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L’avocate générale a conclu, mercredi 3 mars, au rejet du pourvoi des parties civiles dans l’affaire dite « Halimi », estimant que la chambre de l’Instruction, en déclarant le mis en cause irresponsable, n’a pas commis d’erreur de droit. Elle est revenue sur la question complexe de la consommation de drogue et du discernement. La décision sera rendue le 14 avril.
par Julien Mucchiellile 4 mars 2021
Dans la nuit du 3 au 4 avril 2017, dans le 11e arrondissement de Paris, Kobili Traoré, 27 ans, a tué Sarah Halimi, en la jetant par-dessus la rambarde du 3e étage de l’immeuble qu’ils habitaient tous les deux. Après être passé dans son appartement par les balcons, il a frappé la victime, avant de la soulever et de la faire basculer. Pendant les faits, son état d’excitation était extrême, et il a été entendu par les voisins proférer des propos incohérents. Il a aussi crié « Allah Akbar », « que Dieu me soit témoin », « J’ai tué le Sheitan », « J’ai tué un démon », et lorsque les policiers l’ont interpellé dans le salon d’un appartement voisin où il s’était réfugié, Kobili Traoré récitait des prières en arabe.
Présentant les apparences d’un individu en pleine crise psychotique, Kobili Traoré est placé en Institut psychiatrique, mis en examen le 10 juillet dans le cadre d’une information judiciaire ouverte le 14 avril. À plusieurs reprises, il fait des « bouffées délirantes », mais ses antécédents psychiatriques sont vierges. Il décrit au juge les jours qui ont précédé les faits, évoquant une angoisse inédite qui le tenaillait, et qui a débouché sur la crise funeste (Dalloz actualité, 30 déc. 2019, obs. J. Mucchielli, qui s’attarde sur le débat des experts psychiatres).
Le débat porte sur la responsabilité pénale du mis en cause : son discernement était-il aboli au moment des faits ? Non, dit le Dr Zagury, qui dans un long rapport explique sa position. Si la bouffée délirante et l’état psychotique de Traoré ne font aucun doute, celle-ci n’a pas été causée par une pathologie de type schizophrénique, mais par une consommation chronique, ancienne et excessive de cannabis. Depuis ses seize ans, admet Traoré, il fume une quinzaine de joints par jour. « En dépit de la réalité indiscutable du trouble aliénant, l’abolition du discernement ne peut être retenue du fait de la prise consciente et volontaire régulière du cannabis en très grande quantité. Il s’agit d’une appréciation légale constante », dit l’expert, qui retient l’altération du discernement.
Les deux autres collèges d’experts mandatés ont fait le même constat clinique, mais ont retenu l’abolition du discernement de Kobili Traoré, estimant : « ce trouble psychotique bref a aboli son discernement, car l’augmentation de la consommation de cannabis (augmentation très relative) s’est faite pour apaiser son angoisse et son insomnie, prodromes probables de son délire, ce qui n’a fait qu’aggraver le processus psychotique déjà amorcé. »
Le juge d’instruction, contre l’avis du procureur, a prononcé un non-lieu. La chambre de l’instruction est allée dans le même sens, cette fois-ci en accord avec le parquet général, qui s’est rallié à l’analyse majoritaire faite par les experts, dans une décision du 19 décembre 2019 qui retient l’irresponsabilité pénale de Traoré. C’est dans ces conditions, que la partie civile a formé un pourvoi en cassation, pour contester l’irresponsabilité pénale de Kobili Traoré et, in fine, demander la tenue d’un procès.
Les consorts Halimi, dans leur troisième moyen articulé en quatre branches, reprochent à la chambre de l’instruction d’avoir déclaré M. Traoré irresponsable pénalement. Ils arguent que la toxicomanie n’est pas une maladie mentale et n’entre pas dans le champ des troubles psychiques ou neuropsychiques visés par l’article 122-1 du code pénal. Ensuite, que l’acte volontaire de consommation de stupéfiants est constitutif d’un comportement fautif qui exclut l’irresponsabilité. Puis, la consommation de cannabis ayant pour but d’obtenir une modification de l’état de conscience, il ne pouvait être déduit du seul fait que Kobili Traoré n’avait pas encore eu de bouffée délirante à la suite de sa consommation de stupéfiants, qu’il n’avait pas conscience des risques encourus par cette consommation. « Celui qui consomme à l’excès des stupéfiants sait que cela va affecter son libre arbitre », plaide Me Emmanuel Piwnica, pour la partie civile, qui regrette aussi que Kobili Traoré « coule des jours heureux dans un hôpital psychiatrique en attendant sereinement d’en sortir ».
