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Affaire Krombach : inapplicabilité transétatique du principe non bis in idem

Les poursuites à l’encontre du requérant ayant été conduites par les juridictions de deux États différents, à savoir l’Allemagne et la France, l’article 4 du protocole n° 7 ne trouve pas à s’appliquer, ce constat dispensant la CEDH de rechercher si la décision de classement sans suite équivaut à un jugement définitif d’acquittement. 

par Sébastien Fucinile 9 avril 2018

Plus de trente-cinq ans après les faits et la première décision de classement sans suite et après de multiples rebondissements, l’affaire Krombach semble, sauf recours devant la grande chambre, arriver à son terme. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a eu cette fois à se prononcer sur un grief tiré de la violation du principe non bis in idem. En substance, le requérant affirmait que ce principe avait été violé en ce qu’il avait fait l’objet d’un jugement en France après une décision de classement sans suite intervenue en 1982 en Allemagne. Pour rejeter la violation de ce principe, contenu dans l’article 4 du protocole n° 7, la CEDH a affirmé que cet article ne s’applique qu’aux juridictions d’un même État et ne fait pas obstacle à ce qu’une personne « soit poursuivie ou punie pénalement par les juridictions d’un État partie à la Convention en raison d’une infraction pour laquelle elle avait été acquittée ou condamnée par un jugement définitif dans un autre État partie ». L’article 4 du protocole n° 7 ne trouve dès lors pas à s’appliquer, ce qui a permis à la CEDH d’éviter de se prononcer sur la question de savoir si un classement sans suite équivaut à un jugement définitif d’acquittement. Cette décision, qui s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour en la matière, appelle toutefois plusieurs observations compte tenu des particularités de l’affaire.

Pour rappel, une jeune fille de 15 ans, de nationalité française, avait été retrouvée morte au domicile de son beau-père, de nationalité allemande. La plainte déposée en Allemagne par le père de la victime a été classée à plusieurs reprises sans suite, faute d’indices suffisants. Le recours contre cette décision avait été déclaré irrecevable par la cour d’appel de Munich en 1987. Une procédure a ensuite été ouverte en France, qui a conduit à la condamnation du requérant par contumace pour coups mortels, celui-ci résidant toujours en Allemagne. La CEDH avait alors condamné la France pour violation du droit au procès équitable (CEDH 13 févr. 2001, Krombach c. France, n° 29731/96, D. 2001. 3302, et les obs., note J.-P. Marguénaud ; RSC 2001. 429, obs. F. Massias ). Après avoir été enlevé et transporté d’Allemagne en France par le père de la victime, le requérant avait alors été condamné par la cour d’assises de Paris, décision ensuite confirmée en appel. La Cour de cassation avait alors rejeté le pourvoi formé contre ce dernier arrêt, qui invoquait entre autres la violation du principe non bis in idem (Crim. 2 avr. 2014, n° 13-80.474, Dalloz actualité, 8 avr. 2014, obs. S. Fucini , note D. Brach-Thiel ; ibid. 2423, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et C. Ginestet ; AJ pénal 2014. 365, obs. J. Lelieur ; RTD eur. 2015. 348-30, obs. B. Thellier de Poncheville ). C’est à la suite de ce dernier arrêt que la CEDH avait été saisie. Celle-ci avait statué par un premier arrêt sur une partie des griefs (CEDH 10 mai 2016, Krombach c. France, n° 67251/14, Dalloz actualité, 20 juin 2016, obs. C. Demunck isset(node/179615) ? node/179615 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>179615) et a statué dans la présente décision sur celui portant sur la violation de l’article 4 du protocole n° 7.

Le requérant affirmait que la décision de la cour d’appel de Munich de 1987, ayant déclaré irrecevable le recours contre la décision de classement sans suite du procureur général, constituait au sens de l’article 4 du protocole n° 7 un « jugement définitif » s’opposant à un nouveau jugement par les juridictions françaises. Il s’appuyait pour fonder son argumentation sur l’article 54 de la Convention d’application des accords de Schengen, selon lequel « une personne qui a été définitivement jugée par une partie contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre partie contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la partie contractante de condamnation ». En somme, le requérant affirmait qu’en vertu de cette disposition donnant au principe non bis in idem une « dimension transétatique à l’échelle de l’Union européenne », l’article 4 du protocole n° 7 interdisait un nouveau jugement dans un pays de l’Union après un jugement définitif pour les mêmes faits dans un autre pays de l’Union.

