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Affaire Cahuzac : quand le droit de la peine est au centre d’un procès

La cour d’appel de Paris a confirmé le 15 mai le jugement déclarant l’ancien ministre délégué au budget coupable de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale. Elle a toutefois infirmé ce jugement au niveau notamment du quantum de la peine d’emprisonnement ferme, ouvrant ainsi au condamné la voie de l’aménagement de peines. 

par Julie Galloisle 1 juin 2018

Cet arrêt était attendu non pas tant sur la culpabilité de l’auteur mais davantage sur la pénalité qui serait prononcée. Les faits de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale qui lui étaient reprochés, en plus d’être établis, n’étaient en effet pas contestés par l’auteur. C’est ce qui constituait d’ailleurs « une caractéristique de ce dossier » (Dalloz actualité, 20 févr. 2018, obs. M. Babonneau isset(node/189291) ? node/189291 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189291). Les questions relatives aux peines pouvant lui être infligées étaient, en revanche, au cœur de ce qu’il y a lieu d’appeler désormais « l’affaire Cahuzac ».

L’un des enjeux était en effet de savoir s’il était possible de prononcer, à l’encontre du prévenu, des sanctions pénales alors qu’il s’était déjà vu infliger des sanctions par l’administration fiscale, à titre de redressement et de pénalités, pour un montant de 2,5 millions d’euros.

On rappellera que, dès l’ouverture du procès devant le tribunal correctionnel de Paris, le prévenu ainsi que son épouse avaient déposé une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité de ce cumul de sanctions au regard du principe de nécessité des peines, laquelle avait été transmise par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel (Crim. 30 mars 2016, n° 16-90.005, Bull. crim. n° 114). Ce dernier avait cependant déclaré le cumul conforme à la Constitution. Selon lui en effet, « [c]e principe […] ne saurait interdire au législateur de fixer des règles distinctes permettant l’engagement de procédures conduisant à l’application de plusieurs sanctions afin d’assurer une répression effective des infractions » (§ 21, in limine), ces sanctions poursuivant des finalités différentes (§ 20 ; Cons. const. 24 juin 2016, n° 2016-546 QPC, Dalloz actualité, 27 juin 2016, obs. J. Gallois , note O. Décima ; ibid. 1836, obs. C. Mascala ; ibid. 2424, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, L. Miniato et S. Mirabail ; ibid. 2017. 1328, obs. N. Jacquinot et R. Vaillant ; Constitutions 2016. 436, chron. C. Mandon ; RSC 2016. 524, obs. S. Detraz ).

Ne pouvant se prévaloir de cette décision qui ne lui permettait pas d’échapper au prononcé, par la juridiction répressive, de peines, le prévenu concentrait en l’espèce son argumentation sur la validité de la réserve formulée par la France à l’article 4 du Protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, relatif au principe ne bis in idem. Car, si l’État français admet le cumul de sanctions administrative et pénale sans méconnaissance des dispositions conventionnelles, c’est en raison de cette réserve posée sur ce même article. D’après cette réserve en effet, « le gouvernement de la République française déclare que seules les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées comme des infractions au sens des articles 2 à 4 du présent protocole ». Limitant ainsi la portée du principe aux seules infractions relevant de la compétence des tribunaux répressifs français (Crim. 20 juin 1996, n° 94-85.796, Bull. crim. n° 268 ; D. 1997. 249 , note G. Tixier et T. Lamulle ; RSC 1997. 372, obs. B. Bouloc ), la réserve permet, outre la poursuite, l’infliction d’une peine à l’égard d’une personne qui aurait été déjà été sanctionnée par une autorité administrative, s’agissant de mêmes faits.

Aussi, si la réserve n’est pas valide, le principe ne bis in idem retrouve sa pleine application et fait naturellement échec à la possibilité d’infliger de nouvelles sanctions de nature pénale sous peine de contrevenir aux dispositions conventionnelles (v. not. CEDH 10 févr. 2009, n° 14939/03, Zolotoukhine c. Russie, AJDA 2009. 872, chron. J.-F. Flauss ; D. 2009. 2014 , note J. Pradel ; RSC 2009. 675, obs. D. Roets ; 4 mars 2014, n° 18640/10, Grande Stevens c. Italie, D. 2015. 1506, obs. C. Mascala ; Rev. sociétés 2014. 675, note H. Matsopoulou ; RSC 2014. 110, obs. F. Stasiak ; ibid. 2015. 169, obs. J.-P. Marguénaud ; RTD eur. 2015. 235, obs. L. d’Ambrosio et D. Vozza ).

