Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Affaire des écoutes : retour sur les éléments de procédure (1/2)

Par un arrêt du 18 décembre 2024, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés par l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, son avocat, Thierry Herzog, et Gilbert Azibert dans le cadre de l’affaire dite « des écoutes ». Ces derniers sont donc tous les trois déclarés définitivement coupables, notamment des chefs de corruption et trafic d’influence, et condamnés à trois ans d’emprisonnement dont une année ferme aménagée sous surveillance électronique, outre les peines complémentaires d’inéligibilité prononcée à l’encontre du premier et d’interdiction d’exercice à l’encontre du deuxième.

Tout est singulier dans cette affaire dite « des écoutes » ou encore appelée affaire Bismuth ou Azibert-Bismuth

Singulier, s’agissant des protagonistes tout d’abord. L’affaire mêle en effet un ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, son avocat, Thierry Herzog, et un magistrat du parquet près la Cour de cassation, Gilbert Azibert.

S’agissant du contexte ensuite. L’affaire repose, en effet, exclusivement sur des écoutes téléphoniques ayant eu lieu entre l’ancien président et son avocat, faisant de ces écoutes le cœur même du procès avant la caractérisation des infractions reprochées (J. Gallois, Affaires des écoutes : retour sur la caractérisation des infractions (2/2), Dalloz actualité, à paraître).

S’agissant des faits enfin. Ces derniers interviennent, en effet, au confluent de deux autres affaires impliquant l’ancien président de la République : l’affaire Bettencourt et l’affaire du financement libyen de la campagne présidentielle de 2007, dont le procès s’est ouvert le 6 janvier 2025.

En 2014, alors qu’une information judiciaire est ouverte le 19 avril 2013, portant sur les conditions du financement de la campagne électorale du candidat à l’élection présidentielle de 2007, notamment des chefs de corruption, de trafic d’influence et de blanchiment, des écoutes téléphoniques sont ordonnées sur plusieurs lignes de l’ancien chef d’État. À la suite d’un rapport dressé par l’officier de police judiciaire chargé de l’enquête, l’existence d’une autre ligne mise en service au moyen d’une carte prépayée sous le nom de Paul Bismuth, mais paraissant servir à l’ancien président, est révélée. Cette ligne est, à son tour, placée sous écoute en janvier 2014.

Sur cette ligne, des conversations sont interceptées entre Nicolas Sarkozy et son avocat, donnant lieu à des procès-verbaux de transcriptions. Un autre procès-verbal établi le 7 février 2014, contenait, quant à lui, le résumé des conversations échangées, laissant supposer, d’une part, que les intéressés étaient informés des écoutes téléphoniques réalisées sur les lignes régulières de l’ancien président et des perquisitions envisagées et, d’autre part, que l’avocat recevait des informations, pour certaines confidentielles, sur un pourvoi en cassation en cours devant la Cour de cassation dans l’affaire Bettencourt, susceptibles de provenir de Gilbert Azibert, alors premier avocat général près la Cour de cassation.

De ces écoutes téléphoniques découlent deux procédures.

Faisant suite à une ordonnance de soit-communiqué des juges d’instruction, le parquet national financier (PNF) a, en premier lieu, ouvert, le 26 février 2014, une information contre personne non dénommée pour trafic d’influence, complicité et recel, violation du secret de l’instruction et recel. Les juges d’instruction ainsi saisis ont ordonné, le même jour, par plusieurs commissions rogatoires, la surveillance, pour une durée de deux mois, des lignes téléphoniques utilisées respectivement par l’avocat de l’ancien président et du magistrat ainsi que la transcription des écoutes opérées dans la procédure initiale. Des perquisitions au domicile de l’ancien chef d’État ont également été diligentées, ayant permis la découverte d’une copie d’un arrêt de la chambre de l’instruction se rapportant à l’affaire Bettencourt. Conséquence de ces découvertes, un réquisitoire supplétif a été pris le 1er juillet 2014 pour corruption active et passive et trafic d’influence actif et passif commis jusqu’au 11 mars 2014 ainsi que pour violation du secret de l’instruction et recel. 

En second lieu, parallèlement à cette information et à la suite des soupçons de ce que Nicolas Sarkozy et son avocat auraient été informés de l’existence d’interceptions téléphoniques le concernant, y compris s’agissant de la ligne ouverte au nom de « Paul Bismuth », une enquête préliminaire, sur les instructions du PNF, a été ouverte le 4 mars 2014 du chef de violation du secret professionnel au cours de laquelle plusieurs avocats pénalistes parisiens avaient fait l’objet de réquisitions téléphoniques. Cette enquête sera classée sans suite le 4 décembre 2019 au motif que l’infraction était insuffisamment caractérisée.

Par jugement du 1er mars 2021, le Tribunal correctionnel de Paris a, s’agissant de l’ancien président, requalifié les faits de corruption active par particulier sur une personne dépositaire de l’autorité publique en corruption active par particulier sur un magistrat, l’a déclaré coupable de trafic d’influence actif et corruption active d’un magistrat, et l’a condamné à trois ans d’emprisonnement dont deux assortis du sursis. S’agissant ensuite de son avocat, les juges de première instance ont requalifié les faits de corruption active par particulier sur une personne dépositaire de l’autorité publique en corruption active par particulier sur un magistrat, l’ont déclaré coupable de violation du secret professionnel, corruption active d’un magistrat et trafic d’influence actif, et l’ont condamné à trois ans d’emprisonnement, dont deux assortis du sursis, ainsi qu’à la peine complémentaire de cinq ans d’interdiction professionnelle. S’agissant enfin du magistrat du parquet, le tribunal correctionnel a requalifié les faits de corruption passive par personne dépositaire de l’autorité publique en corruption passive par magistrat, l’a déclaré coupable de recel, corruption passive et trafic d’influence passif, et l’a également condamné à trois ans d’emprisonnement dont deux assortis du sursis. Étant précisé que la partie ferme de chacun des condamnés est aménagée sous le régime de la surveillance électronique (TJ Paris, 1er mars 2021, n° 14056000872, Dalloz actualité, 5 mars 2021, obs. E. Mercinier-Pantalacci ; AJ pénal 2021. 196, note E. Daoud et A. Msellati ).

Par arrêt rendu le 17 mai 2023, la Cour d’appel de Paris a confirmé le jugement ainsi entrepris sur la culpabilité et sur les peines principales (Paris, ch. 2-14, 17 mai 2023). Elle a condamné l’ancien chef d’État à une peine d’inéligibilité de trois ans et l’avocat à une peine d’interdiction professionnelle de trois ans.

Les moyens soulevés par les prévenus contre cette décision, portant sur la forme, méritent plusieurs observations.

Sur l’impossibilité de contester l’impartialité d’un juge sans procédure de récusation préalable

Tout d’abord, l’ancien chef de l’État conteste la partialité subjective de l’une des magistrats ayant composé la juridiction de jugement. Il reproche en effet à la magistrate d’avoir exprimé, à titre personnel, lors de propos publics retranscrits dans la presse, une position défavorable à l’encontre de la politique judiciaire qu’il avait voulue, lorsqu’il était président de la République, et ce à travers la réforme de la justice qu’il avait engagée le 7 janvier 2009, visant à supprimer le juge d’instruction.

Dans le cadre d’un article paru au Monde le 14 janvier 2009, la magistrate en question, alors juge d’instruction au pôle financier, avait en effet pris position contre cette suppression souhaitée par le président de la République au bénéfice du parquet (Objection, monsieur le président !, lemonde.fr, 14 janv. 2009). Dans cet article, la juge, pour qui « Museler les juges, c’est un fantasme d’homme politique », revient sur le rôle du magistrat instructeur, sans qui les affaires politico-financières, en l’absence d’un parquet volontariste qui irait défier les pouvoirs publics, n’auraient pas existé. En effet, « Avec le système préconisé par Nicolas Sarkozy, l’affaire du sang contaminé n’aurait pas existé, l’affaire Elf non plus. Il n’y aurait plus de constitution de partie civile, cette procédure qui a donné naissance à la plupart des affaires politico-financières. Il faudrait que le parquet soit masochiste et schizophrène pour lancer des poursuites qui pourraient nuire à la raison d’État […]. On ne peut demander à un procureur de se suicider professionnellement. Prenez l’Angolagate ou l’affaire Borrel, un procureur irait-il gâter des relations diplomatiques importantes pour la France ? Il ira demander l’avis de son chef, qui n’est autre que le ministre de la Justice. Mais comment voulez-vous que les procureurs se battent sur des dossiers sensibles, à moins de vouloir être exilés dans un tribunal de second ordre ? » 

Sans surprise, la Cour de cassation rejette ce moyen, non pas sur le fond mais sur la forme. Elle rappelle que « Le prévenu n’est pas recevable à mettre en cause l’impartialité, qu’elle soit subjective ou objective, d’un magistrat composant la chambre des appels correctionnels, en invoquant l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, au regard d’éléments dont il avait ou pouvait avoir connaissance au moment des débats, dès lors qu’il n’a pas usé de la possibilité d’en obtenir le respect en récusant ce magistrat en application de l’article 668 du code de procédure pénale » (§ 24).

D’un point de vue procédural, il est en effet constant que la contestation d’une éventuelle violation du principe d’impartialité des juges composant les juridictions du fond doit nécessairement être examinée au travers de la procédure de récusation inscrite aux articles 668 et suivants du code de procédure pénale ou en présentant une requête en suspicion légitime sur le fondement de l’article 662 du...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :