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Affaire Karachentsev : avancée sur l’usage des cages en métal lors d’audiences en visioconférence

Enfermer un prévenu dans une cage de métal pendant une audience qui se tenait en visioconférence depuis l’établissement pénitentiaire constitue un traitement dégradant selon la Cour européenne des droits de l’homme.

par Victoria Morgantele 7 mai 2018

À l’heure où de nombreux professionnels du droit français ont engagé une véritable lutte contre les box en verre, la Cour européenne des droits de l’homme tranche la question des cages en métal dans lesquelles sont enfermés des prévenus lors d’une audience tenue en visioconférence, qu’elle qualifie de traitement dégradant.

En substance, un requérant, ressortissant russe, soupçonné de vol en bande organisée, se plaignait de son placement en détention provisoire et de la cage de métal dans laquelle il avait été placé et enfermé pendant les audiences tenues en visioconférence. En janvier 2013 il était acquitté des chefs d’accusation. Il invoquait dès lors l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme interdisant les traitements inhumains et dégradants.

La Cour relevait qu’à la différence des affaires précédentes et récentes (14 juin 2016, Svinarenko et Slyadnev, Urazov c/ Russie, n° 42147/05 et 31 janv. 2017, Vorontsov et autres c/ Russie, nos 59655/14 et 2 autres, § 31) dans lesquelles les requérants avaient été placés dans des cages métalliques lors d’audiences physiques et à l’occasion desquelles elle a pu constater la violation de l’article 3 de la Convention, l’arrêt d’espèce est distinct du fait que l’intéressé n’était physiquement pas présent à l’audience, mais était enfermé dans la cage métallique alors même qu’il comparaissait en visioconférence.

C’est tout naturellement sur ce point que le gouvernement s’est appuyé en déclarant qu’en raison de la visioconférence et à la différence des autres requérants qui eux, étaient physiquement présents à l’audience, le degré d’humiliation était moindre.

A cet argument, la Cour indique que la visioconférence n’empêche pas de qualifier l’enfermement dans une cage métallique de « traitement dégradant », l’article 3 trouve dès lors à s’appliquer en l’espèce. Cet article prohibant les tortures, traitements inhumains et dégradants est fondamental dans une société démocratique.

Les actes tendant à humilier la victime est un facteur que la Cour prend en compte mais l’absence d’humiliation n’exclut pas pour autant la constatation de la violation de cet article (n° 24888/94, V. c/ Royaume-Uni, 16 déc. 1999). En effet, un traitement dégradant est constaté dès lors qu’il humilie ou dévalorise un individu, ou encore lorsqu’il manifeste un manque de respect ou une diminution de sa dignité humaine (n° 30696/09, MSS c/ Belgique et Grèce, 21 janv. 2011). Le caractère public du traitement peut constituer un facteur pertinent ou aggravant pour déterminer s’il est « dégradant » au sens de l’article 3 de la Convention. Cependant, l’absence de publicité n’empêchera pas  nécessairement un traitement donné de tomber dans cette catégorie (25 avr. 1978, Tyrer c/ Royaume-Uni). Tel semble être le cas dans le présent arrêt, l’État ayant pour obligation d’assurer qu’une personne détenue le soit, dans des conditions dignes.

Rejet de l’argumentaire totalement justifié, l’argument du gouvernement ne pouvait en aucun cas prospérer. En effet, si dans un précédent mais néanmoins récent arrêt en date du 28 novembre 2017 (Kavkazskiy c/ Russie, 28 nov. 2017, n°19327/13), le requérant était enfermé dans un box en verre pour un impératif de sécurité, dans notre cas d’espèce, le requérant n’était pas présent à l’audience, ce qui est d’autant plus humiliant… L’autre argument est celui du risque d’évasion, or là encore, il était en visioconférence… (AJ pénal 2017. 513, obs. M. Léna ).

La Convention protège en somme, la dignité des êtres humains. « L’enfermement d’accusés dans des cages de fer constitue en soi un affront à la dignité humaine qui a une résonance particulière. On pourrait en déduire, en effet, que la Cour européenne des droits de l’Homme prend à cœur de conjurer le risque que des hommes soient traités comme des animaux » (RSC 2014. 623, obs. J.-P. Marguénaud ).

On pourrait dès lors penser que la jurisprudence européenne est constante sur le sujet des cages en métal dans ce dessein de protection de la dignité humaine. Or, le 4 octobre 2016, la Cour européenne des droits de l’homme déclare d’une manière surprenante que l’usage des box vitrés n’est pas en soi, humiliant pour l’image du prévenu (4 oct. 2016, Yaroslav Belousov, n°2653/13).

Cet enchainement jurisprudentiel permet par conséquent de s’interroger sur le sort des cages en verre françaises, problématique qui est au cœur de l’actualité du droit national, notamment par la Présidente du Conseil national des barreaux, Mme Christiane Féral-schuhl qui demandait le 13 avril 2018 le retrait de toutes les cages en verre n’étant pas « dignes d’un état démocratique ». Certains avocats et magistrats français arguent de l’atteinte à la présomption d’innocence et aux droits de la défense alors que la Chancellerie invoque l’impératif sécuritaire (Dalloz actualité, 24 oct. 2017, obs. T. Coustet isset(node/187237) ? node/187237 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>187237). Le 18 avril 2018, Mme Nicole Belloubet proposait en ce sens, la réduction de neuf à treize box vitrés dans les salles d’audience du nouveau palais de Justice de Paris, déclarant notamment qu’ils « ne s’imposaient pas dans les procès de comparution immédiate » sans toutefois en supprimer l’intégralité. Certains magistrats, y compris des présidents de chambre, ont ordonné que les accusés soient sortis de ces cages (Dalloz actualité, 20 déc. 2017, art. J. Mucchielli isset(node/188273) ? node/188273 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188273 ; ibid. 3 mai 2018, art. J. Mucchielli isset(node/190437) ? node/190437 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>190437).

Entre d’une part, les grands principes du droit pénal, s’agissant de la présomption d’innocence et des droits de la défense et, d’autre part, l’impératif de sécurité notamment lors des procès devant la Cour d’assises, trancher la question du sort de ces cages de verre est loin d’être aisé et ce dès lors que la Cour elle-même ne soulève pas l’indignité ou le traitement inhumain de ces cages en audience. La situation (Dalloz actualité, 13 avr. 2018, art. M. Babonneau isset(node/190197) ? node/190197 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>190197), semble finalement se heurter à cette décision européenne qui ne systématise pas la violation de l’article 3 de la Convention, les juges statuant au cas par cas sur le degré d’humiliation et de gravité de la situation.