Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Affaire PIP, ou la souplesse des conditions de la responsabilité civile

Dans un arrêt rendu le 25 mai dernier, la première chambre civile de la Cour de cassation est venue confirmer la responsabilité des sociétés TÜV Rheinland et TÜV Rheinland France dans l’affaire PIP sur le fondement de l’article 1240 du code civil.

L’affaire PIP est une affaire de santé publique mondiale, ayant donné lieu à un procès hors norme : des milliers de plaignantes, des centaines d’avocats, et un parc des expositions de Marseille transformé en palais de justice pour l’occasion. Initiée en 2010, elle pourrait trouver un point final avec l’arrêt que vient de rendre la première chambre civile de la Cour de cassation.

Le rappel des faits sera bref. L’entreprise PIP fabriquait et commercialisait des implants mammaires. Elle avait confié à la société TÜV Rheinland (TRLP), un organisme de certification allemand, la mission de contrôler et d’approuver le système de qualité du dispositif médical. Cette dernière a rendu plusieurs décisions d’approbation entre 1997 et 2007, et a délivré un certificat d’examen CE, en 2004 puis en 2009. Pour ce faire, la société TÜV Rheinland a fait réaliser des audits qu’elle a confiés à TÜV Rheinland France (TRF), en application d’un contrat cadre passé en 1999.

C’est en 2010 que le scandale éclate. À la suite d’une inspection, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a constaté que de nombreux implants avaient été fabriqués à partir d’un gel de silicone non conforme et exposant à des risques inflammatoires, mais également qu’il existait un risque de rupture précoce des implants. À titre préventif, les porteuses ont été appelées à faire retirer les prothèses. Dans le monde, elles seraient plus de 400 000, dont 30 000 en France, selon les chiffres de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

La société PIP a été placée en liquidation judiciaire et ses dirigeants ont été déclarés coupables des délits de tromperie aggravée et d’escroquerie et condamnés. De son côté, l’assureur de la société PIP a assigné celle-ci en annulation des contrats d’assurance et plusieurs sociétés ayant distribué des implants à l’étranger sont intervenues à l’instance pour soutenir que l’assureur devait sa garantie, et ont assigné en intervention forcée les sociétés TRLP et TRF. D’autres distributeurs ainsi que des personnes physiques porteuses d’implants sont intervenus à l’instance.

Le 10 octobre 2018, la première chambre civile a cassé et annulé la solution de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui avait exclu la responsabilité des sociétés TRLP et TRF (Civ. 1re, 10 oct. 2018, nos 16-19.430, 17-14.401, 15-26.093, 15-28.891, 15-26.115 et 15-26.388, Dalloz actualité, 24 oct. 2018, obs. F. Mélin ; D. 2019. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux ; Rev. prat. rec. 2020. 29, chron. F. Rocheteau ). Statuant ainsi sur renvoi après cassation, la cour d’appel de Paris a, cette fois, retenu la responsabilité solidaire des deux sociétés, en ce qu’elles auraient chacune commis une faute ayant causé différents préjudices.

Les sociétés TRLP et TRF ont formé un nouveau pourvoi en cassation. Pour résumer, l’argumentation des demandeurs porte sur trois points. D’abord, ils contestent la faute qui leur est reprochée. Ensuite, ils contestent l’existence d’un lien de causalité entre leur prétendue faute et les préjudices subis par des victimes résidant ou établies hors de l’Union européenne. Enfin, les demandeurs contestent la réparation de différents préjudices : le préjudice d’anxiété, le préjudice d’atteinte portée au droit fondamental à la santé et le préjudice immatériel de perte d’image qu’aurait subi une société ayant distribué les prothèses PIP à l’étranger. Relevons par ailleurs qu’un pourvoi incident éventuel a été formé par plus de mille victimes personnes physiques, et qu’un autre a été formé par des sociétés ayant distribué les prothèses à l’étranger. Ces dernières reprochent à la cour d’appel d’avoir limité la réparation du préjudice immatériel de perte d’image à la somme de 10 000 €.

Le 25 mai 2023, la première chambre civile confirme la responsabilité des sociétés TRLP et TRF, mais casse la solution de la Cour d’appel de Paris en ce qu’elle a limité la réparation du préjudice des sociétés distributrices à 10 000 €. Ce dernier aspect sera, ici, laissé de côté afin de concentrer l’analyse sur les conditions de la responsabilité civile.

Si l’affaire PIP, en tant que scandale mondial, a inévitablement soulevé des questions de droit international privé (sur cet aspect, v. F. Mélin, Affaire des prothèses PIP : questions de droit international privé, Dalloz actualité, 24 oct. 2018), elle illustre également, d’un point de vue de droit interne, toute la souplesse de l’article 1240 du code civil à travers l’appréciation de ses trois conditions : la faute, le lien de causalité et le dommage.

La polymorphie de la faute – La faute civile peut être définie, de façon très générale, comme une « défaillance quelconque » (Rép. civ., Responsabilité du fait personnel, par P. Brun, Dalloz, n° 15). Il est difficile d’être plus précis, en raison de la polymorphie de la notion de faute et de la variété des fautes. La faute civile peut être intentionnelle ou non intentionnelle, être une faute de commission ou une faute d’abstention (pour une tentative de « typologie » des fautes, v. P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, 4e éd., LexisNexis, nos 310 s.), et elle peut être appréciée avec plus ou moins de sévérité en fonction du contexte, comme, par exemple, en matière sportive (sur le particularisme de la faute en matière sportive, v. P. Brun, préc., n° 324). L’arrêt illustre cette diversité de la faute civile à travers les deux fautes qui sont reprochées respectivement à la société TRLP et à la société TRF.

Pour la première, la Cour relève qu’un organisme de certification est tenu, en présence d’indices suggérant qu’un dispositif médical est susceptible d’être non conforme aux exigences découlant de la directive 93/42/CEE du 14 juin 1993, de prendre toutes les mesures nécessaires afin de s’acquitter de ses obligations, en procédant notamment à des visites inopinées. Or, les juges du fond ont relevé plusieurs éléments attestant qu’à partir du 1er septembre 2006, différents indices...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :