancien chef d’État, ils l’ont en revanche appliqué à l’égard de certains autres prévenus poursuivis au titre de plusieurs autres délits d’affaires. L’ensemble des prévenus ont été condamnés pénalement à diverses peines d’emprisonnement aménagées, pour leur partie ferme, en bracelet électronique.

Sa décision était attendue. Près de dix ans après les faits, le Tribunal correctionnel de Paris se prononce sur l’affaire Bygmalion, autrement connue comme l’affaire des comptes de la campagne présidentielle de 2012.

Pour rappel, le 5 mars 2014, une enquête préliminaire est ouverte s’agissant de faits de surfacturation susceptibles d’avoir été commis par la société Bygmalion au préjudice du parti politique l’Union pour un mouvement populaire (UMP) devenue depuis Les Républicains, dans le cadre de la campagne présidentielle menée par l’ancien président de la République de 2012. Le 27 juin 2014, une information judiciaire, laquelle sera menée par plusieurs magistrats co-saisis, est ouverte des chefs de faux, usage de faux, abus de confiance et tentative d’escroquerie, puis de financement illégal de campagne électorale. Au cours de l’instruction, plusieurs personnes sont mises en examen. Le 3 février 2017, le juge d’instruction premier désigné rend une ordonnance prononçant un non-lieu partiel et renvoyant devant le tribunal correctionnel (ORTC) neuf des mis en examen dont l’ancien chef d’État, des chefs de faux et usage et complicité, abus de confiance, recel d’abus de confiance, escroquerie et complicité, financement illégal de campagne électorale et complicité de ce délit. Après avoir été confirmée par l’arrêt rendu par la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris en date 25 octobre 2018, l’ORTC est contestée par l’ensemble des prévenus, devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, à l’appui notamment du principe de nécessité et de proportionnalité des peines et du principe non (ou ne) bis in idem. Sans succès (Crim. 1er oct. 2019, n° 18-86.428, Dalloz actualité, 22 oct. 2019, obs. J. Gallois ; D. 2019. 1889 ; AJ pénal 2019. 556, obs. G. Beaussonie ). 

Naturellement, cette discussion relative, plus particulièrement, à l’interprétation du principe non bis in idem, a été portée devant le Tribunal correctionnel de Paris (v. not. sur la possibilité de soulever à nouveau ce moyen au fond, p. 141). Si la question du cumul de condamnations s’agissant de faits identiques a largement cristallisé l’intérêt des médias comme des spécialistes tant elle concernait directement la situation de l’ancien chef d’État, appelant nécessairement quelques remarques, celle du cumul de qualifications pénales s’agissant de faits distincts mais indissociables soulèvent également quelques réflexions. 

La question du cumul de qualifications pénales s’agissant de faits distincts mais indissociables

D’abord, plusieurs prévenus, parmi lesquels ne figurait pas l’ancien président de la République – il s’agissait d’anciens dirigeants de l’équipe de la campagne présidentielle, d’anciens cadres de l’UMP, ainsi que d’anciens responsables de la société Bygmalion ou de sa filiale Eve –, contestaient le fait de pouvoir être poursuivi du chef de plusieurs qualifications pénales qui, bien que distinctes, avaient été commises dans le cadre d’une action unique, alors qu’ils étaient animés de la même intention coupable, en l’occurrence le dépassement occulte du plafond légal des dépenses électorales (p. 138).

Une partie d’entre eux étaient poursuivis des chefs de faux, usage de faux, complicité de financement illégal de campagne électorale et complicité d’escroquerie.

Les conditions d’applicaiton du principe de prohibition du cumul d’infractions

À ce niveau, il importe de rappeler les conditions d’application de la règle du cumul idéal d’infractions. Par principe, si un même fait matériel, reproché au même prévenu, est susceptible de faire l’objet de plusieurs qualifications, ce fait matériel ne peut se voir appliquer qu’une seule qualification pénale (Crim. 16 juin 1965, Bull. crim. n° 44). Le principe non bis in idem interdit en effet de condamner un individu deux fois pour le même fait. Une exception à ce principe a certes été dégagée par la jurisprudence, avec la célèbre affaire Ben Haddadi (Crim. 3 mars 1960, Bull. crim. n° 138), selon laquelle le même fait matériel, dans le cas où il aurait atteint des valeurs juridiques protégées distinctes, peut donner lieu à un cumul de qualifications. Dans ces perspectives, le cumul des délits reprochés était possible.

