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Affaire des écoutes : retour sur la caractérisation des infractions (2/2)

Par un arrêt du 18 décembre 2024, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés par l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, son avocat, Thierry Herzog, et Gilbert Azibert dans le cadre de l’affaire dite « des écoutes ». Ces derniers sont donc tous les trois déclarés définitivement coupables notamment des chefs de corruption et trafic d’influence et condamnés à trois ans d’emprisonnement dont une année ferme aménagée sous surveillance électronique, outre les peines complémentaires d’inéligibilité prononcée à l’encontre du premier et d’interdiction d’exercice à l’encontre du deuxième.

Nous ne reviendrons pas ici sur les faits de cette affaire singulière, lesquels ont été détaillés dans le premier volet consacré à la décision rendue le 18 décembre 2024 par la chambre criminelle de la Cour de cassation (Affaire des écoutes : retour sur les éléments de procédure, Dalloz actualité, 9 janv. 2024, obs. J. Gallois).

Sur les délits de violation du secret professionnel et recel de ce délit

En l’espèce, l’avocat de l’ancien président de la République et le magistrat du parquet sont, en premier lieu, poursuivis des chefs respectivement de violation du secret professionnel et recel de violation du secret professionnel. En effet, lors d’une perquisition au domicile du magistrat, un arrêt de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Bordeaux, lequel arrêt lui avait été remis par l’avocat, a été retrouvé. La cour d’appel a considéré que cet arrêt avait dès lors été révélé en méconnaissance des dispositions de l’article 226-13 du code pénal.

Pour rappel, cet article réprime « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire […] d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende ». Autrement dit, la personne qui, en raison de son état, sa profession, fonction ou mission temporaire, a eu connaissance directement ou indirectement d’une information à caractère confidentiel se doit de garder, à ce sujet, le silence.

Pour être matériellement caractérisé, le délit requiert d’abord une personne dépositaire d’un secret. En imposant à certaines personnes, sous une sanction pénale, l’obligation du secret comme un devoir de leur état, le législateur a entendu assurer la confiance qui s’impose dans l’exercice de certaines professions (Crim. 15 déc. 1885, DP 1886. 1. 347 ; 9 nov. 1901, DP 1902. 1. 235 ; 9 mai 1913, DP 1914. 1. 206). Comme le rappelle en effet la jurisprudence, le délit ne vise que les faits parvenus à la connaissance d’une personne dans l’exercice d’une profession ou d’une fonction aux actes de laquelle la loi, dans un intérêt général et d’ordre public, a imprimé le caractère confidentiel, ou dans le cas où les mêmes faits lui ont été confiés sous le sceau du secret en raison d’une semblable profession ou fonction (Crim. 5 févr. 1970, n° 69-90.040 ; 9 oct. 1978, n° 76-92.075). Sont évidemment inclus les avocats (v. not., Civ. 1re, 7 juin 1983, n° 82-14.469 ; Crim. 2 mars 2010, n° 09-88.453, Dalloz actualité, 28 avr. 2010, obs. M. Léna), profession pour laquelle le secret « apparaît comme consubstantiel » (C. Porteron, Le secret professionnel de l’avocat, AJ pénal 2009. 158 ), même « une condition de l’effectivité de son exercice » (C. Porteron, préc.).

Ensuite, la révélation doit porter sur un secret lié à l’exercice professionnel de celui qui l’a reçu en confidence (Crim. 19 nov. 1985, n° 83-92.813 P). Sur ce point, la jurisprudence adopte une conception large.

En effet, le secret professionnel de l’avocat couvre d’abord toutes les confidences que ce dernier a pu recevoir à raison de son état ou de sa profession de la part de son client, que ces confidences lui soient faites dans son cabinet ou à l’extérieur. Très récemment d’ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion de réaffirmer la confidentialité de tous les échanges entre un avocat et son client, en matière de conseil comme de défense, quel qu’en soit le support (CJUE 26 sept. 2024, aff. C-432/23, § 49).

Pour rappel, les règles de la profession d’avocat l’obligent à ne « commet[tre], en toute matière, aucune divulgation contrevenant au secret professionnel, sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de déclaration ou de révélation prévues ou autorisées par la loi ». Il n’est d’ailleurs autorisé à communiquer à son client des extraits du dossier que pour les besoins de sa défense ou à des tiers, sur autorisation. Toute autre divulgation constitue une violation punissable du secret professionnel (Crim. 16 mai 2000, n° 99-85.304, D. 2002. 858 , obs. B. Blanchard ).

Dans ces circonstances, le secret couvre les renseignements reçus du client, ceux reçus à leur profit ou les concernant, même en relation avec des tiers (Civ. 1re, 7 juin 1983, n° 82-14.469, préc.). Sont ainsi visées les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci et les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention "officielle". De manière plus générale, le secret professionnel de l’avocat couvre aussi toutes les pièces du dossier et leur contenu. Dans un arrêt rendu le 18 mars 2015, la chambre criminelle de la Cour de cassation a en effet considéré que le fait de « produi[re], dans une instance civile, des pièces d’une procédure pénale d’instruction distincte en cours, sans y avoir été autorisé, ni même avoir sollicité une telle autorisation », constitue un indice grave ou concordant rendant vraisemblable la participation d’une avocate aux faits de violation du secret professionnel et du secret de l’instruction (Crim. 18 mars 2015, n° 14-86.680, Dalloz actualité, 9 avr. 2015, obs. L. Priou-Alibert ; AJ pénal 2015. 557, obs. G. Royer ). Tel est le cas, par exemple, de la communication du contenu de procès-verbaux (Crim. 18 sept. 2001, n° 00-86.518, D. 2001. 3171 ).

La solution rendue par la Cour de cassation s’inscrit dans cette approche extensive, en incluant un arrêt de chambre de l’instruction comme pièce du dossier alors que son dépositaire était l’avocat de la personne mise en examen dans cette procédure d’instruction non encore clôturée à la date du prononcé de l’arrêt et, à ce titre, tenu au secret professionnel (§ 61). La Cour régulatrice approuve en effet la cour d’appel en ce qu’elle a fait l’exacte application notamment de l’article 226-13 du code pénal, pour avoir considéré que « cet arrêt est un acte de la procédure d’instruction dans laquelle il a été rendu et qu’il est donc...

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