Cette argumentation était vouée à l’échec pour deux raisons principales. Tout d’abord, l’article 4 affirme que « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État ». La lettre du texte est parfaitement claire : le principe non bis in idem ne s’applique qu’au sein d’un même État. La Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée à plusieurs reprises pour s’opposer à une application transétatique de ce principe (v. CEDH 4 sept. 2014, Trabelsi c. Belgique, n° 140/10, Dalloz actualité, 11 sept. 2014, obs. J.-M. Pastor isset(node/168232) ? node/168232 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>168232), y compris entre États membres de l’Union européenne (CEDH 22 mai 2007, Bölheim c. Italie, n° 35666/05). Elle avait notamment estimé dans ce dernier arrêt que la Cour n’est « pas appelée à vérifier le respect de la Convention d’application de l’accord de Schengen ou à faire application de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes » et avait rappelé que le texte « ne s’applique qu’aux “juridictions d’un même État” ». De la même manière, la CEDH a rappelé dans l’arrêt commenté qu’il ne lui revient pas de « porter un jugement sur la question de savoir si les poursuites dont le requérant a été l’objet en France et sa condamnation subséquente ont contrevenu au droit de l’Union européenne » (§ 39). Une telle affirmation est difficilement contestable : la CEDH n’a pas vocation à contrôler la bonne application du droit national, pas plus que celle du droit de l’Union par les États, mais seulement de statuer sur les griefs tenant à la violation des droits et libertés garantis par la Convention. Dès lors que le principe non bis in idem est limité aux jugements prononcés au sein d’un même État, il ne lui revient pas de sanctionner la mauvaise application de règles et principes nationaux ou de l’Union européenne offrant une protection plus élevée.

Ensuite, cette argumentation était vouée à l’échec dans la mesure où il ne semble pas y avoir eu un jugement définitif en Allemagne. La question portait sur la violation du droit de l’Union européenne seulement, ce qui aurait pu faire l’objet d’une question préjudicielle soulevée devant les juridictions nationales. Or, dans le cadre du pourvoi en cassation ayant donné lieu à l’arrêt 2 avril 2014, l’intéressé n’avait pas soulevé une telle question préjudicielle. La chambre criminelle, qui avait répondu sur les griefs découlant de la violation de l’article 54 de la Convention d’application des accords de Schengen, avait relevé que « le classement sans suite par le ministère public près une juridiction étrangère, confirmée par cette juridiction, qui a dit n’y avoir lieu à l’exercice de l’action publique, sauf survenance de faits nouveaux, n’a pas valeur de jugement définitif ». Une telle affirmation semblait en conformité avec la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Il en ressort en effet que si des décisions du parquet peuvent être qualifiées de jugement définitif, ce n’est qu’à condition qu’elles mettent un terme définitif aux poursuites (CJCE 11 févr. 2013, Gözütok et Brügge, aff. C-187/01 et C-385/01, AJDA 2003. 377, chron. J.-M. Belorgey, S. Gervasoni et C. Lambert ; D. 2003. 1458 , note F. Julien-Laferrière ; RSC 2003. 618, obs. F. Massias ). Il en est de même des ordonnances de non-lieu rendues par un juge d’instruction, dès lors qu’elles font obstacle à de nouvelles poursuites en l’absence de faits nouveaux (CJUE 5 juin 2014, M., aff. C-398/12, AJDA 2014. 1651, chron. M. Aubert, E. Broussy et H. Cassagnabère ; RTD eur. 2015. 184, obs. F. Benoît-Rohmer ). Ce n’est en revanche pas le cas des décisions de refus de poursuivre qui ne tranchent pas sur le fond (CJCE 22 déc. 2008, Turansky, aff. C-491/07, RSC 2009. 197, obs. L. Idot ). Pour savoir s’il y a eu jugement définitif, toute la question est alors de savoir s’il y a eu mise en mouvement de l’action publique ou pas. Or il apparaît que le recours qui avait été formé par le père de la victime contre la décision du procureur général près la cour d’appel de Munich de classer sans suite avait précisément pour objet de mettre en mouvement l’action publique, ce qu’avait refusé le juge saisi. Le rapprochement avec une ordonnance de non-lieu pouvait cependant se faire dans la mesure où, en vertu de l’article 174.2 du code de procédure pénale allemand, l’action publique ne pouvait être exercée après une telle décision du juge qu’en cas de faits nouveaux ou de preuves nouvelles. Il n’en reste pas moins que, pour la Cour de justice, la notion de jugement définitif implique « une appréciation portée sur le fond de l’affaire » (CJUE 5 juin 2014, préc., § 28), ce qui ne semblait pas être ici le cas.

La CEDH, en déclarant irrecevable le grief tiré de la violation du principe non bis in idem, n’a pas eu à se prononcer sur la question de savoir si une décision de refus de poursuivre pouvait constituer un jugement définitif au sens de l’article 4 du protocole n° 7. Mais elle a déjà eu l’occasion d’affirmer que la notion de jugement définitif impliquait « une décision définitive clôturant irrévocablement les poursuites pénales » (CEDH 15 mars 2005, Horciag c. Roumanie, n° 70982/01). En somme, même s’il avait été admis que le principe non bis in idem pouvait s’appliquer de manière transétatique, il est loin d’être certain que la décision de la cour d’appel de Munich, déclarant irrecevable le recours contre la décision du procureur général près cette cour de classer sans suite, aurait été considérée comme un jugement définitif d’acquittement.