Cependant, depuis 2016, la chambre criminelle appréhende de manière restreinte cette exception et considère qu’« il se déduit du principe ne bis in idem que des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité́ de nature pénale, fussent-elles concomitantes » (Crim. 26 oct. 2016, n° 15-84.552, à paraître au Bulletin ; Dalloz actualité, 7 nov. 2016, obs. S. Fucini ; D. 2016. 2217 ; ibid. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2017. 35, obs. J. Gallois ; RSC 2016. 778, obs. H. Matsopoulou ). La Cour de cassation prohibe ainsi le prononcé d’une double déclaration de culpabilité à l’égard du prévenu poursuivi du chef de deux qualifications distinctes, s’agissant de faits identiques, dès lors qu’une seule intention animait l’auteur du fait matériel procédant d’une action unique, quand bien même ces infractions auraient pour vocation de protéger des valeurs distinctes (v. Crim. 13 juin 2019, n° 18-83.071, inédit). La Haute Cour réaffirme cette position depuis, avec constance, s’agissant de nombreuses infractions entrant en concours (V. not. Crim. 24 janv. 2018, n° 16-83.045, à paraître au Bulletin ; D. 2018. 241 ; AJ pénal 2018. 196, obs. E. Clément ; RSC 2018. 412, obs. Y. Mayaud ; 16 janv. 2019, n° 18-81.566, Bull. crim. n° 18 ; D. 2019. 129 ; AJ pénal 2019. 155, obs. Y. Mayaud ; RTD com. 2020. 500, obs. L. Saenko ; 28 mars 2018, n° 17-81.114, inédit, D. 2018. 1723, obs. C. Mascala ; 14 nov. 2019, n° 18-83.122, à paraître au Bulletin ; D. 2020. 204 , note P.-J. Delage ; AJ pénal 2020. 83, obs. M. Lacaze ; 11 mars 2020, n° 19-84.887, à paraître au Bulletin ; D. 2020. 538 ; Légipresse 2020. 405 et les obs. ; RSC 2020. 943, obs. H. Matsopoulou ). Sa chambre criminelle a notamment fait application du principe non bis in idem, à l’égard d’un prévenu poursuivi des chefs de faux, d’usage de faux et d’escroquerie, rompant ainsi avec la position qu’elle tenait avant son arrêt de 2016 (v. Crim. 14 nov. 2013, n° 12-87.991, Bull. crim. n° 226 ; AJ pénal 2014. 296, obs. J. Lasserre Capdeville ). Dans un arrêt rendu le 25 octobre 2017, la Cour de cassation a en effet fait droit au pourvoi d’un prévenu qui reprochait à la cour d’appel, à l’appui de l’interdiction de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde infraction, de l’avoir déclaré coupable de faux, usage de faux et escroquerie pour avoir établi et utilisé des factures, des feuilles de soins et des prescriptions médicales fictives, uniquement en vue d’obtenir des remboursements de la sécurité sociale et de mutuelles afférents à des montures et verres de lunettes, rappelant l’interdiction de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde infraction (Crim. 25 oct. 2017, n° 16-84.133, inédit, RTD com. 2018. 227, obs. L. Saenko ). Au visa du principe ne bis in idem, la Cour de cassation, après avoir rappelé dans un attendu de principe que « des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elle concomitantes », a cassé l’arrêt au motif que la cour d’appel n’avait pas retenu « des faits constitutifs de faux et usage distincts des manœuvres frauduleuses qu’elle a expressément retenues pour déclarer le prévenu coupable d’escroquerie ». Il s’évince de cette décision, constituant pour la doctrine, un revirement de jurisprudence (v. not. en ce sens, L. Saenko, obs. ss. Crim. 16 janv. 2019, n° 18-81.566, RTD com. 2020. 500), qu’il appartient aux juges du fond, pour entrer en voie de condamnation à l’encontre du prévenu des chefs de faux, d’usage de faux et d’escroquerie, à l’égard de la même personne, de rechercher l’existence de faits distincts. A contrario, les juges du fond qui déclarent un prévenu coupable des chefs de ces trois délits s’agissant de mêmes faits, sans distinction, encourent la cassation de leur arrêt.

L’application par le Tribunal correctionnel de Paris aux qualifications d’usage de faux et d’escroquerie

C’est dans cette lignée que s’inscrivaient les moyens développés par la défense. Il était ainsi notamment soutenu que « [l]es délits [de faux, usage de faux, complicité de financement illégal de campagne électorale et complicité d’escroquerie] seraient tous caractérisés à raison d’un fait matériel unique, tenant à l’établissement et à la fourniture des mêmes factures falsifiées et sous-évaluées. Cet ensemble de factures serait ainsi l’instrument du délit de financement illégal de campagne électorale, comme il serait celui du délit d’escroquerie, sans qu’aucun autre acte, dépassant le cadre de cette action, ne puisse par ailleurs être reproché à son client. En outre, le renvoi serait motivé par le fait que les personnes poursuivies “savaient qu’en participant au système de fausse facturation mis à jour, elles rendaient possible le dépassement du plafond légal de dépenses par le candidat” […] » (p. 138).

Il faut cependant comprendre que la prohibition du cumul d’infractions reconnue par la Cour de cassation, dans son arrêt de 2017, ne concerne, par principe, que les qualifications d’usage de faux et d’escroquerie. L’escroquerie, au sens de l’article 311-1 du code pénal, se caractérise notamment par l’usage de manœuvres frauduleuses, lesquelles peuvent être caractérisées à l’appui de fausses factures et de faux contrats. Ce délit se confond donc pleinement avec le délit d’usage de faux, visé à l’article 441-1, alinéa 2, du code pénal et lequel consiste également à sanctionner l’usage de fausses factures et de faux contrats. Il apparaît dès lors nécessaire aux juges du fond de préciser les faits constitutifs de chacun de ces délits, de manière distincte, afin de s’assurer que le prévenu n’est pas puni deux fois pour le même fait, sans quoi le principe susvisé se trouverait violé. Dans un arrêt rendu le 13 juin 2019, la chambre criminelle a ainsi également cassé, toujours au visa du principe ne bis in idem, l’arrêt rendu par la cour d’appel ayant condamné le prévenu des chefs d’escroquerie et d’usage de chèques falsifiés au motif que « [la cour d’appel avait] ret[enu] à tort les faits d’usage de chèques falsifiés tout à la fois comme manœuvres frauduleuses de l’escroquerie et comme délit différent justifiant une deuxième déclaration de culpabilité alors qu’ils ne procédaient pas d’une intention coupable distincte » (Crim. 13 juin 2019, n° 18-83.071, inédit). Plus récemment, par arrêt du 9 septembre 2020, la Cour de cassation a jugé que « les faits d’usage sont de nature à procéder des mêmes faits que ceux retenus pour les manœuvres frauduleuses » (Crim. 9 sept. 2020, n° 19-84.301, à paraître au Bulletin ; D. 2020. 1725 ; AJ pénal 2020. 524, obs. M. Lassalle ; Dr. soc. 2021. 41, chron. R. Salomon ; RSC 2020. 922, obs. X. Pin ; ibid. 2021. 434, obs. P. Mistretta ). Dans ces circonstances, aucun cumul n’est possible. Et le ministère public le concède d’ailleurs sans discuter (p. 141).

La Cour de cassation apparaît, en revanche, davantage réfractaire à faire application du principe non bis in idem à l’égard d’un prévenu poursuivi des chefs de faux et d’escroquerie (V. Crim. 16 janv. 2019, n° 18-81.566, Bull. crim. n° 18 ; D. 2019. 129 ; AJ pénal 2019. 155, obs. Y. Mayaud ; RTD com. 2020. 500, obs. L. Saenko ; 9 sept. 2020, n° 19-84.301, préc.). 

En l’espèce, le tribunal correctionnel ne s’encombre pas, outre mesure, d’un tel distinguo pour reconnaître l’impossibilité de cumuler les quatre délits de faux, usage de faux, financement illégal de campagne électorale et escroquerie. Il précise, de manière générale, que « [la Cour de cassation] n’applique plus le principe non bis in idem uniquement à des faits qui seraient parfaitement identiques mais examine ceux qui “procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable” et qui donc, sans être les mêmes, seraient susceptibles de former un tout indivisible » (p. 142). Les juges parisiens considèrent, par ailleurs, que la Haute cour a « abandonné sa jurisprudence validant des cumuls in abstracto de qualifications, au profit d’une approche in concreto des faits poursuivis sous plusieurs qualifications juridiques », justifiant ainsi, au moyen de cette approche concrète, les différentes décisions, selon lui, contraires, rendues par la Cour de cassation, en cas de cumul de faux et d’escroquerie (ibid). Ces précisions ainsi posées, le tribunal correctionnel se livre à une analyse des factures litigieuses, utilisées par les prévenus, et conclut qu’elles procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable. Il juge en effet que « les factures de meetings, dont les montants ont été sous-évalués, ont été falsifiées, dans le seul but d’être produites devant la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, le cas échéant, devant le Conseil constitutionnel et de dissimuler le dépassement du plafond légal des dépenses électorales » (p. 143). Aussi, seule l’infraction d’escroquerie, infraction la plus grave punie (Crim. 26 juin 1930, Bull. crim. n° 190 ; 3 mars 1966, n° 65-92.993, Bull. crim. n° 79) et englobant nécessairement les autres dont l’action publique se trouve en conséquence éteinte, pouvait être retenue à l’encontre des prévenus (ibid).

Deux remarques méritent d’être formulées s’agissant de cette solution.

La première observation, d’ordre général, porte sur la solution elle-même. À notre sens, il est loin d’être certain qu’une telle approche du principe non bis in idem soit celle reconnue par la Cour de cassation. Pour s’en convaincre, il importe de se rapporter l’arrêt précité de 2020. En effet, après avoir rappelé qu’« il se déduit du principe ne bis in idem que des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes », « il n’en est pas ainsi en cas de double déclaration de culpabilité pour faux et escroquerie, faute d’action et intention coupable uniques, lorsque l’infraction de faux consiste en une altération de la vérité dans un support d’expression de la pensée qui se distingue de son utilisation constitutive du délit d’usage de faux et, le cas échéant, d’un élément des manœuvres frauduleuses de l’infraction d’escroquerie. Dans cette hypothèse, seuls les faits d’usage sont de nature à procéder des mêmes faits que ceux retenus pour les manœuvres frauduleuses » (Crim. 9 sept. 2020, n° 19-84.301, préc.). La Cour de cassation distingue en ce cas le fait matériel de fabrication du faux et le fait matériel d’usage du faux constitutif des manœuvres frauduleuses de l’escroquerie – point qu’avait au demeurant relevé le parquet (p. 141). Il s’agit donc, pour elle, de deux faits, dissociables, au sens objectif du terme l’un de l’autre, lesquels ne peut donc pas procéder d’une action unique. Il en allait également de même, dans un arrêt précédent, où le faux, en plus d’avoir été utilisé pour commettre l’escroquerie, a également été utilisé à une autre occasion (Crim. 16 janv. 2019, n° 18-81.566, préc.).

L’approche globale adoptée par le tribunal correctionnel convainc d’autant moins qu’elle s’oppose, à toute poursuite, a fortiori, à toute condamnation de l’auteur de l’infraction principale du chef de l’infraction de conséquence qui en résulte. Dans cette hypothèse en effet, on ne voit pas comment l’auteur de l’infraction d’origine, également auteur de l’infraction de conséquence commise s’agissant de faits procédant d’une action unique – ce qui constitue la plupart des cas – pourrait être animé d’une intention différente. Pourtant, avec la décision précédente de 2020, il est constant que la Cour de cassation reconnaît le cumul de l’infraction d’origine et de l’infraction de conséquence à l’encontre du même auteur (v. déjà, Crim. 5 mars 1990, n° 88-87.590, inédit, RSC 1991. 354, obs. P. Bouzat ; RTD com. 1991. 118, obs. P. Bouzat ). Telle est, selon nous, également la raison pour laquelle la Cour de cassation refuse de reconnaître, dans les espèces précitées, la prohibition du cumul entre le délit de faux et le délit d’escroquerie, dans l’hypothèse où ce dernier vient substituer l’usage de faux qui, en application du principe ne bis in idem ne peut également être retenu à l’encontre du prévenu.

