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Affaire de la Dépakine : précisions sur l’étendue de la responsabilité de l’État

La Cour administrative d’appel de Paris reconnaît la responsabilité de l’État en raison d’une carence fautive de l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé dans sa mission de contrôle de l’information incluse dans l’autorisation de mise sur le marché de la Dépakine. Elle apporte également d’utiles précisions sur les questions, comme souvent complexes, d’imputabilité et de causalité.

Cinq arrêts de la Cour administrative d’appel de Paris marquent un nouvel épisode dans l’affaire de la Dépakine (CAA Paris, 14 janv. 2025, n° 22PA02381, n° 21PA04398, n° 21PA04849, n° 21PA01990, n° 21PA02510, AJDA 2025. 119 ). Les juges d’appel viennent en effet de se prononcer sur des recours de familles de victimes cherchant à mettre en cause la responsabilité de l’État en raison de la faute qu’il aurait commise dans l’exercice de ses pouvoirs de police sanitaire relative aux médicaments. Dans ces différentes affaires, des patientes s’étaient vu administrer de la Dépakine lors de leur grossesse. Ce médicament commercialisé depuis 1967 (et depuis 1973 par le laboratoire Sanofi) contient du valproate de sodium. Il est surtout utilisé dans le traitement de l’épilepsie ; il l’est aussi dans celui des troubles bipolaires. À partir des années 1980. Il est admis que l’exposition in utero au valproate de sodium peut être à l’origine de malformations congénitales. Au début des années 2000, un lien est également établi entre cette exposition et l’existence de troubles neuro-développementaux chez l’enfant.

L’affaire de la Dépakine est à l’origine d’un abondant contentieux surtout sur les volets civil et pénal. Elle a même donné lieu à une première action de groupe en santé intentée par l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anti-convulsivant (APESAC) sur la base du dispositif législatif du 26 janvier 2016 (Loi n° 2016-41 du 26 janv. 2016 de modernisation de notre système de santé, art. 184). Des actions en responsabilité ont également été exercées devant la justice administrative visant à obtenir la condamnation de l’État à raison d’une carence fautive (v. not., TA Montreuil, 2 juill. 2020, n° 1704275, n° 1704392 et n° 1704394, Dalloz actualité, 15 juill. 2020, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA 2020. 1387 ; ibid. 2102 , note S. Brimo ). La Cour administrative d’appel de Paris est ici saisie d’appels dirigés contre des jugements du Tribunal administratif de Montreuil. Il lui revient de préciser les conditions d’engagement de la responsabilité de l’État au titre de sa mission de pharmacovigilance.

L’articulation entre le dispositif législatif d’indemnisation amiable des victimes de la Dépakine et le recours en responsabilité devant le juge administratif

Face à l’ampleur des dommages corporels, et dans le prolongement d’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS, Enquête relative aux spécialités pharmaceutiques contenant du valproate de sodium, févr. 2016), le législateur (Loi n° 2016-1917 du 29 déc. 2016 de finances pour 2017, art. 150 ; CSP, art. L. 1142-24-9 à L. 1142-24-18) est intervenu pour mettre en place un dispositif d’indemnisation amiable des victimes du valproate de sodium. La procédure est menée sous l’égide de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM). Le fonctionnement de ce dispositif, dont l’objectif était pourtant de faciliter l’indemnisation des victimes, s’avère décevant (v. sur ce point, Rapport d’information n° 904 [2021-2022] au nom de la commission des finances du Sénat, déposé le 28 sept. 2022, Dalloz actualité, 10 oct. 2022, obs. J.-M. Pastor). Cette procédure n’a heureusement pas un caractère exclusif. L’article L. 1142-24-9 du code de la santé publique prend effectivement soin de préciser que le dispositif législatif d’indemnisation peut trouver à s’appliquer « Sans préjudice des actions qui peuvent être exercées conformément au droit commun ». Dans l’affaire n° 21PA04398 (et pour partie, dans l’aff. n° 21PA02510, préc.), la situation est particulière car les parents ont accepté les offres d’indemnisation amiable faites par l’ONIAM pour l’État, ce qui les a conduits à conclure des protocoles transactionnels. L’autorité de la chose jugée de la transaction explique qu’au point 8 de l’arrêt la cour indique « La signature, par les intéressés, de ces protocoles d’indemnisation et l’acceptation des offres amiables faites par l’ONIAM pour l’État, qui respectent les conditions de licéité et de respect de l’ordre public (…), comportent des concessions réciproques et équilibrées et visent à la réparation intégrale des préjudices subis, emporte nécessairement renonciation (…) à toute action indemnitaire en réparation des préjudices subis du fait de la faute de l’État dans l’exercice de ses pouvoirs de police sanitaire, y compris ceux que l’ONIAM a refusé d’indemniser ».

Pour le reste, les victimes ont la possibilité de se tourner vers...

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