En l’espèce, le prévenu soutenait que la réserve « ne satisfai[sai]t pas aux exigences de l’article 57 de la Convention, faute de contenir un exposé bref de la loi ou des lois prétendument incompatibles avec l’article 4 précité ». Reste que, s’il appartient au juge d’interpréter une réserve à un traité, le principe de la séparation des pouvoirs ne lui permet pas d’apprécier la validité d’une telle réserve. À plusieurs reprises la jurisprudence a rappelé le respect de cette exigence (v. not. T. corr. Paris, 32e ch., 18 juin 2015, n° 07115096011, LPA 29 juin 2015, n° 128, p. 4, note O. Dufour ; Bull. Joly bourse 2015, n° 11, p. 495, note N. Cuntz et É. Trobou). En première instance, le tribunal correctionnel avait notamment pris soin de motiver notablement son jugement qui écartait cette prétention (T. corr. Paris, 32e ch., 8 déc. 2016, p. 176-177 ; Dalloz actualité, 14 déc. 2016, obs. D. Goetz isset(node/182248) ? node/182248 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>182248). La cour d’appel confirme ici cette position, retenant que « c’est à bon droit que les premiers juges ont indiqué que, sauf à s’immiscer dans la conduite des relations internationales du pays et partant violer le principe de la séparation des pouvoirs, il n’appartient pas à l’autorité judiciaire d’exercer un contrôle de la validité d’une réserve émise par la France lors de la signature d’une convention internationale déterminant l’étendue de l’engagement de l’État ». Et pour couper court à toute discussion, elle relève également que « la réserve précitée n’a pas été remise en cause par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui admet la coexistence en parallèle des procédures administratives et pénales ». Aussi en déduit-elle que « la règle non bis in idem fixée par l’article 4 du protocole n° 7 annexé à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne saurait faire obstacle au cumul de sanctions fiscales et pénales ».

L’infliction de sanctions pénales étant possible, l’autre enjeu de l’arrêt importait donc sur le fait de savoir quelles peines seraient alors prononcées. Dès le rendu de la décision, les débats se sont en effet concentrés autour de ces dernières. Condamné à quatre ans d’emprisonnement dont deux assortis du sursis simple et à 300 000 € d’amende, outre une peine d’inéligibilité de cinq ans, le prévenu a vu son sort aggravé par les juges d’appel – le tribunal correctionnel de Paris ne l’avait condamné « qu’ » à trois ans d’emprisonnement ferme, outre la peine d’inéligibilité de cinq ans.

Paradoxalement, pourtant, cette nouvelle condamnation est apparue, aux yeux de l’avocat de la défense, comme « équilibrée » et constitutive d’« une réelle victoire de la justice ». Le paradoxe de la situation est encore plus grand lorsque l’on sait que c’est le conseil lui-même qui est allé jusqu’à enjoindre à la juridiction du second degré d’aggraver cette peine d’emprisonnement (Dalloz actualité, 21 févr. 2018, obs. M. Babonneau isset(node/189295) ? node/189295 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189295).

Cette « victoire » réside en réalité dans la possibilité, pour le condamné, de solliciter un aménagement de sa peine d’emprisonnement ferme et ainsi d’éviter son exécution au sein d’un établissement pénitentiaire. Le code de procédure pénale permet en effet à toute personne condamnée à une peine d’emprisonnement ferme inférieure ou égale à deux ans – et uniquement cette personne (comp. Crim. 26 oct. 2011, n° 10-88.462, Bull. crim. n° 222 ; Dalloz actualité, 23 nov. 2011, obs. M. Léna ) – de bénéficier d’un aménagement de peine, soit dès le prononcé de la peine, soit après décision du juge de l’application des peines (C. pr. pén., art. 474 et 723-15 s.).

Comme a pu le relever la professeure Martine Herzog-Evans, « les rédacteurs de la loi pénitentiaire ont fait feu de tout bois pour faire ressortir – ou ne point entrer – de détention un nombre aussi important de condamnés à des peines privatives de liberté que possible » (obs. ss. Crim. 26 oct. 2011, n° 10-88.462, AJ pénal 2013. 553, préc.). Cette démarche, renforcée par la loi Taubira du 15 août 2014, conduit nécessairement les juges à privilégier la voie de l’aménagement de peines, donc des mesures telles que le placement sous surveillance électronique.

Reste que cette politique, mise en place initialement dans le but de lutter contre les effets désocialisants des courtes peines d’emprisonnement, a pour effet pervers de favoriser un sentiment d’impunité à l’égard des faits commis. Dans la mesure où la peine prononcée – et non pas encourue – ou a fortiori restant à subir peut aller jusqu’à deux ans, de nombreuses infractions notamment violentes ou aggravées tombent dans l’escarcelle des peines aménageables ab initio.

