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Affaire Wildenstein : absence de prescription d’une fraude fiscale commise via un trust étranger

Lorsque le constituant d’un trust de droit étranger ne s’est pas irrévocablement et effectivement dessaisi des biens placés, ses héritiers sont tenus de les déclarer lors de la succession sous peine de commettre un délit de fraude fiscale.

par Julie Galloisle 5 février 2021

Il importe de rappeler qu’à la suite du décès d’une personne domiciliée fiscalement en France, ses héritiers sont tenus de remplir une déclaration de succession qui comporte tous les biens appartenant au défunt. Ainsi, l’administration fiscale en mesure de vérifier le montant des droits de succession éventuellement dus. Dans ces circonstances, la question qui se pose est de savoir si les héritiers de la personne ayant constitué un trust doivent faire figurer les biens placés dans ce trust dans la déclaration de succession. La question est d’importance lorsque l’on sait que le fait d’omettre volontairement certains biens dans la déclaration de succession caractérise une fraude fiscale qui peut, dès lors, être reprochée aux héritiers. En effet, pour l’article 1741 du code général des impôts, commet le délit de fraude fiscale « quiconque s’est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel des impôts, soit qu’il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu’il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l’impôt, soit qu’il ait organisé son insolvabilité ou mis obstacle par d’autres manœuvres au recouvrement de l’impôt, soit en agissant de toute autre manière frauduleuse ». En clair, tout procédé frauduleux tendant à la soustraction intentionnelle à l’établissement et au paiement de l’impôt caractérise la fraude fiscale.

Pour répondre à cette question, il importe de déterminer au préalable si le défunt est toujours propriétaire, avec le trust, des biens non déclarés. Car, grâce au trust, mécanisme inconnu du droit français – seul le mécanisme de fiducie-succession, interdit en France, s’en rapproche –, une personne, appelée « constituant », se dessaisit de ses biens entre les mains d’un tiers, appelé « trustee », qui va les gérer et les administrer dans l’intérêt d’une ou plusieurs autres personnes, appelées « bénéficiaires » (ou pour un objectif déterminé). Compte tenu des avantages du trust, il est fréquent qu’une personne, de son vivant, décide de placer des biens ou droits dans ce mécanisme, auquel s’applique la loi d’un pays étranger, souvent anglo-saxon (§ 46). Cette situation est d’autant plus fréquente que les biens confiés au trustee peuvent concerner tout type de bien, y compris des biens familiaux de grande valeur, et peuvent rester, en application de l’acte de trust, dans ce dernier, après le décès, au profit des bénéficiaires. Relevons d’ailleurs au passage que le trust, en concernant certains biens du patrimoine familial, permet d’éluder les règles du droit des successions et celles, notamment, de la réserve héréditaire devant s’y appliquer.

Dans ces circonstances, comme le relève la Cour de cassation, « ce mécanisme en vertu duquel le constituant se dessaisit de ses biens […] conduit à dissocier la propriété “légale” du trustee de la propriété “équitable” du ou des bénéficiaires […] » (§ 47). Pour autant, le constituant n’est pas dépossédé de ses biens de manière irrévocable. En effet, notamment, « ces [biens] doivent être inclus dans l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune constituée par la valeur des biens appartenant au contribuable » (§ 49). La chambre criminelle en déduit « qu’en l’absence de dessaisissement du constituant d’un trust, les biens qui y sont logés sont considérés comme étant restés la propriété du constituant ». Et de juger que, « dans cette hypothèse, il importe peu que, selon l’acte de trust, celui-ci soit qualifié de discrétionnaire et irrévocable et qu’il n’ait pas pris fin au décès du constituant » (§ 50).

Le législateur, animé par la volonté de lutter contre les différents schémas d’évasion fiscale, est intervenu en 2011 pour organiser le régime fiscal des biens placés dans un trust. Le problème est que les faits litigieux sont intervenus avant l’entrée en vigueur de cette loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 impliquant cette obligation déclarative – le décès du constituant est intervenu le 17 février 2008 et la déclaration de succession, le 31 décembre 2008.

La Cour de cassation considère néanmoins qu’une telle obligation incombait déjà aux héritiers, en sorte que ces derniers se sont rendus coupables de fraude fiscale (§ 54) mais également de blanchiment aggravé de fraude fiscale, en raison de la dissimulation (§ 76).

Elle considère en effet que la loi de 2011, qui pose cette obligation, n’implique pas l’absence de toute fiscalité antérieure applicable à l’égard de ces biens. Pour fonder sa décision sans méconnaître l’exigence de prévisibilité juridique, la haute cour se rapporte d’abord aux travaux préparatoires à la loi puis aux textes légaux eux-mêmes, en vigueur à l’époque des faits. Elle précise, en premier lieu, que « ce texte a visé à confirmer, préciser et compléter le régime fiscal des trusts en matière de droits de mutation à titre gratuit et d’impôt de solidarité sur la fortune » (§ 51). Elle relève, en second lieu, que l’article 792-0 du code général des impôts rappelle que « les transmissions à titre gratuit réalisées par l’intermédiaire d’un trust et qui peuvent être qualifiées de donation ou de succession sont soumises aux droits de mutation de droit commun » (§ 52). Il ressort également de l’article 750 ter du même code que les biens meubles et immeubles situés en France ou hors de France étaient soumis aux droits de mutation à titre gratuit (§ 53).

Relevons, à titre conclusif, que la cour d’appel de Paris avait considéré, dans son arrêt rendu le 29 juin 2018, que les faits reprochés aux héritiers étaient atteints par la prescription au motif que la déclaration inexacte en date du 31 décembre 2008, parce qu’elle était intervenue après l’expiration du délai de six mois prévu par l’article 641 du code général des impôts, n’avait pu marquer le point de départ de la prescription de l’action publique, interrompue par la suite, par le réquisitoire introductif du procureur de la République du 29 août 2011. En effet, « la prescription spéciale de l’action publique commence à courir du jour où l’infraction a été commise, soit, en cas d’omission de déclaration, le jour où celle-ci aurait dû être faite, soit en cas de dissimulation de sommes sujettes à l’impôt, le jour où une déclaration inexacte est produite auprès des services fiscaux » (Crim. 13 déc. 1982, n° 80-95.151, Bull. crim. n° 284) (§ 25).

Saisie sur pourvoi de la procureure générale, la chambre criminelle casse la décision d’appel au visa des articles 1741 du code général des impôts et L. 230 du Livre des procédures fiscales, applicable à l’époque des faits, selon lequel « les plaintes de l’administration fiscale peuvent être déposées jusqu’à la fin de la troisième année qui suit celle au cours de laquelle l’infraction a été commise, et la prescription de l’action publique est suspendue pendant une durée maximum de six mois entre la date de saisine de la commission des infractions fiscales et la date à laquelle cette dernière émet son avis ». Elle considère en effet que « le dépôt d’une déclaration, fût-elle tardive au regard des dispositions fiscales la régissant, qui comporte des omissions, fait courir le délai de prescription spéciale prévue à l’article L. 230 du livre des procédures fiscales dès lors qu’elle tend à permettre la liquidation et le paiement de l’impôt » (§ 26). Peu importe donc l’irrégularité de la déclaration au regard des règles fiscales, pour faire application des règles de prescription de l’action publique.