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Affaire Tapie : irrecevabilité de la tierce opposition de l’arbitre contre la rétractation de sa sentence

Dans la tentaculaire affaire Tapie, dont la principale qualité aura été de faire réviser aux praticiens et universitaires le droit des voies de recours extraordinaires, la Cour de cassation vient de mettre un terme à une des actions les plus originales intentées par un des protagonistes.

par Jérémy Jourdan-Marquesle 23 janvier 2018

Si l’affaire n’est pas encore close, le volet pénal étant toujours en cours – ce qui a son importance dans le présent arrêt –, le volet civil pourrait bien être refermé par cette décision de la deuxième chambre civile du 11 janvier 2018. 

Sans revenir sur l’intégralité de la procédure, l’arrêt en commentaire porte sur une instance périphérique intentée à la suite de la rétractation des sentences arbitrales des 7 juin 2008 et 27 novembre 2008 par la cour d’appel de Paris (Paris, 17 févr. 2015, n° 13/13278, Dalloz actualité, 20 févr. 2015, obs. X. Delpech , note D. Mouralis ; ibid. 425, édito. T. Clay ; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée  ; Rev. arb. 2015. 832, note P. Mayer ; JCP 2015. 289, note S. Bollée ; Procédures avr. 2015. Étude 4, obs. L. Weiller ; Cah. arb. 2015. 281, note A. de Fontmichel ; Gaz. Pal. 2015, n° 94, p. 17, note M. Boissavy ; ibid., n° 167, p. 22, obs. M. Nioche ; Bull. ASA 2016. 207, note M. Henry ; conf. par Civ. 1re, 30 juin 2016, nos 15-13.755, 15-13.904 et 15-14.145, Dalloz actualité, 30 août 2016, obs. X. Delpech ; ibid. 2025, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2589, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2017. 245, note J.-B. Racine ; JCP 2016. 954, note S. Bollée ; Procédures 2016, n° 290, obs. L. Weiller ; Rev. arb. 2016. 1123, note P. Mayer ; Cah. arb. 2017. 339, note M. Henry).

Selon l’arbitre auteur de la tierce opposition, la rétractation des sentences arbitrales était, sur le fond, injustifiée du fait de l’absence d’irrégularité qui lui soit imputable et par la violation de la présomption d’innocence. Toutefois, le débat s’est focalisé sur la recevabilité de la tierce opposition. Au titre de l’intérêt à agir, le demandeur invoquait l’action en responsabilité civile pouvant être engagée à son encontre ; au titre de la qualité à agir, il se prévalait de l’excès de pouvoir commis par la cour d’appel ayant fondé la rétractation sur des pièces tirées d’un dossier d’instruction en cours ainsi que de la perte de sa qualité d’arbitre au regard des fautes lui étant reproché.

La tierce opposition formée à titre principal étant portée devant la juridiction dont émane le jugement attaqué (C. pr. civ., art. 587), c’est la cour d’appel de Paris qui a eu à se prononcer sur le recours (Paris, 27 sept. 2016, n° 15/19083, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; Cah. arb. 2017. 1026, obs. P. Pedone). L’action est déclarée irrecevable au motif notamment que « nul ne peut être juge et partie ; que l’arbitre exerce une fonction juridictionnelle, ce qui lui interdit de demander que lui soit déclarée inopposable la décision dont l’objet même était de censurer la sentence à laquelle il avait participé ». C’est le pourvoi formé contre cet arrêt qui est rejeté par l’arrêt du 11 janvier 2018. La Cour de cassation énonce que « nul ne peut être juge et partie ; qu’ayant exactement retenu, d’une part, que l’arbitre exerce une fonction juridictionnelle lui interdisant de demander que lui soit déclarée inopposable la décision dont l’objet était de rétracter les sentences auxquelles il avait participé, même si un vice qui entacherait ladite décision pourrait fonder une action en responsabilité civile ultérieure, d’autre part, qu’est inopérant le grief tiré de l’allégation d’un excès de pouvoir qui aurait été commis par la juridiction saisie du recours en révision, celui-ci n’étant pas de nature à permettre d’écarter les conditions d’intérêt et de qualité pour agir inhérentes à l’exercice de toutes les voies de droit, c’est à bon droit et sans méconnaître le droit à un recours effectif que la cour d’appel, qui n’avait pas à entrer dans le détail de l’argumentation des parties, a déclaré irrecevable la tierce-opposition formée par M. Estoup contre l’arrêt rendu le 17 février 2015 ».

