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Affaire Fillon : l’épilogue d’une saga judiciaire… ou presque

Par arrêt du 24 avril 2024, la Cour de cassation a, sans surprise, approuvé l’ensemble des déclarations de culpabilité prononcées par la cour d’appel à l’encontre de François Fillon, de son épouse et de son suppléant à la députation. Elle a toutefois cassé sa décision sur la motivation de la peine d’emprisonnement ferme prononcée à l’encontre de l’ancien candidat à l’élection présidentielle et sur le préjudice subi par l’Assemblée nationale.

Le dénouement de l’affaire Fillon, ou appelée Penelopegate, devant la chambre criminelle de la Cour de cassation était attendu (A. Bloch, Le « Penelopegate » devant la chambre criminelle, Dalloz actualité, 29 févr. 2024).

Les faits

Un rapide rappel des faits s’impose. Début 2017, une enquête préliminaire des chefs de détournement de fonds publics, d’abus de biens sociaux et de recel de ces délits, est ouverte à l’encontre du candidat à la présidentielle de 2017, François Fillon, à la suite de la publication, par l’hebdomadaire Le Canard enchaîné, d’un article remettant en cause la réalité des tâches d’assistante parlementaire accomplies par son épouse auprès de lui, lorsqu’il était député de 1998 à 2002, et auprès de son suppléant, de 2002 à 2007. L’épouse du candidat a également vu la teneur de son travail remis en cause par le journal satirique, lorsqu’elle occupait un emploi de conseillère littéraire de la publication la Revue des deux mondes, entre mai 2012 et décembre 2013, pour une rémunération mensuelle de 5 000 € bruts. Le directeur de la revue, proche de l’ancien élu, élevé en 2011 à la dignité de grand-croix dans l’ordre de la Légion d’honneur par le président de la République, Nicolas Sarkozy, sur sa proposition en sa qualité de Premier ministre, a été quant à lui condamné de manière définitive du chef d’abus de biens sociaux, dans le cadre d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, après avoir reconnu avoir rémunéré de manière excessive puis fictive sa nouvelle conseillère (Affaire Pénélope Fillon : Marc Ladreit de Lacharrière condamné à huit mois de prison avec sursis, Le Monde, 11 déc. 2018).

Saisi du dossier, le procureur national financier décide d’ouvrir une information judiciaire, au cours de laquelle le couple Fillon est mis en examen notamment pour détournements de fonds publics par personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, d’abus de biens sociaux, complicité et recel de ces délits.

Par jugement rendu le 29 juin 2020 (T. corr. Paris, 29 juin 2020, n° 17025000146, Dalloz actualité, 29 juin 2020, obs. M. Babonneau ; ibid. 16 juill. 2020, obs. M. Recotillet), le prévenu est notamment condamné pour détournements de fonds publics réalisés entre 1998 et 2002 puis entre 2012 et 2013, complicité et recel du détournement de fonds publics commis par son suppléant ainsi que complicité et recel de l’abus de biens sociaux imputé au directeur de la Revue des deux mondes. Son suppléant est condamné pour détournement de fonds publics.

Quant à son épouse, elle est condamnée pour complicité et recel des détournements de fonds publics commis par son mari et le suppléant de celui-ci, ainsi que pour complicité et recel de l’abus de biens sociaux reconnu par son ancien employeur pour ses fonctions de conseillère littéraire.

Sur appel des trois condamnés, la Cour d’appel de Paris a, par arrêt du 9 mai 2022, confirmé la déclaration de culpabilité des trois prévenus.

Sur la forme

L’exception de nullités soulevée postérieurement à la clôture de l’information judiciaire

Tout d’abord, la Cour de cassation est appelée à se prononcer sur la possibilité de soulever des nullités postérieurement à l’instruction. Il s’agit là du point le plus saignant de l’affaire Fillon, en ce qu’il a conduit à la réécriture de l’article 385 du code de procédure pénale.