Aux fins de comparaison, il est possible de se reporter à la jurisprudence de la Cour de cassation rendue en matière de blanchiment. Tout comme en matière de faux et usage de faux, la Haute Cour admet les poursuites à l’encontre de l’auteur, au titre à la fois de l’infraction principale et de celle de conséquence. Selon elle, « l’article 324-1, alinéa 2, du code pénal, instituant une infraction générale et autonome de blanchiment, distincte, dans ses éléments matériel et intentionnel, du crime ou du délit ayant généré un produit, réprime, quel qu’en soit leur auteur, des agissements spécifiques de placement, dissimulation ou conversion de ce produit, de sorte que cette disposition est applicable à celui qui blanchit le produit d’une infraction qu’il a commise » (Crim.14 janv. 2004, n° 03-81.165, Bull. crim. n° 12 ; D. 2004. 1377 , note C. Cutajar ; RSC 2004. 350, obs. R. Ottenhof ; RTD com. 2004. 623, obs. B. Bouloc ; JCP 2004. II. 10081, note critique H. Matsopoulou ; Dr. pénal 2004. Comm. n° 48, note M. Véron ; 20 févr. 2008, n° 07-82.977, Bull. crim. n° 43 ; D. 2008. 1585 , note C. Cutajar ; ibid. 1573, obs. C. Mascala ; ibid. 2009. 123, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S. Mirabail ; AJ pénal 2008. 234, obs. A. Darsonville ; RSC 2008. 607, note H. Matsopoulou ; RTD com. 2008. 879, obs. B. Bouloc ; Dr. pénal 2008. Comm. n° 67, note M. Véron ; JCP 2008. II. 10103, note J. Lasserre Capdeville ; v. égal. Crim. 28 oct. 2015, n° 14-85.120, inédit ; 2 juin 2010, n° 09-82.013, Bull. crim. n° 199 ; AJ pénal 2010. 441 , étude J. Lasserre Capdeville ; RTD com. 2011. 184, obs. B. Bouloc ). Encore récemment, la Cour de cassation a rappelé une telle possibilité (Crim. 18 mars 2020, n° 18-85.542, à paraître au Bulletin ; Dalloz actualité, 26 mai 2020, obs. J. Gallois ; D. 2020. 654 ; ibid. 1750, chron. G. Barbier, A.-S. de Lamarzelle, A.-L. Méano, M. Fouquet, E. Pichon, C. Carbonaro et L. Ascensi ; ibid. 1807, obs. C. Mascala ; RSC 2020. 945, obs. H. Matsopoulou ). Aussi, quand bien même s’agirait-il de faits distincts, indissociables et commis sous l’empire de la même intention coupable, ces faits donnent lieu à une double condamnation. Le présent tribunal correctionnel n’avait d’ailleurs pas manqué de prononcer une telle condamnation, dans un jugement rendu le 24 juin 2020, à l’encontre d’un ancien collaborateur du même ancien président de la République, mêlé à la présente affaire (T. corr. Paris, 32e ch., 24 juin 2020, n° 140910000136, Dalloz actualité, 16 juill. 2020, obs. J. Gallois). Dans ces circonstances, on ne peut que regretter que les juges parisiens jouent avec la « plasticité » dont souffre le principe non bis in idem (L. Saenko, ibid.) et n’hésitent pas à reléguer l’approche des juges de cassation portant sur le cumul du faux et de l’escroquerie « de théorique » (p. 142)… 

Relevons d’ailleurs que le tribunal correctionnel juge de manière identique, s’agissant de la question du cumul cette fois-ci des délits d’usage de faux, d’abus de confiance et de recel d’abus de confiance pour lesquels les autres prévenus étaient poursuivis, l’abus de confiance englobant les deux autres (p. 143). Ici, cette solution pose évidemment moins de difficulté dans la mesure où, d’une part, l’auteur d’une infraction principale ne peut se voir reprocher le recel de cette dernière, et, d’autre part, l’usage de faux peut se confondre avec l’abus de confiance, comme avec l’escroquerie.

Dans ces circonstances, la décision de la chambre criminelle devant être rendue le 15 décembre prochain, portant sur la question du cumul de qualifications s’agissant de faits identiques, est assurément attendue ! (Lettre de la chambre criminelle, n° 13, oct. 2021, p. 6).

La seconde remarque est, quant à elle, plus spécifique puisqu’elle est porte sur la motivation de la solution rendue par ces mêmes juges parisiens. Si on l’attarde à la lettre de cette dernière, l’on se rend compte que le tribunal correctionnel se contente d’affirmer l’intention poursuivie par les auteurs, laquelle se révèle être double et non pas unique, à savoir « d’être produites devant la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, le cas échéant, devant le Conseil constitutionnel et de dissimuler le dépassement du plafond légal des dépenses électorales », au-delà de devoir constituer une même action, point sur lequel le tribunal correctionnel ne s’épanche guère.

