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Affaire Cornu : le CSM met fin à la procédure disciplinaire

Le Conseil supérieur de la magistrature a relaxé l’ancien juge d’instruction de Bastia François-Marie Cornu, notamment poursuivi pour manquement à son devoir de réserve. Le ministère de la Justice avait demandé comme sanction l’abaissement d’un échelon.

par Pierre-Antoine Souchardle 17 décembre 2020

« C’est une totale réhabilitation et la victoire du droit sur la légèreté des accusations portées à son encontre », s’est félicité mercredi l’avocat de François-Marie Cornu, Me Olivier Morice. Cette décision de la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), compétente pour les magistrats du siège, met un terme aux poursuites engagées en 2015 contre le magistrat par le ministère de la justice.

Pourtant, le 12 juillet 2017, cette même formation disciplinaire, autrement composée, saisie des mêmes faits avait sanctionné M. Cornu. À savoir un blâme, avec inscription au dossier, pour manquements aux devoirs de réserve, de loyauté et de délicatesse, de confidentialité et au secret professionnel.

Enjeu de cette procédure, une interception téléphonique en date du 17 juillet 2015 qui a servi de fondements aux poursuites disciplinaires contre M. Cornu, à l’époque juge d’instruction au tribunal de grande instance (TGI) de Bastia. Elle avait motivé la sanction disciplinaire, le CSM estimant à l’époque que la nature et la teneur des propos caractérisaient « des manquements aux devoirs de loyauté et de délicatesse tant à l’égard de ses collègues magistrats que des services enquêteurs ».

Mais voilà, cette sanction, basée sur cette interception téléphonique, a été annulée par le Conseil d’État. Le 12 juin 2019, il a jugé qu’elle était « entachée d’une insuffisance de motivation », le CSM ayant écarté, sans y répondre, un moyen de défense de M. Cornu sur la légalité et les conditions de transmission de cette écoute téléphonique.

Revenons un peu dans le maquis corse, avec ses odeurs de thym et de myrte, ses histoires de vengeance et de soupirs silencieux. Installé en septembre 2013 comme juge d’instruction au TGI de Bastia, François-Marie Cornu est considéré comme un magistrat prometteur, très bien noté jusqu’alors par sa hiérarchie. Il se voit confier des dossiers de grande criminalité, notamment ceux concernant des assassinats commis dans la Plaine orientale.

Au fils des mois, le magistrat en vient à soupçonner certains gendarmes de couvrir un homme qu’il considère, malgré le peu d’éléments recueillis, comme impliqué dans plusieurs de ses dossiers, Olivier Sisti. Celui-ci est mis en examen en janvier 2015 pour assassinat (il est témoin assisté dans deux autres dossiers et victime dans d’autres). Le juge des libertés et de la détention (JLD) le laisse en liberté sous contrôle judiciaire. Contrôle qui sera levé six mois plus tard par la chambre de l’instruction.

En juin 2015, M. Cornu est dessaisi de ce dossier par le président du TGI à la demande du procureur de la République en application des dispositions de l’article 84 du code de procédure pénale.

Un mois plus tard, le 17 juillet 2015, le juge s’épanche au téléphone avec une partie civile du dossier dont il a été dessaisi. Ce qu’il ne sait pas, c’est que celle-ci est placée sur écoute dans le cadre d’une enquête préliminaire. Le magistrat critique l’action des gendarmes, celle du parquet, de la chambre de l’instruction… Le 23 juillet, une transcription de cette écoute atterrit sur le bureau du procureur.

La formation disciplinaire du CSM a été saisie par le ministère de la Justice et M. Olivier Sisti.

Plusieurs séries de griefs étaient retenus contre M. Cornu, dont manquement à ses devoirs de réserve, de loyauté et de délicatesse, de confidentialité et au secret professionnel.

