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Affaire des prothèses PIP : questions de droit international privé

Par deux arrêts du 10 octobre 2018, la Cour de cassation se penche sur les aspects de droit international privé de l’affaire PIP, très médiatisée par la presse généraliste.

par François Mélinle 24 octobre 2018

La première chambre civile a prononcé, le 10 octobre 2018, deux arrêts relatifs à l’affaire des implants mammaires fabriqués et commercialisés par la société PIP. Cette société avait demandé à une société de droit allemand de procéder à l’évaluation du système de qualité mis en place pour la conception, la fabrication et le contrôle final de ces implants. Le système de qualité de la société PIP fut alors approuvé, de même que la conception d’implants d’un certain type, préremplis de gel de silicone.

Par la suite, il est apparu que ces implants avaient été, pour partie, fabriqués à partir d’un gel de silicone différent du gel figurant dans le dossier présenté. Le ministère de la santé a alors préconisé aux femmes concernées de faire procéder à l’explantation des implants, en raison d’un risque de rupture précoce et du caractère inflammatoire du gel utilisé.

Les deux arrêts du 10 octobre 2018 portent sur le contentieux né de cette affaire. Leur intérêt concerne essentiellement des questions de droit international privé, relatives au délai d’exercice du pourvoi en cassation, de la compétence internationale et de la loi applicable.

Le délai de distance

À la suite du prononcé de la décision d’appel, des pourvois en cassation ont été formés. Certaines des parties demanderesses au pourvoi étaient domiciliées à l’étranger, ce qui soulevait une difficulté d’appréciation du respect du délai posé par le code de procédure civile pour former un pourvoi (sur l’ensemble de la question, v. Rép. internat., Délai, par F. Leborgne et L. Cadiet, n° 16 ; Rép. pr. civ., v° Pourvoi, par J. et L. Boré, nos 190 et 191).

L’article 612 dispose, à propos de la matière interne, que « le délai de pourvoi en cassation est de deux mois, sauf disposition contraire » mais il existe un délai de distance permettant de tenir compte des difficultés pratiques liées à l’éloignement. L’article 643 précise ainsi que le délai de pourvoi en cassation est augmenté de deux mois pour les personnes qui demeurent à l’étranger. Toutefois, pour apprécier si ce délai a été respecté, il faut rechercher à quelle date la décision d’appel a été remise aux parties, ce qui soulève la question du régime des significations sur le plan international. Sur ce point, l’article 684 prévoit que l’acte destiné à être notifié à une personne ayant sa résidence habituelle à l’étranger est remis au parquet, sauf dans les cas où un règlement européen ou un traité international autorise l’huissier de justice ou le greffe à transmettre directement cet acte à son destinataire ou à une autorité compétente de l’État de destination.

Ce sont précisément ces principes que les deux arrêts mettent en œuvre. Ils constituent une simple illustration des principes habituels et de la jurisprudence antérieure. Ils méritent toutefois de retenir l’attention car cette matière est difficile à appréhender, dans la pratique, car il existe plusieurs séries de textes – issus du code de procédure civile ou de textes européens et internationaux – dont la mise en œuvre est parfois à l’origine d’erreurs.

Les deux arrêts indiquent tout d’abord, dans les mêmes termes, « qu’à l’égard des parties domiciliées à l’étranger, le délai de pourvoi de deux mois augmenté de deux mois court du jour de la remise régulièrement faite au parquet et non de la date de la remise aux intéressés d’une copie de l’acte par les autorités étrangères, sauf dans les cas où un règlement communautaire ou un traité international autorise l’huissier de justice ou le greffe à transmettre directement cet acte à son destinataire ou à une autorité compétente de l’État de destination ». Cette solution correspond à celle déjà énoncée par la Cour, sous réserve de quelques ajustements de forme (Com. 6 oct. 2009, n° 08-16.732, D. 2009. 2496 ).

Les arrêts appliquent ensuite ce principe en distinguant trois hypothèses, en fonction de l’instrument juridique applicable. Les principes qu’ils énoncent seront mis en exergue dans les lignes qui suivent, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le détail des circonstances d’espèce qui sont très nombreuses (dans l’une des affaires, il y a 182 demandeurs et 1 289 dans la seconde) et qui ne présentent pas, en elles-mêmes, d’intérêt particulier.

