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Affaire Rémi Fraisse : non-lieu définitivement confirmé

Par un arrêt du 23 mars 2021, la Cour de cassation est venue définitivement entériner le non-lieu prononcé dans le cadre de l’instruction ouverte des suites du décès du militant écologiste en marge de la mobilisation contre le projet de barrage de Sivens.

par Hugues Diazle 8 avril 2021

Victime d’un tir de grenade offensive de type « OF-F1 », un jeune militant écologiste a perdu la vie dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014, au cours d’affrontements avec les forces de l’ordre, sur le chantier d’une retenue d’eau controversée dans le Tarn, communément appelée « barrage de Sivens ». Confrontés cette nuit-là à une centaine de protestataires hostiles, les gendarmes mobiles ont eu recours à la force, épuisant en trois heures de temps pas moins de 237 grenades lacrymogènes, 41 balles de défense, 38 grenades « GLI-F4 » et 23 grenades offensives. Malgré une doctrine d’emploi préconisant un usage au « ras du sol », l’une de ces munitions a été projetée au moyen d’un « tir en cloche » : dans sa chute, le projectile s’est coincé au niveau du sac à dos de la victime, puis a provoqué des lésions mortelles lors de son explosion.

Jetant le discrédit sur certains types d’engagements de la force publique, ce tragique évènement a conduit la représentation nationale à créer une commission d’enquête sur les « missions et modalités du maintien de l’ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation » – l’usage des grenades « OF-F1 » ayant par ailleurs été interdit au cours des opérations dites de « maintien de l’ordre », des suites notamment d’un rapport commun des inspections générales de la police et de la gendarmerie nationale.

Six années plus tard, l’instruction ouverte des chefs d’homicide volontaire et violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner s’est achevée par un non-lieu définitif, la Cour de cassation venant de rejeter les pourvois formés à l’encontre de l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Toulouse ayant confirmé l’ordonnance disant n’y avoir lieu à poursuivre contre quiconque.

Dans un premier moyen de cassation, les demandeurs au pourvoi se sont plaints d’une connivence blâmable entre les enquêteurs, le juge d’instruction et les gendarmes mis en cause. Le grief a été articulé autour de deux axes principaux : d’une part, l’enquête de flagrance visant les forces mobiles avait été confiée aux services de gendarmerie de la commune limitrophe ; d’autre part, les magistrats auraient instruit de manière orientée, refusant notamment de façon récurrente les demandes d’acte formulées par les parties civiles. Néanmoins, selon la chambre criminelle, ce soupçon de collusion n’est jamais concrètement démontré, et, aucun choix procédural n’apparait avoir pu compromettre l’équilibre des droits des parties, ni même porter atteinte à l’équité, l’objectivité ou l’impartialité des investigations.

Dans un deuxième moyen de cassation, la chambre criminelle a été invitée à constater que le recours à la force – plus particulièrement ici, le lancer d’une grenade offensive, sans sommation préalable, dans des circonstances hasardeuses, mettant en péril l’intégrité physique des opposants auxquels les gendarmes étaient confrontés – ne s’avérait ni « absolument nécessaire », ni « strictement proportionné ». Pourtant, comme l’avait estimé le Défenseur des droits avant elle (v., DDD, 25 nov. 2016, MDS-2016-109), la chambre de l’instruction avait jugé la réaction des forces mobiles appropriée, eu égard à la virulence des protestataires. Le lancer de grenade avait été réalisé, après une riposte graduée et sur ordre d’un supérieur hiérarchique, par un gradé habilité à utiliser les grenades explosives, étant précisé que la configuration des lieux ne permettait pas une projection au ras du sol comme il est normalement d’usage. Une telle motivation a été jugée satisfaisante par la Cour de cassation qui considère que les juges ont retenu à bon droit la cause d’irresponsabilité pénale prévue par l’article 122-4 du code pénal au bénéfice de celui qui agit en vertu d’une autorisation de la loi ou sur ordre d’une autorité légitime.

Les troisième et quatrième moyens de cassation se sont attachés à démontrer le caractère infractionnel des agissements imputés à l’auteur du tir mortel, ainsi qu’à ses supérieurs hiérarchiques. Le grief reposait sur la mise en évidence d’un lien de causalité entre le décès du jeune militant et les initiatives des gendarmes mobiles, qui avaient fait le choix de recourir, par défaut, à une munition explosive, sans véritable considération pour le danger que pouvait représenter leur action dans les circonstances spécifiques de l’espèce. L’ensemble des erreurs d’appréciation, imprudences et négligences caractérisait, selon les demandeurs au pourvoi, l’infraction d’homicide involontaire – analyse laconiquement écartée par la Cour de cassation.

Suivant épuisement des voies de recours internes, les conseils des parties civiles ont d’ores et déjà annoncé leur intention de saisir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

L’article 2 de la Convention sera nécessairement invoqué en ce qu’il implique, lorsqu’est fait usage de la force meurtrière par l’Etat, qu’une enquête judiciaire soit menée dans des « conditions effectives », ce qui suppose que des investigations rapides, approfondies, impartiales et attentives (CEDH 23 mai 2019, n° 542/13, Dalloz actualité, 27 mai 2019, obs. D. Goetz ; D. 2019. 1523, et les obs. , note A.-B. Caire ) soient menées par des autorités indépendantes (CEDH 21 nov. 2013, n° 23380/09, Bouyid c/ Belgique, D. 2013. 2774, obs. F. Laffaille ; RSC 2016. 117, obs. D. Roets ; 13 déc. 2012, n° 39630/09, AJDA 2013. 165, chron. L. Burgorgue-Larsen ; RFDA 2013. 576, chron. H. Labayle, F. Sudre, X. Dupré de Boulois et L. Milano ; 17 sept. 2014, n° 10865/09 et 2 autres) – la Cour ayant déjà pu désapprouver que l’enquête soit menée par des collègues immédiats de la personne mise en cause ou pouvant vraisemblablement l’être (CEDH 10 nov. 2005, n° 52391/99, §§ 335-341, RSC 2006. 431, obs. F. Massias , ou encore, Emars c/ Lettonie, n° 22412/08, §§ 85 et 95).

Plus généralement, « le degré et le type de force utilisée, de même que l’intention ou le but sous-jacents à l’usage de la force » (CEDH 20 déc. 2004, n° 50385/99, §§ 50-51, AJDA 2005. 541, chron. J.-F. Flauss ) seront certainement au centre des débats afin de déterminer si l’emploi de la force publique s’avérait en l’espèce « absolument nécessaire et strictement proportionné » (CEDH 27 sept. 1995, n° 18984/91, §§ 146-150, RSC 1996. 184, obs. L.-E. Pettiti ; ibid. 461, obs. R. Koering-Joulin ). L’occasion probablement de protester contre l’emploi, au cours d’une opération de maintien de l’ordre, d’armes dites « intermédiaires ». Pour mémoire, après que la grenade offensive de type « OF-F1 » ait été retirée des dotations de la gendarmerie nationale, les forces de l’ordre ont généralisé le recours à une munition sensiblement équivalente de type « GLI-F4 », dont les effets sont amplifiés par une projection simultanée de gaz lacrymogène. Puis, des suites notamment des incidents nés dans la gestion du mouvement de protestation des « Gilets jaunes », la grenade lacrymogène instantanée « GLI-F4 » a elle-même été progressivement soustraite des dotations, la France restant la « seule nation d’Europe à utiliser des munitions explosives en opération de maintien de l’ordre avec l’objectif de maintenir à distance les manifestants les plus violents » (V. rapport conjoint des inspections générales de la police et de la gendarmerie nationale, susvisé).