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Affaire CK Telecoms : la Cour de justice de l’Union européenne précise le standard de preuve requis de la Commission européenne en cas d’interdiction d’une opération de concentration

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), réunie en grande chambre, annule l’arrêt du Tribunal rendu dans l’affaire CK Telecoms pour de multiples erreurs de droit. Revenant ainsi, entre autres points importants, sur le standard applicable aux interdictions d’opérations de concentration par la Commission européenne. La Cour précise que ce standard relève de la « balance des probabilités » (l’interdiction étant possible dès lors qu’il est plus probable qu’improbable qu’il existe une entrave significative à une concurrence effective) laissant ainsi une importante marge de manœuvre à la Commission dans la mise en œuvre du contrôle des concentrations.

La CJUE, réunie en grande chambre, a rendu le 13 juillet 2023 un arrêt très attendu dans l’affaire CK Telecoms. Cet arrêt fera sans nul doute date dans l’histoire du contrôle européen des concentrations. La Cour censure en effet à six reprises l’arrêt rendu en première instance par le tribunal, accueillant ainsi l’intégralité des moyens soulevés par la Commission européenne.

Dans cette affaire, la Commission avait interdit le 11 mai 2016 le rachat par CK Telecoms de O2, un opérateur de téléphonie mobile concurrent. Les motifs de l’interdiction étaient en somme les suivants : il s’agissait d’une opération faisant passer le nombre d’opérateurs sur le marché de quatre à trois (le second étant racheté par le quatrième), les parts de marché des parties en valeur étaient d’environ 40 % et plusieurs préoccupations de concurrence avaient été soulevées par la Commission (O2 était considéré comme un important moteur de la concurrence sur le marché, O2 et CK Telecoms étaient des concurrents proches et le test économétrique UPP indiquait une forte probabilité d’augmentation des prix post-opération).

Le tribunal avait ensuite annulé la décision d’interdiction par un arrêt du 28 mai 2020 (aff. T-399/16), mettant en avant un standard de preuve exigeant pour la Commission afin de procéder à de telles interdictions. L’avocate générale Juliane Kokott avait rendu des conclusions très hostiles à cette solution et appelait la censure de l’arrêt du tribunal.

Dans la droite ligne des conclusions de l’avocate générale, la Cour juge que la Commission dispose d’une large marge de manœuvre pour procéder à des appréciations économiques prospectives complexes dans le cadre du contrôle des concentrations. La Cour relève que le tribunal avait dès lors imposé à la Commission un standard trop exigeant, justifiant ainsi que l’affaire soit renvoyée devant lui.

L’arrêt de la Cour est remarquable au moins à deux égards.

D’une part, il s’agit du premier arrêt de la Cour portant sur une question substantielle en contrôle des concentrations sur le fondement du règlement (CE) n° 139/2004. Il faut en effet remonter à l’arrêt Airtours rendu par le tribunal (Trib. UE 6 juin 2002, Airtours plc c/ Commission, aff. T-342/99, RSC 2002. 599, obs. J.-C. Fourgoux ; RTD com. 2002. 766, obs. S. Poillot-Peruzzetto ; ibid. 2003. 401, obs. S. Poillot-Peruzzetto ) sous l’empire du précédent règlement concentrations pour trouver un arrêt concernant la substance du contrôle. Les rares recours en matière de contrôle des concentrations sont en effet le plus souvent cantonnés à des points de procédure.

D’autre part, l’arrêt de la Cour, particulièrement sévère avec le tribunal, comporte des enseignements précieux sur divers éléments du raisonnement à suivre en matière de contrôle des concentrations.

L’arrêt de la Cour, particulièrement dense, justifie de revenir plus en détail sur quatre aspects : premièrement, sur les précisions conceptuelles apportées par la Cour sur les notions de proximité concurrentielle et d’important moteur de la concurrence, deuxièmement, sur le test dit de « l’entrave significative à une concurrence effective » instauré par le règlement (UE) 139/2004, troisièmement, sur le standard de preuve pour interdire une concentration et quatrièmement sur l’approche adoptée par la Cour en ce qui concerne les gains d’efficience et les tests économétriques.

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