La solution retenue par la cour d’appel et confirmée par la Cour de cassation était prévisible. La cour d’appel de Paris avait déjà eu l’occasion d’énoncer que « l’arbitre ne peut, en s’y prétendant tiers, demander que lui soit déclarée inopposable la décision dont l’objet même était de censurer la sentence rendue par lui ou à laquelle il avait participé » (Paris, 6 déc. 1994, Raoul Duval, JCP 1995. I. 207, obs. L. Cadiet ; Rev. arb. 1996. 411 [3e espèce], et le comm. de P. Fouchard, Le statut de l’arbitre dans la jurisprudence française, p. 325). L’arrêt avait été confirmé par la Cour de cassation dans des termes proches de ceux utilisés dans le présent arrêt : « nul ne peut être juge et partie ; […] la cour d’appel a justement retenu que l’arbitre exerce une fonction juridictionnelle, ce qui lui interdit que lui soit déclarée inopposable la décision dont l’objet même est de censurer la sentence à laquelle il avait participé » (Civ. 1re, 16 déc. 1997, Rev. arb. 1999. 253). Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui comme hier, la solution mériterait d’être mieux ancrée dans les principes de la procédure civile.

Se posait en premier lieu la question de l’intérêt à agir de l’arbitre. Celui-ci invoquait les risques d’une action en responsabilité subséquente à la rétractation de la sentence arbitrale ayant stigmatisé son comportement. La cour d’appel, reprise en cela implicitement par la Cour de cassation, balaie l’argument au motif de l’absence d’autorité de la chose jugée de l’arrêt ayant prononcé la rétractation dans le cadre d’une éventuelle action en responsabilité. En elle-même, la constatation est parfaitement fondée, l’autorité de la chose jugée étant circonscrite aux parties au recours en révision, ce qui n’était pas le cas de l’arbitre. Deux remarques peuvent toutefois être formulées. D’une part, si d’autorité de droit il n’y a pas, il peut tout à fait y avoir une autorité de fait, le juge de droit commun saisi de l’action en responsabilité pouvant être réticent à rendre une décision contradictoire (en ce sens, v. S. Bollée, Les recours et les tiers en matière d’arbitrage, Rev. arb. 2018, à paraître). C’est d’ailleurs pour éviter une telle contrariété de décision que certains proposent aujourd’hui d’entendre les arbitres comme témoins dans les recours contre la sentence (S. Bollée, art. préc., Rev. arb. 2018, à paraître ; J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, préf. T. Clay, LGDJ, 2017, nos 268 s.). D’autre part, l’absence d’autorité de la chose jugée n’est pas de nature à interdire l’exercice d’une tierce opposition. En effet, il est de la nature même de la tierce opposition d’être exercée par des tiers à l’instance critiquée.

Il n’en demeure pas moins que l’existence d’un intérêt à agir, au sens procédural du terme, est sujette à interrogation. L’arbitre se prévalait, de façon additionnelle, d’une grave atteinte portée à son honneur par la décision de rétractation. En principe, un tel intérêt est reconnu comme suffisant pour agir en justice (C. Chainais, F. Ferrand, S. Guinchard, Procédure civile. Droit interne et européen du procès civil, Dalloz, coll. « Précis », 2016, n° 181), même pour les personnes morales (Civ. 2e, 5 mai 1993, n° 91-10.655, D. 1994. 193 , obs. T. Massis ; RTD civ. 1993. 559, obs. J. Hauser ). Il n’y a donc pas de véritable certitude sur l’absence d’intérêt positif et concret de l’arbitre à exercer une tierce opposition (sur ce point, v. égal. S. Bollée, art. préc., Rev. arb. 2018, à paraître).