Lors de l’audience du 4 décembre, la défense de M. Cornu a une nouvelle fois relevé le caractère illégal de l’interception téléphonique. Ainsi que son contenu. Ce qu’il n’avait pas fait auparavant.
Non-respect, d’une part, de l’article 706-95, qui veut que le JLD autorisant une telle interception soit «  informé sans délai par le procureur de la République des actes accomplis en application de l’alinéa précédent, notamment des procès-verbaux dressés en exécution de son autorisation ».

Et absence de formalité de la retranscription, s’apparentant, selon la défense, à une « note blanche ».

Dans la décision rendue mercredi, si la formation disciplinaire du CSM considère qu’elle « ne peut porter une appréciation sur la régularité des actes juridictionnels », elle estime en revanche qu’il lui appartient « d’analyser la validité des moyens de preuve soumis à l’appui d’un grief disciplinaire ». Moyens contestés par le magistrat, qui « n’a pas été en mesure de les discuter préalablement dans le cadre d’une procédure pénale ».

« La pièce présentée comme portant retranscription de cette écoute téléphonique, qui ne revêt pas la forme d’un procès-verbal », relève la formation disciplinaire, « ne mentionne pas l’identité de l’officier de police judiciaire, auteur de la transcription de la correspondance, une telle formalité étant requise pour authentifier l’acte ». En toute logique, elle « ne peut, dans ces conditions, revêtir une force probatoire ».

La formation disciplinaire estime par ailleurs que l’enregistrement, placé sous CD-Rom, n’a pas été produit à l’appui de la procédure, empêchant le CSM comme le magistrat poursuivi d’y avoir accès. Elle considère qu’« en l’absence de tout autre élément susceptible d’étayer la réalité des propos imputés à M. Cornu, la preuve de la conversation incriminée n’est pas régulièrement rapportée, et le grief [de manquement aux devoirs de réserve, de délicatesse et de loyauté, ndlr] sera écarté ».

Toujours sur la base de cette interception, M. Cornu était poursuivi pour manquements aux devoirs de confidentialité, de violation du secret professionnel et d’atteinte à l’image de la justice. Il lui était reproché d’avoir évoqué des dossiers dont il était saisi et mis en cause l’institution judiciaire.

Dans une casuistique toute jésuitique, le CSM tient à rappeler que, « s’il était avéré, un tel comportement constituerait un manquement » aux devoirs précités « s’imposant à tout magistrat ainsi qu’une atteinte à l’image de la justice propre à en diminuer le crédit ». Cependant, comme la formation disciplinaire a « écarté la pièce pénale portant retranscription de cette conversation, il s’ensuit que ce grief, insuffisamment étayé par les autres investigations diligentées, sera rejeté ».

Cette décision constitue, selon l’avocat de M. Cornu, « une avancée importante pour la défense des magistrats car, jusque-là, le CSM se refusait à contrôler la régularité des actes de procédure reprochés à un juge. Il est manifeste que le CSM, dont je salue la décision, a fait évoluer sa jurisprudence en prenant en considération les arrêts de la Cour européenne au visa de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ce faisant, le CSM a reconnu implicitement l’irrégularité de l’interception téléphonique en Corse ».

La Direction des services judiciaires avait, après l’annulation de la sanction disciplinaire par le Conseil d’État, ajouté un nouveau grief contre M. Cornu. Il lui était reproché d’avoir, sur un compte ouvert à son nom, publié des attestations rédigées dans le cadre de la procédure disciplinaire. Faits qu’il avait contestés à l’audience.

Sur ce point, la formation disciplinaire l’a relaxé. « Il ressort des éléments de la procédure et des débats que de tels agissements […] n’ont pas été confirmés par les éléments fournis à l’appui du grief, les conditions de création du compte Twitter n’ayant pas été établies et seules les captures d’écran d’un tel compte ayant été produites, de sorte que ce grief n’est pas suffisamment étayé et sera rejeté ».

Le CSM a également considéré irrecevable la plainte de M. Sisti estimant qu’il n’avait pas qualité pour agir.