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Affaire Halimi : le chemin escarpé d’une modification de l’irresponsabilité pénale

Suite à l’émotion suscitée par la décision de la Cour de cassation dans l’affaire Halimi, le président de la République avait promis de modifier la loi. Ministère de la Justice, Sénat et Assemblée se sont alors mis au travail. Mais le problème est plus complexe qu’il n’y paraît. Le Conseil d’État vient d’être saisi d’un projet de texte. Dalloz revient sur les principales pistes.

par Pierre Januelle 27 mai 2021

La décision de la Cour de cassation de déclarer irresponsable pénalement l’auteur du crime antisémite de Sarah Halimi n’en finit pas de susciter des remous (Dalloz actualité, 28 avr. 2021, obs. S. Hasnaoui-Dufrenne ; V. Tellier-Cayrol, La turpitude du fou, D. 2020. 349 ). L’affaire a parfois été résumée comme « un permis de tuer sous emprise de drogue », ce qui n’est évidemment pas le cas. L’auteur du meurtre était consommateur régulier du cannabis, qui jusqu’à présent ne l’avait pas fait délirer. Son crime fut commis sous l’emprise d’une bouffée délirante aiguë, un trouble psychotique grave dont le cannabis a pu encourager l’apparition. Suite à l’émotion suscitée par la décision, Emmanuel Macron avait déclaré vouloir changer la loi. La commande politique est claire.

Depuis le Ministère de la Justice ne s’était pas prononcé sur les changements à venir et marchait sur les œufs. Quand il était arrivé à la Chancellerie, Éric Dupond-Moretti l’avait assuré ; il ne ferait pas de loi de circonstance. « Je sais qu’on me posera un jour la question à l’Assemblée. Un crime aura été commis et on me dira : "Mais Monsieur le garde des Sceaux, qu’avez-vous fait ?" Mais la rémission des crimes n’existe pas ! ». Moins d’un an après, le ministre a déjà fait voter deux délits « Samuel Paty » dans la loi séparatisme, une loi « Camille Kouchner » et doit préparer un projet de loi Sarah Halimi.

Las, le premier rapport reçu se déclarait opposé à un changement de la loi. Au terme d’un an d’audition, les anciens présidents de commission des Lois Dominique Raimbourg et Philippe Houillon considéraient en effet « qu’au regard de la très forte imbrication entre les troubles psychiques avérés et les recours à des substances psychoactives, l’exclusion du bénéfice de l’article 122-1 pour les actes commis suite à consommation de toxiques serait une disposition dont la radicalité aggraverait le risque de pénaliser la maladie mentale et constituerait une atteinte substantielle aux principes fondamentaux de notre droit pénal relatifs à l’élément intentionnel. » Difficile de juger des personnes pour qui le procès n’a pas de sens, surtout quand maladie et substances toxiques sont souvent étroitement liées.

Le Parlement reprend la main

Fin avril, le Parlement a décidé de reprendre la main. La commission des Lois de l’Assemblée a lancé une mission flash, conduite par les députés Naïma Moutchou et Antoine Savignat, qui rendra ses conclusions début juin.

Le Sénat avait pris de l’avance : un rapport de Jean-Yves Roux et Jean Sol traitait plus largement sur les expertises psychiatriques (Dalloz actualité, 11 mars 2021, art. P. Januel). Il envisageait une modification de l’article 122-1 du code pénal, pour ne pas prévoir l’irresponsabilité pénale de personne dont l’état pathologique serait dû à une substance psychoactive.

Des sénateurs de la majorité portaient également des propositions de loi qui étaient discutées mardi soir. Initialement la sénatrice Nathalie Goulet souhaitait que le discernement ne soit pas aboli lorsque l’état de l’auteur résultait de ses propres agissements (consommation de stupéfiants ou d’alcool). Toutefois, elle a évolué. Ses auditions l’ont convaincu de ne pas modifier l’article 122-1. Une telle modification poserait de nombreuses difficultés d’application, notamment de savoir où commence la folie. Par ailleurs, la peine infligée à une personne au discernement aboli ne ferait pas sens. Elle propose une autre piste : afin de permettre un véritable procès, elle souhaite qu’en cas de faute préalable de l’auteur ayant entraîné l’abolition du discernement, la juridiction de jugement soit saisie. Ce ne serait alors plus la chambre de l’instruction qui, après un procès public, prononcerait l’abolition, mais directement la cour d’assises.

Nathalie Goulet propose également de systématiser comme condition aggravante le fait de commettre une infraction sous emprise de stupéfiant ou d’alcool. Actuellement c’est une circonstance aggravante du délit de violences ayant entraîné huit jours d’ITT, mais pas du meurtre.

Le Conseil d’État saisi d’un projet de loi

Mardi soir, Éric Dupond-Moretti a indiqué les orientations du Ministère. Il a annoncé que le Conseil d’État venait d’être saisi d’un projet de loi. Le texte devrait se centrer sur ce sujet, alors qu’il avait été envisagé de le traiter avec d’autres questions sécuritaires. Le ministre a également indiqué que l’article 122-1 du code pénal ne serait pas modifié. « On ne juge pas les fous. Cette ligne rouge ne doit pas être franchie ». Il a rejeté l’idée du Sénat de renvoyer à la juridiction de jugement le soin de déclarer l’irresponsabilité. « Ce renvoi n’est pas justifié, s’il s’agit de confirmer l’avis des experts. »

La chancellerie envisage plutôt de compléter le code pénal pour prévoir que l’abolition ne pourrait être prononcée si une personne se serait volontairement intoxiquée soit pour faciliter la commission d’une infraction, soit si elle avait conscience que cette intoxication était susceptible de provoquer l’abolition de son discernement. Deux cas qui ne correspondrait pas à l’affaire Halimi. Une autre option serait d’instaurer un nouveau délit, pour pénaliser une consommation volontaire de produits toxiques qui aurait entraîné une abolition temporaire de son discernement, au cours de laquelle la personne aurait causé la mort ou des blessures graves. Entre juger les fous et arriver à une loi confuse, la voie sera donc étroite. 

 

 

Sur l’affaire Sarah Halimi, Dalloz actualité, a également publié :

• Affaire Sarah Halimi : cannabis, meurtre antisémite et irresponsabilité pénale, par Julien Mucchielli le 30 décembre 2019

• Affaire Sarah Halimi : déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, par Sébastien Fucini le 3 février 2020

Affaire Sarah Halimi : l’avocate générale demande le rejet du pourvoi, par Julien Mucchielli le 4 mars 2021

Trop d’expertises psychiatriques et psychologiques, pas assez d’experts, par Pierre Januel le 11 mars 2021

Affaire Sarah Halimi : peu importent les raisons de la folie, par Sajjad Hasnaoui-Dufrenne le 28 avril 2021