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Affaire Fauré Le Page 1717 : quand la Cour de cassation interroge une nouvelle fois la Cour de justice sur la question de la déceptivité

Et de trois ! Pour la troisième fois en moins de six mois, la Cour de cassation décide d’interroger par voie de question préjudicielle la Cour de justice afin qu’elle se prononce sur l’interprétation à donner à l’une des dispositions de la directive (UE) 2015/2436 (Com. 10 janv. 2024, n° 21-23.45, Prop. intell. 2024, n° 92, p. 60, obs. J. Canlorbe). Plus encore, après une question posée à propos de la potentielle déceptivité d’une marque composée par un nom de famille (Com. 28 févr. 2024, n° 22-23.833, Dalloz actualité, 12 mars 2024, obs. Y. Basire), la chambre commerciale de la Cour de cassation décide, une nouvelle fois, de solliciter la Cour de justice sur la notion de déceptivité. 

Contexte

L’affaire, qu’il conviendrait plutôt de qualifier de saga, porte sur la marque « Fauré Le Page 1717 ».

La société Maison Fauré Le Page exerçait, depuis 1716, l’activité d’achat et de vente d’armes, de munitions et d’accessoires en cuir. En 1992, elle fit l’objet d’une dissolution ayant eu pour conséquence d’entrainer le transfert universel de son patrimoine à son actionnaire unique : la société Saillard. En 1989, cette même société déposa la marque française « Fauré Le Page » pour désigner les produits « armes blanches ; armes à feu et leurs parties ; munitions et projectiles ; explosifs ; supports pour le tir ; cartoucheries ; cuir et imitations du cuir ; malles et valises ». En 2009, la société Saillard céda cette marque à la société Fauré Le Page, nouvellement immatriculée au registre du commerce et des sociétés, qui, pour sa part, déposa, en 2011, la marque française « Fauré Le Page 1717 » afin de désigner, en classe 18, les produits « cuir et imitation du cuir ; malles et valises ; sacs de voyage ; sacs à main ». Cette marque vit, toutefois, sa validité contestée dans le cadre d’une action en nullité, le demandeur en nullité, la société Goyard ST-Honoré, invoquant le fait qu’elle pouvait tromper le consommateur sur la date de création de l’entreprise du fait de la présence du nombre « 1717 ».

Dans un premier arrêt du 4 octobre 2016, la Cour d’appel de Paris releva que la mention « 1717 » n’était pas susceptible d’être interprétée par le public pertinent comme une référence à la date de création de la société titulaire « mais plus certainement comme se référant à l’époque de la création de la maison éponyme dont elle est le successeur, la différence d’une année n’étant pas significative » (Paris, 4 oct. 2016, n° 15/04193).

L’arrêt fut censuré sur ce point, la Cour de cassation reprochant à la cour d’appel d’avoir considéré que la société titulaire de la marque litigieuse était le successeur de la Maison Fauré Le Page, « sans préciser la signification de cette qualification, ni constater que cette société aurait continué ou repris les activités de la société Saillard ou qu’elle serait aux droits de cette dernière, la cour d’appel, qui n’a pas caractérisé en quoi cette société était en droit, du seul fait de la cession de la marque "Fauré Le Page", de se prévaloir, auprès du public concerné, de l’ancienneté de la Maison Fauré Le Page » (Com. 27 juin 2018, n° 16-27.856, D. 2019. 453, obs. J.-P. Clavier et N. Martial-Braz ; Dalloz IP/IT 2018. 692, obs. K. Disdier-Mikus et H. Miereanu ).

La cour d’appel de renvoi retint, alors, que le nombre 1717 dans la marque litigieuse était une référence à la date de création de la société Fauré Le Page, au XVIIIe siècle, susceptible de tromper le public en créant un risque de confusion sur l’origine des produits visés à l’enregistrement, en lui faisant croire qu’ils proviennent d’une société Fauré Le Page, ancienne de plusieurs siècles, ce qui est un gage de savoir-faire, de qualité et de sérieux pour le consommateur des produits en question. Le risque de tromperie était, par conséquent, suffisamment établi. C’est dans ce contexte que la Cour de cassation est saisie une nouvelle fois, à la suite du pourvoi du titulaire de la marque « Fauré Le Page 1717 », et qu’elle décide d’interroger la Cour de justice.

Question préjudicielle

La Cour de cassation relève, dans un premier temps, que le caractère exemplatif de la liste de l’article 3, paragraphe 1, sous g) de la directive (UE) 2008/95 semble compatible avec le fait de retenir une tromperie quant aux caractéristiques de l’entreprise, titulaire de la marque, ces informations – fausses – pouvant conduire le consommateur à croire à la qualité ou au prestige des produits concernés. À cela, s’ajoute un sondage produit par la société Goyard ST-Honoré qui met en exergue le fait que l’ancienneté d’une entreprise revendiquée par une marque influence la décision du consommateur. La Cour de cassation rappelle, par ailleurs, que le caractère déceptif d’une marque « ne se limite pas à un message trompeur sur les seules caractéristiques du produit ou du service ou certains d’entre eux, mais peut concerner les caractéristiques de l’entreprise titulaire de la marque elle-même ». Il peut en aller ainsi de son ancienneté, lorsque le consommateur peut en déduire que le produit qui en est revêtu possède certaines qualités ou jouit d’un certain prestige, ces éléments étant susceptibles d’influencer sa décision d’acquérir le produit. La Cour de cassation indique à ce titre qu’il s’agit d’autant d’éléments dont il peut être tenu compte aux fins d’apprécier l’atteinte à la qualité des produits, comme la Cour de justice a pu l’affirmer dans sa décision Copad (CJCE 23 avr. 2009, aff. C-59/08, PIBD 2009. III. 1086, Dalloz actualité, 30 avr. 2009, obs. J. Daleau ; D. 2009. 1276, obs. J. Daleau ; RTD com. 2009. 706, obs. J. Azéma  ; JCP E 2009. 1675, note C. Caron ; Propr. industr. 2009. Comm. 38, note A. Folliard-Monguiral).

Pour autant et comme l’invoque la société Fauré Le Page, la déceptivité, envisagée comme motif absolu de refus ou de nullité, implique que la marque trompe le consommateur, non pas sur l’entreprise titulaire des droits, mais bien sur les caractéristiques des produits ou des services désignés dans les registres. La jurisprudence du Tribunal de l’Union européenne retient également que la mise en œuvre de ce motif – visé à l’article 7, paragraphe 1,...

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