Pour rappel, lors de l’appel formé contre le jugement de condamnation, l’ancien Premier ministre a soulevé l’annulation de certains actes de procédure au motif que des moyens de nullité furent, selon lui, révélés postérieurement à l’audience du tribunal correctionnel. En effet, après le renvoi de l’affaire devant le Tribunal correctionnel de Paris par le juge d’instruction, une commission d’enquête parlementaire consacrée aux obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire, avait auditionné l’ancienne procureure en charge du dossier au parquet national financier. Cette dernière avait alors évoqué une forme de « pression » de la part de sa hiérarchie dans le suivi de la procédure Fillon (v. not., Affaire Houlette ou l’hypocrite débat sur l’indépendance du parquet relancé, Dalloz actualité, 22 juin 2020, obs. M. Babonneau). Ces propos avaient immédiatement été suivis d’une vive polémique, avant d’être tempérés par l’intéressée puis formellement démentis par la procureure générale de Paris (Propos d’Éliane Houlette : la mousse de la pression retombe, Dalloz actualité, 3 juill. 2020, obs. P.-A. Souchard). Le Conseil supérieur de la magistrature avait même émis un avis selon lequel le pouvoir exécutif n’avait aucunement fait pression sur les services du parquet (v. not., Pas de pression de l’exécutif sur le PNF, dit le Conseil supérieur de la magistrature, Dalloz actualité, 17 sept. 2020, obs. J. Mucchielli).

L’ancien Premier ministre a vu dans tout cela un grief à soulever, connu postérieurement à la clôture de l’information judiciaire, celui selon lequel la procédure ne présentait pas de garanties suffisantes en termes d’indépendance et d’impartialité.

La Cour d’appel de Paris a cependant jugé irrecevable l’exception de nullités de la procédure au motif que ces nullités, faute d’avoir été soulevées en phase d’instruction, conformément aux règles posées par les articles 173-1, 174 et 175 du code de procédure pénale, se trouvaient purgées en application de l’article 385 du même code. Jugé forclos avant d’être déclaré coupable des chefs de poursuite, l’ancien Premier ministre a alors, à l’occasion de son pourvoi, soulevé une question prioritaire de constitutionnalité, laquelle a été transmise au Conseil constitutionnel (Crim. 28 juin 2023, n° 22-83.466).

Ce dernier a, par décision du 28 septembre 2023, déclaré l’article 385 précité contraire à la Constitution, et plus précisément au droit à un recours juridictionnel effectif et aux droits de la défense (Cons. const. 28 sept. 2023, n° 2023-1062 QPC, Dalloz actualité, 13 oct. 2023, obs. H. Diaz ; AJ pénal 2023. 561 et les obs. ).

Si la chambre criminelle tire les conséquences de cette décision pour laquelle les sages ont considéré, « afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, [qu’]il y a[vait] lieu de juger que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou, au plus tard, au 1er octobre 2024, la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances en cours ou à venir lorsque la purge des nullités a été ou est opposée à un moyen de nullité qui n’a pu être connu avant la clôture de l’instruction », de sorte qu’il reviendra alors à la juridiction compétente de statuer sur ce moyen de nullité, elle rejette cependant le pourvoi au motif que la cour d’appel avait examiné les nullités soulevées par l’ancien Premier ministre et dont les motifs n’avaient pas été contestés devant la Cour de cassation (§ 12).

L’exception de prescription de l’action publique des délits de détournements de fonds publics, d’abus de biens sociaux, et de complicité et de recel de ces infractions

Le candidat malheureux a par ailleurs soulevé devant la chambre criminelle la prescription des infractions qui lui étaient reprochées. Il reprochait à la cour d’appel d’avoir considéré que le point de départ du délai de prescription de l’action publique est fixé, non au jour de commission des infractions, mais au jour de la publication de l’article de presse faisant apparaître les faits incriminés, soutenant la nécessité du respect du terme fixé notamment à l’action publique.

Selon lui en effet, « les délais légaux de péremption ou de prescription, qui figurent parmi les restrictions légitimes au droit à un tribunal, sont essentiels pour garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions, pour mettre les défendeurs potentiels à l’abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contrer, et pour empêcher l’injustice qui pourrait se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des événements survenus loin dans le passé à partir d’éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé » (§ 15).

Le moyen était ici fondamental pour les prévenus dans la mesure où les faits de la prévention avaient été commis entre 1998 et 2013, de sorte que la prescription était acquise en 2016 – le délai de prescription des délits était en effet à l’époque triennal –, soit bien avant l’ouverture de l’enquête préliminaire, et jour de publication de...

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