La question du cumul de condamnations s’agissant de faits identiques

Autre moyen très largement diffusé est celui soulevé par l’ancien Président de la République, tiré de l’impossibilité de condamner une personne deux fois pour le même fait. Ce dernier faisait en effet valoir que les faits poursuivis du chef de financement illégal de campagne électorale ne pouvaient lui être reprochés au motif qu’il avait déjà été sanctionné, par décision du 4 juillet 2013, pour dépassement de ses comptes de campagne, s’agissant de la même campagne électorale et des mêmes comptes, par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 4 juill. 2013, n° 2013-156 PDR, AJDA 2013. 1413 ; ibid. 1810, note B. Maligner ; D. 2014. 1516, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; AJCT 2013. 309, édito. C. Demunck ).

Pour rappel, les Sages, saisis dans leur office de contrôle de la régularité et de la sincérité des comptes de campagne des candidats, avaient rejeté, dans cette décision de 2013, la requête en annulation formulée par l’ancien président de la République à l’encontre de la décision rendue par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) le 19 décembre 2012, qui avait, elle-même, rejeté le compte de campagne du candidat, conduisant ce dernier à la privation de son droit au remboursement forfaitaire par l’État de ses dépenses électorales, à l’obligation de restituer l’avance forfaitaire accordée d’un montant de 153 000 € et au versement au Trésor public de la somme de 363 615 € correspondant au montant du dépassement du plafond.

Ainsi condamné définitivement, le prévenu se prévaut ici de l’autorité de la chose jugée résultant de la décision du Conseil constitutionnel, laquelle doit s’imposer au juge pénal et conduire à déclarer l’action publique éteinte à son égard. Selon lui en effet, « elle s’imposerait au juge judiciaire, par application des dispositions de l’article 62 de la Constitution et ce, d’autant que, la validation des comptes de campagne, à la date de la décision rendue par le Conseil constitutionnel, résulte d’un contrôle juridictionnel et qu’aucune dénonciation relative à l’existence d’infractions pénales n’a jamais été faite par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques au parquet (Cass., ass. plén., 13 mars 2020, n° 19-86.609, §§ 53 et 54, D. 2020. 602, et les obs. ; RTD com. 2020. 514, obs. B. Bouloc ). Par voie de conséquence, cette autorité de la chose jugée interdirait toute poursuite sur le fondement des dispositions de l’article L. 113-1 du code électoral » (p. 140).

Cette précision méritait d’être fournie par le prévenu. Il faut en effet de rappeler qu’en raison du lien existant entre le principe de l’autorité de la chose jugée et la règle ne bis in idem, l’article 6, alinéa 1er, du code de procédure pénale ne déduit pas l’extinction de l’action publique de l’épuisement de celle-ci assortie de l’interdiction de répéter l’engagement de l’action publique, mais simplement « la chose jugée ». En somme, la règle ne bis in idem repose entièrement sur l’autorité de la chose jugée, si bien qu’il n’est possible d’invoquer cette règle qu’à l’appui d’une décision possédant une telle autorité. Or, à ce niveau, le principe de l’autorité de la chose jugée est d’application stricte. Les juges répressifs considèrent en effet que seule une décision définitive rendue par une juridiction répressive statuant sur l’action publique est revêtue de l’autorité de la chose jugée en matière pénale (Crim. 20 juin 1996, n° 94-85.796, Bull. crim. n° 268 ; D. 1997. 249 , note G. Tixier et T. Lamulle ; RSC 1997. 372, obs. B. Bouloc ; Adde C. pr. pén., art. 368). Alors que la « matière pénale » ne se limite pas aux juridictions répressives mais est également appréciée par les autorités administratives dotées d’un pouvoir de sanction, seules les premières voient leur décision frappée d’autorité de la chose jugée, à l’exclusion des secondes qui ne sont pas « de nature juridictionnelle » (Cons. const. 27 juill. 2000, n° 2000-433 DC, consid. n° 50, D. 2001. 1838 , obs. N. Jacquinot ). En tant qu’aspect du principe de l’autorité de la chose jugée, la règle non bis in idem s’applique naturellement dans les mêmes proportions, à savoir que seuls ces comportements infractionnels se voient frappés de l’autorité de la chose jugée. La chambre criminelle de la Cour de cassation juge d’ailleurs avec constance que, « selon les réserves formulées par la France en marge de [l’article 4, paragraphe 1, du protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales disposant que “Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État”], l’interdiction d’une double condamnation en raison des mêmes faits ne s’applique qu’aux infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale » (V. not. Crim. 20 juin 1996, n° 94-85.796, préc. ; 27 mars 1997, n° 96-82.669, Bull. crim. n° 128 ; D. 1998. 172 , obs. J. Pradel ; RSC 1997. 830, obs. B. Bouloc ; 1er mars 2000, n° 99-86.299, Bull. crim. n° 98 ; D. 2000. 229 , obs. A. Lienhard ; RSC 2000. 629, obs. J. Riffault ; RTD com. 2000. 1028, obs. B. Bouloc ; Bull. Joly bourse 2000, p. 443, § 92, note N. Rontchevsky ; Dr. pénal 2000. Comm. n° 75, obs. J.-H. Robert ; 19 juin 2013, n° 12-87.558, inédit ; 19 févr. 2014, n° 12-87.558, inédit, D. 2014. 2423, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et C. Ginestet ; 13 sept. 2017, n° 15-84.823, à paraître au Bulletin ; D. 2017. 2130 , note S. Detraz ; AJ pénal 2017. 548, obs. P. de Combles de Nayves ; RSC 2017. 807, obs. J.-F. Renucci ; ibid. 2018. 519, obs. F. Stasiak ).  

