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Affaire Dieudonné : la mise à disposition d’une salle de spectacle, composante de la liberté d’expression

La décision du maire de Marseille d’annuler la convention de mise à disposition d’une salle dans laquelle devait se jouer un spectacle de Dieudonné a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression, estime le juge des référés du Conseil d’État.

par Jean-Marc Pastorle 15 novembre 2017

Après avoir annoncé que sa ville n’accueillerait pas le spectacle de Dieudonné intitulé « Dieudonné dans la guerre », le maire de Marseille avait annulé la convention de mise à disposition de la salle qui devait accueillir le spectacle. La société Les Productions de la Plume et Dieudonné M’Bala M’Bala ont alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Marseille qui a suspendu cette décision et enjoint au maire de permettre le déroulement de ce spectacle dans la salle prévue à cet effet. Saisi en appel par la commune, le juge des référés du Conseil d’État, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté la demande d’annulation de l’ordonnance du tribunal administratif de Marseille. Dans les circonstances particulières de l’espèce, la décision du maire ne se limitait pas à une résiliation d’un contrat pour un motif d’intérêt général, il s’agissait bien d’une mesure de police visant à interdire la tenue du spectacle. Le Conseil d’État précise que le maire de Marseille a entendu faire usage, « d’une part, des prérogatives qu’il tient de sa qualité de gestionnaire du domaine public et, d’autre part, des pouvoirs de police administrative qui lui sont conférés ». Dans les circonstances particulières de l’espèce, eu égard tant à la date de la résiliation du contrat qu’aux motifs qui en constituent le fondement, cette décision « a eu pour objet et pour effet d’interdire la tenue du spectacle et doit être regardée comme une mesure de police ».

« L’exercice de la liberté d’expression est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés », rappelle ensuite le Conseil d’État. Compte tenu du fait que la seule annonce de la décision du maire de Marseille a provoqué une interruption des réservations et était de nature à faire obstacle, dès sa prise d’effet, à la vente du plus grand nombre possible de places dans la salle louée pour cette date, le juge des référés a estimé que la condition d’urgence était remplie au regard du référé-liberté soulevé.

Une atteinte grave et manifestement illégale

Le juge des référés relève que le spectacle « Dieudonné dans la guerre », qui a déjà été donné à plusieurs reprises à Paris, Metz, Strasbourg et Grenoble, n’a pas suscité, en raison de son contenu, de troubles à l’ordre public et n’a pas donné lieu à des plaintes ou des condamnations pénales. La commune n’établit pas, estime le juge, « le risque de troubles à l’ordre public en se référant à une vidéo de Dieudonné publiée sur internet le 4 juillet 2007 et relative au décès de Mme Simone Veil ainsi qu’à une nouvelle chanson intitulée “c’est mon choa” ». Enfin, « si un risque de désordre ne peut être complètement exclu, il ne résulte pas de l’instruction que le maire de Marseille ne pourrait y faire face par de simples mesures de sécurité ». Dès lors, la décision du maire de Marseille interdisant la tenue du spectacle a constitué une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression.