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Affaire Maëlys : conséquences de la nullité des auditions de garde à vue

L’intérêt de cet arrêt rendu par la chambre de l’instruction est double. Primo, il rappelle qu’en matière criminelle, l’absence d’enregistrement audiovisuel des auditions de garde à vue porte nécessairement atteinte aux intérêts du requérant. Secundo, il précise à quelles conditions cette nullité peut avoir des conséquences sur la procédure subséquente. 

par Dorothée Goetzle 11 décembre 2017

Soupçonné d’avoir commis ou tenté de commettre le crime d’arrestation, d’enlèvement, de séquestration ou de détention arbitraire de mineur de 15 ans prévu par les articles 224-1 et 224-5 du code pénal, un individu est placé en garde à vue. Dans le cadre de cette mesure, il est entendu à cinq reprises entre le 31 août 2017 à 15 h 25 et le 1er septembre 2017 à 16 h 50. Les procès-verbaux des quatre premières auditions ne comportaient pas la mention selon laquelle il avait été informé que ses auditions faisaient l’objet d’enregistrements audiovisuels. Or l’alinéa 1 de l’article 64-1 du code de procédure pénale précise que les auditions des personnes placées en garde à vue pour crime, réalisées dans les locaux d’un service ou d’une unité de police ou de gendarmerie exerçant une mission de police judiciaire, font l’objet d’un enregistrement audiovisuel. Sans surprise, le 30 octobre 2017, le greffe de la chambre de l’instruction était destinataire d’une requête en annulation de pièces dans laquelle les avocats du gardé à vue soulignaient que l’enregistrement audiovisuel des auditions d’une personne placée en garde à vue pour un crime est une formalité substantielle dont la méconnaissance a pour effet de porter atteinte aux intérêts de la personne concernée. Le parquet général, dans ses réquisitions, sollicitait l’annulation des quatre procès-verbaux comportant l’audition du gardé à vue sans enregistrement audiovisuel et la cancellation partielle de l’interrogatoire de première comparution.

La chambre de l’instruction relève que les procès-verbaux litigieux ne font état d’aucun des obstacles de droit prévus par l’article 64-1 du code de procédure pénale. Le texte prévoit en effet que, lorsque le nombre de personnes gardées à vue devant être simultanément interrogées, au cours de la même procédure ou de procédures distinctes, fait obstacle à l’enregistrement de toutes les auditions, l’officier de police judiciaire en réfère sans délai au procureur de la République qui désigne, par décision écrite versée au dossier, au regard des nécessités de l’enquête, la ou les personnes dont les auditions ne seront pas enregistrées. En outre, lorsque l’enregistrement ne peut être effectué en raison d’une impossibilité technique, il en est fait mention dans le procès-verbal d’audition qui précise la nature de cette impossibilité. Le procureur de la République en est immédiatement avisé. Ces deux hypothèses étaient étrangères aux faits de l’espèce.

Ce faisant, la chambre de l’instruction affirme à juste titre que l’absence d’enregistrement audiovisuel des quatre premières auditions porte nécessairement atteinte aux intérêts du requérant. Elle prononce donc la nullité de ces quatre pièces de procédure mais aussi des actes de procédure dont elles sont le support nécessaire. Précisément, le requérant sollicitait la nullité ou la cancellation de plusieurs cotes relatives à des procès-verbaux d’audition de garde à vue qui avaient été enregistrés et à des passages de l’interrogatoire de première comparution qui, lui aussi, avait été enregistré conformément à l’alinéa 1 de l’article 116-1 du code de procédure pénale. En effet, selon ce texte, « en matière criminelle, les interrogatoires des personnes mises en examen réalisés dans le cabinet du juge d’instruction, y compris l’interrogatoire de première comparution et les confrontations, font l’objet d’un enregistrement audiovisuel ».

Pour répondre à cette requête, la chambre de l’instruction se penche sur chaque cote dont la nullité ou la cancellation était sollicitée. Pour chacune de ces pièces, elle se livre à une minutieuse appréciation in concreto en se demandant si les questions posées au requérant trouvaient leur origine dans des éléments évoqués dans les auditions non enregistrées. La lecture de l’arrêt est particulièrement intéressante en ce qu’elle illustre la notion de « support nécessaire » de l’acte annulé. Par exemple, la chambre de l’instruction considère que, dans certaines auditions ayant fait l’objet d’un enregistrement audiovisuel et dont la nullité était sollicitée, le gardé à vue s’était uniquement expliqué sur des éléments objectifs de la procédure sans qu’aucune mention ou référence soit faite aux auditions annulées. Concernant ces auditions, elle ne fait donc pas droit à la requête. A contrario, elle constate que certaines questions posées lors de l’interrogatoire de première comparution faisaient expressément référence aux auditions de garde à vue non enregistrées. Elle en conclut que les réponses du mis en examen à ces questions doivent être cancellées car elles sont la suite logique des questions posées lors des auditions de garde à vue annulées. Ainsi, outre la nullité des quatre premières auditions de garde à vue, la chambre de l’instruction prononce la nullité partielle de l’interrogatoire de première comparution par cancellation des éléments qui ont pour support nécessaire les quatre premières auditions de garde à vue. Cette solution rejoint avec justesse l’arrêt de principe du 19 septembre 2017 dans lequel la chambre criminelle a souligné que le juge d’instruction ne peut, sans excès de pouvoir, recommencer un interrogatoire de première comparution qu’il estime entaché d’irrégularité (Crim. 19 sept. 2017, n° 17-81.016, Dalloz actualité, 5 oct. 2017, obs. D. Goetz ).

Il faut retenir de cet arrêt que la nullité de quatre auditions de garde à vue sur cinq n’entraîne pas forcément celle de la procédure subséquente. La chambre de l’instruction a ainsi réalisé une juste application de la théorie selon laquelle les actes postérieurs à un acte annulé ne sont pas concernés par cette annulation s’ils trouvent leur source dans un autre support (Crim. 28 mars 2000, n° 00-80.090, Bull. crim. n° 137 ; JCP 2000. IV. 1156 ; 15 oct. 2003, JCP 2003. IV. 1044).  En d’autres termes, les actes postérieurs à la garde à vue ne peuvent être annulés qu’à condition que les auditions annulées en constituent le « support nécessaire » (Crim. 26 mai 1999, Bull. crim. n° 106 ; D. 1999. 194 ; 26 mars 2008, n° 07-83.814, Bull. crim. n° 76 ; D. 2008. 1063, obs. M. Léna ; AJ pénal 2008. 286, obs. C. Saas ; RSC 2008. 926, obs. R. Finielz ; Dr. pénal 2008. Comm. 92, obs. A. Maron et M. Haas ; ibid. 2009. Chron. 8, obs. Lesclous). Les actes postérieurs peuvent donc être « sauvés », malgré l’annulation de la garde à vue, lorsque d’autres éléments les fondent.