Enfin, ils avancent que la chambre de l’instruction ne pouvait, sans se contredire, à la fois constater que les propos tenus par le mis en examen « avant et après de défenestrer Lucie Attal » « illustrent un reste de conscience », que celui-ci a « volontairement » précipité la victime de son balcon, a agi en ayant « conscience du judaïsme de Madame Attal », et en déduire cependant l’abolition de son discernement au moment des faits. L’argumentaire des consorts Attal, autre partie civile, est similaire, mettant en avant également que le fait de consommer un produit stupéfiant est un délit constituant une circonstance aggravante, et ne peut constituer en même temps une cause d’exonération de la responsabilité pénale.
En défense, Me Spinosi exhorte les juges à ne pas rendre une décision qui soit politique, à rendre une décision « sans considération de son impopularité ». Il rappelle simplement que l’ivresse cannabique, à laquelle chaque consommateur de cannabis doit s’attendre, ne doit pas être confondue avec la bouffée délirante, à laquelle le sujet ne pouvait pas s’attendre. « Nous sommes face à quelqu’un qui a une pathologie liée à la consommation de cannabis, quelqu’un traité en hôpital psychiatrique aujourd’hui et qui est considéré comme malade », plaide Me Spinosi.
Pour l’avocate générale Sandrine Zientara, « ce qui relève d’une certitude, c’est que l’arrêt de la cour d’appel de Paris est conforme au droit ». Elle répond au premier point : il faut définir le champ d’application de l’article 122-1 du code pénal. Pour cela, elle revient à l’historique du texte. « Le terme de démence utilisé par le législateur de 1810 ne renvoie pas à la seule pathologie caractérisée par la déchéance progressive des facultés mentales, qui est aujourd’hui qualifiée de démence par les médecins. » Elle ajoute : « Si le texte ne définit pas la démence, il renvoie à un “état”, qui de surcroît peut être passager ou accidentel, puisque la loi pose comme seule exigence la concomitance entre l’état et le passage à l’acte. » En réalité, ce n’est pas tant l’origine de la démence (une pathologie mentale ou pas) qui est prise en compte par le législateur que son effet sur la personne qui agit. « En conséquence, il ne peut être valablement soutenu que la notion de trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli le discernement ou le contrôle de ses actes devrait s’entendre dans un sens restrictif, excluant par principe toute cause d’abolition distincte d’une pathologie psychiatrique, une telle assertion étant contraire à la lettre et à l’esprit du texte, aux conditions historiques de sa production et à son application jurisprudentielle. »
S’agissant de la faute antérieure excluant l’irresponsabilité, l’avocate générale revient sur l’origine de la bouffée délirante aiguë, qui est une origine exotoxique, a retenu la chambre de l’instruction, en accord avec la plupart des experts. Elle est ensuite revenue sur les liens entre consommation de cannabis et schizophrénie, pour tenter d’évaluer la pertinence du diagnostic selon lequel Kobili Traoré serait en plus atteint de troubles schizophréniques, nécessitant une hospitalisation à long terme.
40 % des schizophrènes consomment du cannabis, et il est prouvé qu’à long terme, le cannabis aggrave la maladie. Les drogues et l’alcool, par nature, désinhibent, et peuvent conduire à des comportements transgressifs. « Pour autant et d’un point de vue médico-légal, ces perturbations de l’état de conscience ne sont pas du registre de l’abolition totale du discernement et de la perte complète du contrôle des actes. Ce n’est que dans des cas tout à fait exceptionnels que cette consommation peut entraîner un trouble psychotique de nature à abolir le discernement, telle la bouffée délirante, reposant sur un examen clinique psychiatrique certain, qui conduit à se poser la question de l’irresponsabilité pénale. »
La question de la faute antérieure
La question posée par ce dossier est donc celle des conséquences sur la responsabilité pénale d’une intoxication volontaire qui a entraîné une perte totale du libre arbitre, la question de la faute antérieure sur la responsabilité pénale. Citant l’un des fondateurs de la théorie du droit pénal, Faustin Hélie, l’avocate générale estime que la théorie de l’innocuité de la faute antérieure doit être privilégiée. « Cet ancien président de la chambre criminelle distingue ce qu’il qualifie d’ivresse complète de l’ivresse incomplète et, s’agissant de l’ivresse “absolument complète” qui “a enlevé à celui qui y est tombé l’intelligence, le sentiment, la conscience de ses actes présents”, “l’irresponsabilité pénale s’impose”. » Si l’intoxication volontaire est une cause aggravante dans la majorité des cas, il y aurait une logique à ce qu’elle ne puisse être cause exonératoire de responsabilité pénale, disent les parties civiles. Mais les cas visés par les exemples fournis ne concernent pas des prévenus dont le discernement a été déclaré aboli par la prise de drogue ou d’alcool. Dès lors, l’état d’inconscience dans lequel ils sont, qui les privent de leur libre arbitre, n’est pas comparable avec l’état d’ébriété auquel n’importe quel individu doit s’attendre en cas de prise de psychotropes.