En limitant ainsi le champ d’application du principe non bis in idem aux poursuites exercées au sein d’un « même ordre » répressif, toute décision rendue par une autorité administrative se trouve dénuée d’autorité de la chose jugée au pénal. La jurisprudence – y compris européenne (CEDH, gr. ch. 15 nov. 2016, n° 24130/11, A. et B. c/ Norvège, AJDA 2016. 2190 ; D. 2017. 128, obs. J.-F. Renucci et A. Renucci ; AJ pénal 2017. 45, obs. M. Robert ; RSC 2017. 134, obs. D. Roets ) rend ainsi possible l’exercice de poursuites devant le juge répressif voire l’infliction, par ce dernier, de peines, et ce, malgré l’existence d’une procédure parallèlement conduite devant une autorité administrative aux fins de sanctions administratives (not. Crim. 2 avr. 2008, n° 07-85.179, inédit, RSC 2009. 117, obs. F. Stasiak ; Dr. sociétés 2008. Comm. n° 136, obs. R. Salomon ; 28 janv. 2009, n° 07-81.674, inédit, RSC 2010. 165, obs. F. Stasiak ; RTD com. 2009. 409, obs. N. Rontchevsky ; ibid. 638, obs. B. Bouloc  ; Com. 8 févr. 2011, n° 10-10.965, Marrionaud, Bull. civ. IV, n° 17 ; D. 2011. 593, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2011. 432, note E. Dezeuze ; RSC 2011. 116, obs. F. Stasiak ; ibid. 118, obs. F. Stasiak ; ibid. 123, obs. F. Stasiak ; ibid. 124, obs. F. Stasiak ; RTD com. 2011. 385, obs. N. Rontchevsky ; ibid. 656, obs. B. Bouloc ), fiscales (not. Crim. 20 juin 1996, n° 94-85.796, préc. ; 6 nov. 1997, n° 96-86.127, Bull. crim. n° 379 ; RSC 1998. 538, obs. B. Bouloc ; Cons. const. 24 juin 2016, nos 2016-545 et 2016-546 QPC (2 esp.), Dalloz actualité, 27 juin 2016, obs. J. Gallois ; D. 2016. 2442 , note O. Décima ; ibid. 1836, obs. C. Mascala ; ibid. 2017. 1328, obs. N. Jacquinot et R. Vaillant ; AJ pénal 2016. 430, obs. J. Lasserre Capdeville ; Constitutions 2016. 361, Décision ; ibid. 436, chron. C. Mandon ; RSC 2016. 524, obs. S. Detraz ), disciplinaires (v. not. Crim. 23 juin 2010, n° 09-83.770, inédit) ou encore douanières (Crim. 4 sept. 2002, nos 01-84.011 et 01-85.816, Bull. crim. n° 157 ; D. 2002. 3060, et les obs. ; RTD com. 2003. 180, obs. B. Bouloc ; ibid. 388, obs. B. Bouloc ). Seule limite à ce cumul de sanctions : le principe de proportionnalité des peines posé par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, lequel trouve un écho dans la règle du concours réel d’infractions (C. pén., art. 132-2) permettant de plafonner le montant global des sanctions prononcées au montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues (not. Cons. const. 28 juill. 1989, n° 89-260 DC, consid. n° 22 ; 30 déc. 1997, n° 97-395 DC, consid. n° 41, AJDA 1998. 173 ; ibid. 118, note J.-E. Schoettl ; D. 1999. 235 , obs. F. Mélin-Soucramanien ). Par conséquent, la question de l’autorité de la chose jugée de la décision du Conseil constitutionnel, ayant approuvé le rejet des comptes par la CNCCFP, qui est une autorité administrative et indépendante, « et non une juridiction » (Cons. const. 31 juill. 1991, n° 91-1141/1142/1143/1144 AN, consid. n° 6, D. 1992. 105 , note Y.-M. Doublet ; RFDA 1991. 887, note B. Genevois ), apparaissait sous cet angle, déterminante. apparaissait sous cet angle, déterminante. 

Le tribunal correctionnel répond ici indirectement sur cette question, en reportant son raisonnement sur une autre décision du Conseil constitutionnel, rendue postérieurement, laquelle reconnaît le cumul sous réserve du respect des principes à valeur constitutionnelle.

Pour rappel, une question prioritaire de constitutionnalité avait été soulevée par l’ancien chef d’État, contestant la conformité des dispositions de l’article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel ainsi que celles de l’article L. 113-1 du code électoral au principe de nécessité et de proportionnalité des peines et au principe non bis in idem, découlant des articles 8 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Si la Cour de cassation avait jugé la question sérieuse (Crim. 19 févr. 2019, n° 18-86.428, inédit, AJDA 2019. 428 ), le Conseil constitutionnel, à l’appui de sa jurisprudence bien établie, rendue en matière de cumul des poursuites et des sanctions en matière électorale, a déclaré les dispositions litigieuses conformes à la Constitution (Cons. const. 17 mai 2019, n° 2019-783 QPC, AJDA 2019. 1078 ; ibid. 1653 , note R. Rambaud ; D. 2019. 1051, et les obs. ; RFDA 2019. 763, chron. A. Roblot-Troizier ; Constitutions 2019. 303, Décision ; ibid. 501, chron. O. Desaulnay ; JCP 2019, n° 28, 769, note J.-M. Brigant). Les Sages reconnaissent certes, dans cette décision, que « les dispositions contestées tendent à réprimer de mêmes faits qualifiés de manière identique » (§ 11). Les sanctions prévues n’ont cependant pas le même objet, ni la même finalité (§§ 12 à 14). La décision qu’ils avaient rendue, le 18 mars 2015, relative au cumul du délit d’initié et du manquement d’initié (Cons. const. 18 mars 2015, nos 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC, AJDA 2015. 1191, étude P. Idoux, S. Nicinski et E. Glaser ; D. 2015. 894, et les obs. , note A.-V. Le Fur et D. Schmidt ; ibid. 874, point de vue O. Décima ; ibid. 1506, obs. C. Mascala ; ibid. 1738, obs. J. Pradel ; ibid. 2465, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi et S. Mirabail ; AJ pénal 2015. 172, étude C. Mauro ; ibid. 179, étude J. Bossan ; ibid. 182, étude J. Lasserre Capdeville ; Rev. sociétés 2015. 380, note H. Matsopoulou ; RSC 2015. 374, obs. F. Stasiak ; ibid. 705, obs. B. de Lamy ; RTD com. 2015. 317, obs. N. Rontchevsky ), avait permis, on se souvient, de poser ces critères dont la réunion permet de conclure au non-cumul des poursuites et/ou sanctions administratives et pénales. 

Les juges de première instance affirment ainsi : « qu’il a été jugé que même si les faits déférés au Conseil constitutionnel et à la juridiction pénale devaient être considérés comme identiques, en tout état de cause, cela n’interdirait pas l’engagement de poursuites pénales et in fine, le prononcé de sanctions pénales, en sus de celles décidées par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politique et le Conseil constitutionnel puisque “les deux répressions prévues par les dispositions contestées relèvent de corps de règles qui protègent des intérêts sociaux distincts aux fins de sanctions de nature différente. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de nécessité et de proportionnalité des peines doit donc être écarté” […] » (p. 141). Sans surprise, ils inscrivent leur solution dans celle consacrée par la chambre criminelle, rendue sur cette même question, le 1er octobre 2019 (Crim. 1er oct. 2019, n° 18-86.428, préc.). L’affaire est donc à suivre, l’ancien président de la République ayant interjeté appel du jugement.