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Affaire Bygmalion : irrecevabilité de la constitution de partie civile de l’association Anticor

Dans cet arrêt de principe, la Cour de cassation déclare irrecevable la constitution de partie civile de l’association Anticor dans le cadre de l’affaire Bygmalion. Interprétant strictement les textes, elle cantonne l’exercice de l’action civile par les associations agréées de lutte contre la corruption aux seules infractions prévues par les articles 2 et 2-23 du code de procédure pénale.

par Dorothée Goetzle 2 février 2018

L’affaire dite « Bygmalion » met en cause un système de fausses facturations entre l’UMP et la société Bygmalion afin de permettre à Nicolas Sarkozy, candidat à l’élection présidentielle de 2012, de réaliser des dépenses liées à sa campagne électorale prises en charge par l’UMP et non comptées dans les dépenses de campagne plafonnées par la loi (R. Rambaud, Confiance dans la vie politique : la révolution attendra… AJDA 2017. 2237 ; Encycl. coll. loc., chap. 3, n° 11332, Le financement de la compagne électorale, par B. Maligner ; R. Rambaud et M. Sannet, Financement de la vie politique : du droit électoral au droit comptable, AJDA 2017. 1164 ). L’arrêt rapporté ne porte pas sur le fond de l’affaire mais sur un intéressant point de procédure relatif à la constitution de partie civile de l’association Anticor. Cette constitution avait été déclarée recevable par les juges d’instruction puis par la chambre de l’instruction.

Les juges du fond avaient justifié leur choix au travers d’une motivation particulièrement audacieuse. Leur raisonnement commençait par rappeler que l’association Anticor, qui est une association habilitée au sens de l’article 2-23 du code de procédure pénale, se constituait partie civile dans le cadre d’une information qui ne concernait aucune des infractions visées à cet article. Transparents, les magistrats instructeurs relevaient dans leur ordonnance qu’aucune de ces infractions n’était visée dans le réquisitoire introductif ni dans les réquisitoires supplétifs délivrés par le parquet, étant rappelé qu’aucune personne n’était mise en examen d’un de ces chefs.

Dès lors, quel a été le raisonnement juridique qui leur a permis de conclure à la recevabilité de la constitution de partie civile ?

Conformément à l’avis du ministère public, les juges d’instruction ont fait un choix courageux : celui d’examiner la recevabilité de la constitution de partie civile au regard de l’article 2 du code de procédure pénale, l’association Anticor ayant pour objet de lutter contre toutes infractions à la probité publique. En outre, ils ont souligné que l’objet de cette association était de mener des actions en vue de lutter contre la corruption et plus particulièrement celle afférente aux milieux politiques et aux élus de la nation. Ce focus sur le but de l’association Anticor n’est pas un hasard. Il permet aux juges d’instruction de conclure que cette association remplit les conditions prévues à l’article premier du décret n° 2014-327 du 12 mars 2014 relatif aux conditions d’agrément des associations de lutte contre la corruption en vue de l’exercice des droits reconnus à la partie civile. Le but de ce texte est de faciliter la constitution de partie civile des associations agrées de lutte contre la corruption à propos d’une liste limitative d’infractions visées à l’article 2-23 du code de procédure pénale. Ainsi, pour les juges d’instruction, ni l’agrément ni l’article 2-23 ne peuvent avoir pour effet de priver l’association Anticor du droit de se constituer partie civile hors le champ des infractions limitativement énumérées par ce texte. Ils concluent cette démonstration en soulignant, à l’aide de références concrètes aux actions menées par Anticor, que, sous le terme de corruption, cette association vise en réalité toutes les formes de malversations et de manquements (conflits d’intérêts, abus de biens sociaux, trafic d’influence, détournement de fonds publics, prise illégale d’intérêts et plus généralement toutes infractions à la probité publique). En conséquence, les infractions visées aux réquisitoires introductif et supplétifs font précisément partie de celles que l’association Anticor a, au quotidien, pour mission de prévenir. Pour les juges d’instruction, la conclusion est sans détour : à les supposer établis, les délits poursuivis sont bien de nature à causer à l’association Anticor un préjudice direct et personnel en raison de la spécificité du but et de l’objet de sa mission. 

Ce raisonnement tout autant pragmatique que courageux a séduit la chambre de l’instruction. Cette juridiction a d’ailleurs rappelé que l’association Anticor a été agréée par arrêté du ministère de la justice du 19 février 2015 pour exercer les droits de la partie civile au titre de l’article 2-23 du code de procédure pénale. En toute transparence, la chambre de l’instruction a une seconde fois concédé qu’aucune de ces infractions n’était visée dans le réquisitoire introductif ni dans les réquisitoires supplétifs délivrés par le parquet et qu’aucune personne n’a été mise en examen d’un de ces chefs. Pourtant, pour « sauver » la recevabilité de cette constitution de partie civile, la chambre de l’instruction s’appuie judicieusement sur une jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle, par application de l’article 2 du code de procédure pénale, une association, peut, même hors habilitation législative, agir en justice au nom d’intérêts collectifs dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social (not. Crim. 9 nov. 2010, n° 09-88.272, D. 2010. 2707, obs. S. Lavric ; ibid. 2641, édito. F. Rome ; ibid. 2760, entretien G. Roujou de Boubée ; ibid. 2011. 112, point de vue M. Perdriel-Vaissière ; RSC 2011. 858, obs. X. Salvat ). Ainsi, la chambre de l’instruction aboutit à la même conclusion que les juges d’instruction, à savoir que les faits de ce dossier, qui visaient à dissimuler le dépassement du plafond légal des dépenses de campagne, à les supposer établis, remettent en cause les principes de transparence et d’égalité entre les candidats prévus par le législateur et causent à l’association Anticor « un préjudice personnel puisque ces infractions portent atteinte aux intérêts collectifs qu’elle défend et qui constituent un des aspects de son activité ».

La chambre criminelle n’adhère pas à ce raisonnement et prononce une cinglante cassation sans renvoi. Elle considère en effet « qu’en se déterminant ainsi alors que, d’une part, comme le relève l’arrêt, l’information judiciaire ne concerne aucune des infractions mentionnées à l’article 2-23 du code de procédure pénale, d’autre part, l’association Anticor ne justifie pas d’un préjudice personnel directement causé par les délits poursuivis, au sens de l’article 2 du même code », la chambre de l’instruction a méconnu les articles 2 et 2-23 du code de procédure pénale. En effet, selon le premier de ces textes, l’action civile en réparation du dommage causé par un délit appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par cette infraction. La seconde disposition limite l’exercice de l’action civile par les associations agréées de lutte contre la corruption aux seules infractions visées par le texte. 

Entre pragmatisme juridique et interprétation stricte des textes, le choix est clair pour la chambre criminelle. D’un point de vue pratique, l’association Anticor est donc définitivement évincée de cette procédure et, sous réserve de modifications législatives, le sera dorénavant de tous les dossiers qui ne sont pas relatifs à des infractions visées par les articles 2 et 2-23 du code de procédure pénale.