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Affaire Grégory : inconstitutionnalité des dispositions applicables en 1984 à la garde à vue des mineurs

Il appartiendra au juge judiciaire d’apprécier les conséquences de cette inconstitutionnalité dans le litige à l’origine de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée dans le cadre de l’affaire dite « du petit Grégory ». 

par Dorothée Goetzle 22 novembre 2018

Le 11 septembre 2018, le Conseil constitutionnel était saisi par la Cour de cassation d’une intéressante question prioritaire de constitutionnalité posée par Muriel Bolle, personnage clé de l’affaire dite « du petit Grégory » (V. à ce propos, CEDH 3 déc. 2015, Prompt c/ France, n° 30936/12, Dalloz actualité, 24 déc. 2015, obs. N. Devouèze isset(node/176383) ? node/176383 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>176383  ; D. 2016. 225, obs. J.-F. Renucci  ; v. égal. Communiqué du collège de la grande chambre de la CEDH, 3 mai 2016, Dalloz actualité, 17 mai 2016, obs. C. Demunck isset(node/178963) ? node/178963 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>178963).  Dans cette QPC, relative à des dispositions aujourd’hui abrogées, la requérante interrogeait le Conseil constitutionnel sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 1er, 5, 7, 8, 9 et 10 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante « dans leur rédaction en vigueur en 1984 ».

Souvenons-nous que le 16 octobre 1984, le corps de l’enfant Grégory Villemin était retrouvé inanimé dans la rivière Vologne. Le lendemain, les parents de la victime recevaient la lettre d’un corbeau revendiquant le crime. Le jour même une information judiciaire était ouverte contre X du chef d’assassinat. Le 2 novembre 1984, sur la base d’une commission rogatoire, Murielle Bolle, la belle-sœur de Bernard Laroche, était entendue dans un premier temps sous le statut de témoin puis comme gardée à vue jusqu’au 3 novembre. L’adolescente de quinze ans expliquait alors aux enquêteurs que son beau-frère, Bernard Laroche, était venu la chercher en voiture au collège puis avait enlevé le petit garçon. Avant de le déposer à un autre endroit. Ces déclarations étaient d’une importance capitale pour la suite de la procédure. En effet, elles permettaient à l’époque l’inculpation de Bernard Laroche puis son placement sous mandat de dépôt le 5 novembre 1984. Il était remis en liberté en février 1985. Quelques semaines plus tard il était abattu par le père de la victime. Le 5 juillet 1985, la mère de l’enfant était inculpée et bénéficiait d’un non-lieu le 2 février 1993.

En 2017, l’affaire connaissait un nouveau rebondissement. Murielle Bolle notamment était mise en examen pour avoir sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi arrêté, enlevé détenu ou séquestré la victime, mineur de quinze ans avec la circonstance que les faits ont été suivis de la mort de la victime. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Dijon s’est déjà prononcé, le 16 mai 2018, sur une requête en nullité formée par l’intéressée et relative au déroulement de sa garde à vue en 1984. Cette requête a été rejetée (Dijon, ch. instr., 16 mai 2018, n° 2018/00140, Dalloz actualité, 12 juin 2018, obs. M. Recotillet isset(node/190992) ? node/190992 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>190992). Le but de la requérante, en soumettant à présent cette question au Conseil constitutionnel est clair : réussir, 34 ans après la mort du petit garçon à faire rayer du dossier toute mention des déclarations qu’elle avait faites lors de sa garde à vue, à un moment où elle était mineure, étant précisé qu’elle s’était rétractée peu de temps après, en dénonçant des pressions des gendarmes.

C’est pourquoi elle soutient que ces dispositions, aujourd’hui abrogées, sont contraires à la présomption d’innocence et aux droits de la défense garantis par les articles 9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi qu’au principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs. Son raisonnement revient en effet à considérer que ces textes permettaient, dans le cadre d’une instruction, le placement d’un mineur en garde à vue sans que celui-ci bénéficie des garanties nécessaires au respect de ses droits, notamment l’assistance d’un avocat, la notification du droit de garder le silence et l’information de son représentant légal.

Les Sages lui donnent raison en prononçant la censure des dispositions applicables en 1984 à la garde à vue des mineurs. Selon la formule habituelle, le Conseil constitutionnel rappelle qu’il incombe au législateur d’assurer la conciliation entre la recherche des auteurs d’infractions, nécessaire à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et l’exercice des libertés constitutionnellement garanties. Or, ils relèvent qu’au sein des dispositions contestées, aucune autre garantie légale que le droit d’obtenir un examen médical en cas de prolongation de la garde à vue n’était prévue afin d’assurer le respect des droits, notamment ceux de la défense, de la personne gardée à vue, majeure ou non. En outre, aucune disposition législative ne prévoyait d’âge en dessous duquel un mineur ne pouvait être placé en garde à vue. En raison de ces silences du législateur de l’époque, le Conseil constitutionnel en déduit qu’une conciliation équilibrée n’était pas assurée entre la recherche des auteurs d’infractions et l’exercice des libertés constitutionnellement garanties. En d’autres termes, le législateur de 1984 a méconnu les articles 9 et 16 de la Déclaration de 1789 et ne s’est pas conformé au principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs.

Le Conseil constitutionnel aborde ensuite la question des effets de cette décision de non conformité. Cet aspect est en effet important puisque cette inconstitutionnalité porte sur des dispositions qui ne sont plus en vigueur. Sur ce point, le Conseil constitutionnel rappelle la règle inscrite à l’article 62 de la Constitution selon laquelle la déclaration d’inconstitutionnalité doit, en principe, bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité. En conséquence, une disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut plus être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. En l’espèce, les Sages ne reportent pas la prise d’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité. Il faut donc en conclure qu’elle peut dès à présent s’appliquer aux affaires non jugées définitivement. Il appartiendra donc au juge judiciaire, dans le litige à l’origine de cette QPC, d’apprécier les conséquences de cette déclaration d’inconstitutionnalité et de déterminer son incidence sur la régularité d’actes ou de pièces de procédure.

Inévitablement, cette décision remet en cause la suite de la procédure puisque les déclarations de Muriel Bolle lors de sa garde à vue de 1984 étaient précisément au cœur de la réouverture du dossier en juin 2017. Cette QPC pourrait donc bien mettre un coup d’arrêt définitif à cette procédure ….