Or, en l’espèce, la gravité des présents faits ne fait aucun doute pour la cour d’appel, comme pour le tribunal correctionnel avant elle. Elle fait plus exactement montre de « la gravité intrinsèque des faits » au travers de l’analyse de la personnalité de l’auteur. Pour les juges d’appel en effet, « les faits de fraude fiscale et de blanchiment liés à la détention et la conservation du compte singapourien au cours des années 2010, 2011, 2012 et jusqu’à mars 2013 et au dépôt des chèques de ses clients sur le compte de [sa mère] signent la volonté persistante du prévenu d’échapper à ses obligations fiscales et de se mettre ainsi délibérément hors la loi », ce dernier ayant été pendant ces mêmes périodes notamment député européen, ayant assuré la présidence de la commission des finances de l’Assemblée nationale et ayant été nommé ministre du budget. Plus largement, la cour d’appel relève que « ces agissements heurtent le principe républicain d’égalité des citoyens devant l’impôt qui devait être au centre de[s] préoccupations » du prévenu qui, ministre en charge du budget, « mena[i]t la lutte contre la fraude fiscale, alors même qu’il conservait à Singapour, à l’insu de l’administration qu’il dirigeait, des avoirs d’une valeur globale de plusieurs centaines de milliers d’euros ». Au-delà de ces contradictions, les juges retiennent encore que le prévenu avait déposé une déclaration de patrimoine mensongère auprès de la commission de la transparence financière de la vie politique et était demeuré, dans un premier temps, dans la dénégation avant d’admettre, dans un second temps, la réalité des faits.

En plus de cette gravité des faits, la cour d’appel de Paris relève que « la mesure de la sanction doit s’apprécier au regard d’une fraude qui, assumée autant que dissimulée pendant des années, coexistait avec un combat mené contre l’évasion fiscale dont il se voulait le pourfendeur alors qu’il en était l’un des acteurs ». Aussi juge-t-elle que « le recours à l’emprisonnement est pleinement justifié eu égard aux circonstances de commission des faits […] et à leur ampleur, au regard du montant des droits éludés, toute autre peine étant manifestement inadéquate ». Elle fixe ainsi le quantum de la peine d’emprisonnement à quatre ans tout en faisait le choix de l’assortir du sursis simple en raison de « l’absence d’antécédents judiciaires » du prévenu.

Avec de tels motifs, cet arrêt offre plus largement l’occasion de prendre conscience de l’exercice de motivation auxquels sont astreints les juges du fond. Depuis plusieurs années maintenant, le législateur impose en effet à ces derniers, sous le contrôle de la Cour de cassation, de motiver toute peine correctionnelle prononcée, quelle qu’en soit sa nature. Et cette exigence de motivation apparaît encore rigoureuse en cas de peine d’emprisonnement ferme, cette dernière devant être prononcée « en dernier recours » (C. pén., art. 132-19 ; v. encore réc., s’agissant de l’obligation de motivation d’une peine criminelle, Cons. const. 2 mars 2018, n° 2017-649 QPC, § 10, D. 2017. 1654, et les obs. ; Dalloz IP/IT 2017. 591, obs. T. Azzi ; Constitutions 2017. 500, Décision ; ibid. 582, chron. J.-F. Giacuzzo ).

L’article 132-19 du code pénal exige en effet des magistrats souhaitant condamner un délinquant à de l’emprisonnement ferme de motiver leur décision, spécialement, c’est-à-dire doublement, lorsque cette peine d’emprisonnement ferme est inférieure ou égale à deux ans. En effet, le texte ne permet, en premier lieu, le prononcé de cette peine que si la gravité de l’infraction et la personnalité de l’auteur la rendent nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate. Il exige en second lieu des juges du fond, qui décideraient de ne pas aménager cette peine, comme c’est le cas en l’espèce, de justifier cette décision, soit en établissant que la personnalité et la situation du condamné ne permettent pas un tel aménagement, soit en constatant une impossibilité matérielle.

Pour satisfaire à cette motivation, les juges parisiens relèvent que, si le prévenu « fai[sai]t état de la reprise d’une pratique médicale à l’étranger au travers d’organisations non gouvernementales », il n’en justifiait toutefois pas. Et, bien que son conseil « a[it] expliqué les circonstances qui rendaient impossible d’en justifier », ils constatent en outre qu’« aucun élément certain sur la faisabilité d’un éventuel aménagement de la partie ferme de la peine d’emprisonnement prononcée » n’est fourni. Ils ont dès lors logiquement déduit qu’« aucun aménagement ab initio de la peine » n’était possible.

À l’analyse de ce dernier motif, l’on se rend compte qu’il ne sera pas facile pour le condamné, qui a fait le choix, tout comme le parquet général (v. communiqué de presse) –, et ce bien qu’il ait requis la confirmation de la peine de trois ans d’emprisonnement ferme prononcée en première instance (Dalloz actualité, 20 févr. 2018, obs. M. Babonneau, préc.) –, de ne pas former de pourvoi en cassation, d’obtenir un tel aménagement de peine auprès du juge de l’application des peines compétent.