L’application du règlement du 13 novembre 2007

Certaines parties étaient domiciliées dans l’Union, ce qui conduisait à l’application du règlement n° 1393/2007 du 13 novembre 2007 relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale. Ce texte est en effet applicable en matière civile et commerciale, lorsqu’un acte judiciaire ou extrajudiciaire doit être transmis d’un État membre à un autre pour y être signifié ou notifié (art. 1).

Ce règlement prévoit que chaque État membre désigne les officiers ministériels, autorités ou autres personnes – dénommés « entités d’origine » – compétents pour transmettre les actes judiciaires ou extrajudiciaires aux fins de signification ou de notification dans un autre État membre (art. 2) et, lorsque les formalités relatives à la signification ou à la notification de l’acte ont été accomplies, une attestation le confirmant est établie au moyen d’un formulaire type figurant dans une annexe du règlement, et est adressée à l’entité d’origine (art. 10).

Ainsi que le relèvent les deux arrêts, le règlement ne prévoit, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, aucune exception à l’utilisation des formulaires types qui figurent aux annexes de ce texte, lesquels contribuent à simplifier et à rendre plus transparente la procédure de transmission des actes, garantissant ainsi tant la lisibilité de ceux-ci que la sécurité de leur transmission (CJUE 16 sept. 2015, Alpha Bank Cyprus, aff. C-519/13, Dalloz actualité, 5 oct. 2015, obs. F. Mélin ; 2 mars 2017, Henderson, aff. C-354/15, Dalloz actualité, 15 mars 2017, obs. F. Mélin ). Et, lorsqu’aucune attestation n’est établie au moyen du formulaire type pour confirmer la signification ou la notification, il faut en déduire que le délai de pourvoi n’a pas pu courir, faute de procédure régulière.

L’application de la Convention du 15 novembre 1965

Le domicile d’autres parties était situé hors de l’Union mais dans des États liés par la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale.

L’article 5 de cette convention énonce, notamment, que l’autorité centrale de l’État requis procède ou fait procéder à la signification ou à la notification de l’acte selon les formes prescrites par la législation de l’État requis pour la signification ou la notification des actes dressés dans ce pays. Son article 6 ajoute que cette autorité centrale établit une attestation conforme à la formule modèle annexée à la Convention.

Au regard de ces principes, les deux arrêts retiennent que « la date de signification d’un arrêt à l’adresse indiquée dans celui-ci, selon les modalités de la Convention de La Haye du 15 novembre 1965, est, à l’égard de son destinataire, celle à laquelle l’autorité étrangère compétente lui a remis l’acte ». Cela correspond à une approche déjà consacrée par la jurisprudence (v. Civ. 1re, 23 juin 2011, n° 09-11.066, Bull. civ. I, n° 120 ; D. 2011. 1831 ; ibid. 2140, chron. B. Vassallo et C. Creton ; Rev. crit. DIP 2012. 102, note F. Cornette ). Les arrêts précisent également que, lorsque l’acte n’a pu être remis au destinataire, la signification est réputée faite à la date à laquelle l’autorité étrangère compétente a établi l’attestation conforme à la formule modèle annexée à la convention précisant le fait qui aurait empêché l’exécution.

L’application de l’article 684 du code de procédure civile

Le domicile d’autres parties enfin était situé hors de l’Union et hors d’États liés par la Convention de La Haye ou par une autre convention internationale. Il fallait alors faire application de l’article 684 du code de procédure civile, selon lequel l’acte destiné à être notifié à une personne ayant sa résidence habituelle à l’étranger est remis au parquet, dès lors qu’aucun règlement ou traité n’est applicable.

Il fallait donc tenir compte de la date de remise au parquet pour déterminer si le délai de deux mois augmenté de deux mois était expiré. Il est utile de rappeler qu’un arrêt de la deuxième chambre civile du 21 janvier 1998 (pourvoi n° 97-16.078, Dalloz jurisprudence) a énoncé qu’à l’encontre des parties domiciliées à l’étranger, le délai de pourvoi court du jour de la signification régulièrement faite au parquet et non de la date de la remise à l’intéressé d’une copie de l’acte par les autorités étrangères. L’un des arrêts du 10 octobre 2018 (n° 16-19.430, Dalloz jurisprudence) reprend cette même approche mais en allant plus loin : en précisant que, dans cette hypothèse de parties domiciliées hors de l’Union et hors d’un État lié par la Convention de La Haye, aucun règlement communautaire ou traité international n’autorise l’huissier de justice ou le greffe à transmettre directement l’acte en cause à son destinataire ou à une autorité compétente de l’État de destination.