La magistrate rappelle qu’une infraction suppose également un élément intellectuel. « On voit mal comment en matière d’infractions intentionnelles, et de manière particulièrement évidente s’agissant du meurtre ou de l’assassinat, même si l’imputabilité était retenue pour un auteur dont l’abolition du discernement résulterait d’une intoxication volontaire, l’élément moral pourrait ensuite être établi et la culpabilité déclarée. »
Dans son avis, l’avocate générale regrette un état du droit insatisfaisant, en ce qu’il ne parvient pas à trancher le débat sur l’effet de la faute antérieure, débat que les parties civiles demandent à la Cour de cassation de prendre à son compte, en consacrant un principe d’exclusion de l’irresponsabilité pénale à portée générale. « Les moyens vous invitent ainsi à énoncer un nouveau principe, inspiré de la théorie de la faute antérieure, qui vaudrait dans tous les cas sans qu’il soit besoin de rechercher si l’agent avait connaissance de ce que la prise de toxiques risquait d’entraîner une abolition de son discernement et la commission d’infractions. » Après un long raisonnement autour du principe de légalité, l’avocate générale conclut que la Cour de cassation ne pourrait consacrer le principe demandé sans s’écarter du principe de légalité, conclut au rejet du moyen et, dans le cas où la Cour déciderait de consacrer un tel principe, demande de ne pas l’appliquer au cas d’espèce.
Enfin, la circonstance aggravante d’antisémitisme retenue par la chambre de l’instruction serait contradictoire avec la déclaration d’irresponsabilité pénale, disent les parties civiles. L’avocat général cite des auteurs.« Yves Mayaud semble admettre, quant à lui, que : “l’irresponsabilité pénale n’est pas en soi un obstacle à la reconnaissance de la matérialité des faits, la non-imputabilité personnelle une entrave à l’imputation objective” et souligne que “les faits méritent d’être exploités dans leur dimension causale afin de les rattacher aux dommages des parties civiles”. »
Pour la magistrate, cette solution doit être retenue. « Il s’agit non seulement de permettre à la victime de savoir que celui qui a bénéficié d’un non-lieu ou a été déclaré pénalement irresponsable est reconnu comme étant l’auteur des faits dont elle a été victime, mais aussi de voir ces faits qualifiés pénalement, c’est-à-dire reconnus comme établis dans toutes leurs dimensions, y compris en cas de circonstances aggravantes. Cette opération de qualification renvoie à la dimension expressive du droit pénal, réparatrice tant pour la victime que pour l’ensemble du corps social dont elle renforce la cohésion. […] Plutôt que d’imputation strictement matérielle, on pourrait parler d’imputation de faits, pénalement qualifiés de manière “fictive” : il s’agit en quelque sorte pour la juridiction de déterminer, au vu de l’ensemble des éléments du dossier, y compris des déclarations de l’auteur, s’il a conservé des éclairs de lucidité, comment auraient été qualifiés les faits s’ils avaient été commis par un être dont le discernement n’avait pas été aboli. »
Dans le cas d’espèce, elle rappelle les propos du Dr Zagury : « Un crime peut être délirant et antisémite. Les délires s’abreuvent de l’actualité et de l’ambiance sociétale. Les témoignages portés à ma connaissance ne confirment pas l’existence chez Kobili Traoré d’un antisémitisme habituel, qui se serait antérieurement manifesté de façon claire. Dans le bouleversement délirant, le simple préjugé ou la représentation banale partagée se sont transformés en conviction absolue. »
L’avocat général conclut, à titre principal, au rejet de l’ensemble des moyens, et à titre subsidiaire, à une possibilité de cassation « dans la mesure où la faute du mis en cause a été commise alors que le discernement n’était pas aboli et que cette faute est susceptible de qualification pénale au regard de ses conséquences non intentionnelles », explique-t-elle. « Il faudrait une qualification pour sanctionner les crimes commis sous l’empire d’un trouble mental dont l’origine est exotoxique », conclut-elle.
La décision sera rendue le 14 avril.
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