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Affaire Jurisystem : la décision lacunaire de la cour d’appel de renvoi

La cour d’appel de renvoi décide qu’une société proposant un service de référencement et de comparaison d’avocats ne délivre pas une information claire, loyale et transparente à l’internaute dès lors que les critères pris en compte ne lui sont pas communiqués.

par Cathie-Sophie Pinatle 20 décembre 2018

Cette affaire est née depuis plusieurs années maintenant lorsque la société Jurisystem, spécialisée dans l’édition de supports juridiques, a décidé, en 2012, d’enregistrer la marque et le nom de domaine avocat.net. Le CNB a alors assigné la société devant le tribunal de grande instance de Paris et formulé diverses demandes, tendant notamment à l’interdiction sous astreinte de l’usage de la dénomination avocat.net, de la radiation du nom de domaine portant le même nom et à l’interdiction de l’usage du slogan « le comparateur d’avocats n° 1 en France » en ce qu’il est constitutif d’une pratique commerciale trompeuse. Toutes ces prétentions ont été accueillies et la cour d’appel Paris a confirmé et complété ce jugement dans un arrêt du 18 décembre 2015. La juridiction a effectivement alourdi la condamnation de la société Jurisystem puisqu’elle lui a interdit de référencer sur son site des personnes qui n’étaient pas avocats et de procéder à des comparaisons et à des notations des membres de la profession. Elle a par ailleurs ordonné la rétrocession du nom de domaine avocat.net au profit du CNB. Saisie d’un pourvoi formé par la société d’édition, la Cour de cassation a rejeté la plupart des moyens formulés à l’exception de ceux qui tendaient à critiquer l’arrêt d’appel en ce qu’il a interdit de procéder et d’établir des comparaisons entre avocats. Au visa de l’article 15 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 et de l’article L. 121-1 du code de la consommation dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, la Cour de cassation rappelle que l’interdiction d’intégrer des éléments comparatifs à l’occasion d’opération de publicité ou de sollicitation personnalisées ne s’applique qu’aux avocats et que la société Jurisystem, en sa qualité de tiers à ces obligations déontologiques, peut parfaitement offrir un service de notation et de comparaison des avocats à condition que cette activité ne contrevienne pas à l’obligation « de délivrer au consommateur une information loyale, claire et transparente » (Civ. 1re, 11 mai 2017, n° 16-13.669, Dalloz actualité, 15 mai 2017, obs. A. Portmann ; ibid. 2018. 87, obs. T. Wickers ; D. avocats 2017. 234, obs. A. Bolze ; Dalloz IP/IT 2017. 410, obs. A. Lecourt ). La cassation est alors prononcée uniquement en ce que l’arrêt de la cour d’appel de Paris a interdit la comparaison et la notation d’avocat sous astreinte et l’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Versailles.

Il y avait beaucoup à attendre de cette décision de renvoi car bien que la Cour de cassation ait admis dans son principe la possibilité pour une société tierce à la profession d’avocat de mettre en place des outils d’évaluation et de comparaisons des avocats, la question de savoir si, dans ses modalités, ce service était conforme au droit de la consommation restait entière.

Le CNB, à l’origine de la saisine de la juridiction de renvoi, prétend que le service de notation présentait un caractère trompeur, qu’il ne délivrait une information ni claire, ni loyale, ni transparente au profit de l’internaute en violation de l’article L. 121-1 du code de la consommation et réclame à ce titre des dommages-intérêts symboliques. Elle demande en outre et y compris depuis que la société Jurisystem a explicité les critères de classement entre avocats, d’une part que soit interdite la comparaison et la notation sur le site tant que ne sont pas communiqués les critères de référencement et les coefficients appliqués de façon permanente sur la page d’accueil du site et, d’autre part, que soit précisé sur la page d’accueil du site que « seuls sont comparés les avocats inscrits sur le site ». De son côté, la société Jurisystem conteste la recevabilité de la saisine pour défaut d’intérêt à agir ou subsidiairement pour méconnaissance de la portée de la cassation et prétend n’avoir commis aucun manquement aux règles issues du droit de la consommation antérieurement et postérieurement à la communication des critères de référencement.

La cour d’appel apporte une réponse articulée en deux temps. Dans un premier temps, elle se positionne sur le terrain procédural pour décider que, contrairement aux prétentions adverses, le CNB est parfaitement recevable à saisir la juridiction de renvoi de demandes relatives aux critères de notation ou de comparaison même si la question de la notation n’avait été soulevée qu’au stade de l’appel (devant la cour d’appel de Paris) et même si la cassation ne portait que sur le principe d’une interdiction de la comparaison et de la notation aux motifs que les demandes formulées présentent un lien de dépendance avec celles formulées par le tribunal de grande instance de Paris et sont conséquentes à la cassation encourue par l’arrêt annulé.

Dans un second temps, la cour d’appel examine au fond les demandes formulées par le CNB. Pour y répondre, elle décide de les séparer temporellement en prenant comme élément répartiteur la date de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris, à savoir le 8 décembre 2015. Elle se livre ainsi à une interprétation des prétentions formulées par le CNB pour dire que la demande de dommages-intérêts fondée sur le caractère trompeur du système de notation ne peut être qu’antérieure au 8 décembre 2015 puisque ce système a été supprimé depuis, « ce que ne conteste pas » le CNB. Or, avant cette date, et sur la base d’un constat d’huissier, la juridiction de renvoi admet que « s’il résulte de ces explications de la société Jurisystem qu’il existait bien des critères de référencement, il n’en résulte pas, qu’une information loyale, claire et transparente sur les conditions générales d’utilisation du service d’intermédiation et sur les modalités de référencement, de classement et de déréférencement des offres mises en ligne ait été délivrée aux consommateurs conformément à ce qu’exigeait l’article L 111-5-1 du code de la consommation ci-dessus rappelé ».

Quant aux autres demandes tendant notamment à la communication permanente des critères de référencement, de notation et de comparaison utilisés par la société Jurisystem sur la page d’accueil du site alexia.fr dont la cour d’appel comprend qu’elles concernent la période postérieure au 8 décembre 2015, celles-ci sont rejetées aux motifs que ces critères sont accessibles via un lien hypertexte sur le site et que les mesures réclamées le sont « in futurum » et qu’elles « présentent un caractère général qui ne permet pas de retenir l’existence d’une situation dommageable illicite justifiant qu’il en soit ordonné la cessation avant même la réalisation d’un préjudice ». La cour d’appel de Versailles précise à cet égard « qu’il ne relève pas de l’office du juge d’encadrer l’activité d’un site internet mais de faire cesser des situations illicites acquises ».

Cette décision nous semble peu satisfaisante. D’abord, là où il aurait été appréciable de savoir pourquoi, en l’espèce, avant le 8 décembre 2015, les critères de référencement ne permettaient pas à l’internaute d’obtenir une information claire, loyale et transparence, la cour d’appel de Versailles se contente de viser un constat d’huissier et d’égrainer les éléments pris en compte pour effectuer un classement entre avocats (« une note globale, le nombre d’avis postés, les visites du profil, le nombre d’avocats recommandant le profil, le nombre de résolutions sur le forum, le nombre de dossiers traités, et les fiches publiées ») sans jamais préciser si l’infraction au code de la consommation résulte du défaut de communication de ces éléments aux internautes ou de l’impertinence de ces éléments. En conséquence, la cour d’appel ne résout pas la question de savoir s’il faut ou non objectiver les critères de référencement entre avocats pour garantir la transmission d’une information au client qui ne vicie pas son consentement. C’est une conception libérale qui est ici valorisée puisque la cour admet implicitement que la seule communication des éléments de référencement des avocats sur le site suffit à garantir une information loyale, claire et transparence au profit de l’internaute. Par ailleurs, la distinction que se permet d’opérer la cour d’appel à partir d’une interprétation des demandes formulées par le CNB ne nous paraît pas pertinente même si elle peut s’expliquer par des conclusions malhabiles. Les demandes tendant à la communication sur la page d’accueil des critères de référencement des avocats nous semblent protéger un intérêt actuel et non futur. Les circonstances selon lesquelles ces critères ne sont accessibles que par un lien hypertexte représenté sur un petit bandeau sur la page d’accueil et que, parmi ces critères, se trouvent prioritairement classés les avocats qui rémunèrent le site pour obtenir une annonce publicitaire ou encore ceux qui sont inscrits depuis la date la plus ancienne sont susceptibles de porter actuellement atteinte à l’intérêt de la profession représentée par le CNB. Enfin, si la société Jurisystem a effectivement supprimé sa plateforme de notation des avocats, elle continue de les comparer et de les classer y compris en fonction de recommandations de confrères et il aurait donc été judicieux de distinguer, en les définissant, la notation de la comparaison et du classement pour proposer une solution plus convaincante.