La compétence du juge français

L’affaire soulevait par ailleurs un problème de compétence du juge français à propos des demandes d’indemnités formées contre la société allemande qui avait été chargée du contrôle de qualité des implants, et ce au regard des dispositions du règlement Bruxelles I n° 44/2001 du 22 décembre 2000. Son article 5, § 3, dispose qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.

Dans les deux arrêts, la Cour de cassation procède à une substitution d’un motif de pur droit à ceux utilisés par les juges du fond. Elle pose que la compétence des juridictions françaises se justifie par le fait que le fait générateur du dommage était localisé en France, dès lors que les manquements reprochés à la société allemande concernaient une surveillance de la qualité effectuée dans des locaux de la société PIP en France.

Cette position se situe dans la ligne de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui rappelle régulièrement que la notion de « lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire » vise à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et celui de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage, de telle sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l’un ou l’autre de ces deux lieux (v. par ex. CJCE 10 juin 2004, Kronhofer, aff. C-168/02, point 16, D. 2004. 1934, et les obs. ; ibid. 2005. 1192, obs. P. Courbe et H. Chanteloup ; Rev. crit. DIP 2005. 326, note H. Muir Watt ; 16 juin 2016, Universal Music International Holding, aff. C-12/15, point 28, Dalloz actualité, 6 juill. 2016, obs. F. Mélin , note O. Boskovic ; ibid. 2025, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; RTD com. 2017. 233, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ; RTD eur. 2016. 805, obs. E. Guinchard ).

La loi applicable

Enfin, la question de la loi compétente est envisagée par la Cour de cassation. Les deux arrêts indiquent que les faits litigieux se sont déroulés sur une période s’étendant de 1997 à 2010. Or cette précision est importante pour déterminer la règle de conflit de lois applicable. En effet, le règlement Rome II n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles s’applique aux faits générateurs de dommages survenus depuis le 11 janvier 2009 (art. 31 et 32) ; et qu’avant cette date, la règle de conflit était d’origine jurisprudentielle. Il fallait donc distinguer deux phases, selon que s’imposait la règle de conflit classique issue de la jurisprudence ou le règlement, car les faits litigieux se sont produits de 1997 à 2010.

Dans ce cadre, la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir retenu que le dommage était survenu dans les usines en France de la société PIP, où les contrôles de qualité devaient être réalisés, et d’avoir dès lors appliqué la loi française.

Pour les faits les moins récents, l’application de la règle jurisprudentielle classique conduit en effet à la désignation de la loi française, puisque – selon une formule déjà énoncée – « en l’absence d’une convention internationale ou d’un règlement de l’Union européenne applicables, les règles de droit international privé désignent, s’agissant de déterminer la loi compétente en matière de responsabilité extracontractuelle, celle de l’État sur le territoire duquel le fait dommageable s’est produit, ce lieu s’entendant aussi bien de celui du fait générateur du dommage que de celui de sa réalisation, le juge devant rechercher, en cas de délit complexe, le pays qui présente les liens les plus étroits avec le fait dommageable » (Com. 4 nov. 2014, n° 12-27.072, Dalloz actualité, 19 nov. 2014, obs. X. Delpech ; ibid. 2015. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; RJ com. 2015. 163, obs. P. Berlioz ; LEDB 2015. 5, n° 009, obs. L. Abadie ; JCP 2015. 19, note L. Abadie et J. Lasserre Capdeville ; Gaz. Pal. 15 mars 2015, p. 34, obs. J. Morel-Maroger ; LPA 2015, n° 87, p. 11, obs. J. Lasserre Capdeville).

Pour les faits relevant du règlement Rome II, il faut rappeler qu’en principe, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient (art. , § 1) mais que, « s’il résulte de l’ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s’applique » (sur cette clause d’exception, v., de manière générale, Rép. internat., Règlement Rome II : obligations non contractuelles, par O. Boskovic, nos 38 s.). Et les arrêts approuvent précisément les juges du fond d’avoir considéré que le fait dommage présentait les liens les plus étroits avec la France.

S’il faut reconnaître que les motivations des deux arrêts sont peu détaillées à ce sujet, la solution qui est retenue mérite d’être approuvée.