En deuxième lieu, il s’agissait de savoir si le principe selon lequel « nul ne peut être juge et partie » s’opposait à l’exercice du recours (v. J. Jourdan-Marques, op. cit., nos 264 s.). D’un point de vue théorique, cet argument ne s’intègre pas spontanément dans les différentes hypothèses d’irrecevabilité de l’action en justice. S’agit-il d’une règle anéantissant l’intérêt à agir ? S’agit-il d’un avatar de la qualité à agir – autrement dit une nouvelle forme de restriction du droit d’agir ? S’agit-il d’une hypothèse sui generis d’irrecevabilité de l’action en justice  ? Ni la cour d’appel ni la Cour de cassation ne se prononcent explicitement sur ce point. Ceci étant, il s’agit là du principal fondement au rejet de l’action. La règle « nul ne peut être juge et partie » relève, selon Motulsky, du droit naturel (H. Motulsky, « Le droit naturel dans la pratique jurisprudentielle : le respect des droits de la défense en procédure civile », in Écrits, études et notes de procédure civile, préf. G. Bolard, Dalloz, 2010, p. 60, n° 9). Elle a fait l’objet d’une consécration par le Conseil constitutionnel à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité récente (Cons. const. 7 déc. 2012, n° 2012-286 QPC, D. 2013. 338, obs. A. Lienhard , note J.-L. Vallens ; ibid. 28, chron. M.-A. Frison-Roche ; ibid. 1584, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; Rev. sociétés 2013. 177, obs. L. C. Henry ; RTD civ. 2013. 889, obs. P. Théry  ; Gaz. Pal. 2013, n° 18-19. 25, obs. N. Fricero). Deux conséquences peuvent être tirées de ce principe (v. F. Bussy, Nul ne peut être juge et partie, D. 2004. 1745 ). La première, la plus connue, est qu’une partie ne peut pas participer au jugement du litige la concernant. La seconde, moins fréquente, est qu’un juge ne peut pas devenir partie au litige dont il a été saisi. En d’autres termes, elle exclut que l’on puisse être juge puis partie. Cette dernière facette du principe s’applique à l’arbitre. Elle serait le fondement idoine pour justifier que l’arbitre ne puisse pas revêtir la qualité de partie aux recours. L’arbitre n’est ni une partie ni un tiers par rapport au litige qu’il a tranché, mais le juge. Toutefois, la pertinence de ce principe fait l’objet de critiques (S. Bollée, art. préc., Rev. arb. 2018, à paraître). Il est vrai que l’absence de fondement textuel est de nature à faire douter de sa portée.

En troisième et dernier lieu, l’arrêt écarte l’argument selon lequel l’excès de pouvoir serait de nature à ouvrir la tierce opposition. L’arbitre tentait de se prévaloir de la violation de la présomption d’innocence et du respect du contradictoire à travers l’usage de pièces extraites d’une procédure pénale en cours. Or l’excès de pouvoir est susceptible d’ouvrir un recours spécifique, même sans texte, aussi appelé tierce opposition-nullité autonome ou restaurée (C. Chainais, F. Ferrand, S. Guinchard, op. cit., n° 181). Néanmoins, la Cour n’entre pas dans le détail de l’argumentation, puisqu’elle déclare, là aussi, irrecevable le recours sur le fondement de l’absence d’intérêt et de qualité.

En définitive, si la solution semble unanimement retenue en doctrine (J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, coll. « Thémis droit », 2016, n° 996 ; S. Bollée, art. préc., Rev. arb. 2018, à paraître ; J. Jourdan-Marques, op. cit., n° 266), ses fondements sont fragiles. Ils le sont d’autant plus à une époque où la fermeture de la tierce opposition est parfois perçue par la jurisprudence comme une violation du droit d’accès au juge (Com. 5 mai 2015, n° 14-16.644, D. 2015. 1046 ; ibid. 1810, obs. P. Crocq ; ibid. 2588, obs. T. Clay ; Rev. sociétés 2016. 317, note B. Le Bars ; RTD civ. 2015. 882, obs. H. Barbier ; ibid. 933, obs. P. Théry ; RTD com. 2016. 59, obs. E. Loquin ; JCP 2015. 877, n° 6 obs. J. Ortscheidt ; ibid. E 2015. 1362, note J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 2015, n° 162. 4, note M. Mignot ; Procédures 2015, n° 264, note L. Weiller ; Rev. arb. 2016. 1115, note M. Mignot). On peut d’ailleurs se demander si un moyen articulé autour de ce fondement n’aurait pas eu plus de chances de prospérer ?