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Affaire Wildenstein : confirmation de la relaxe en appel

Dans un arrêt du 29 juin 2018, la cour d’appel de Paris a confirmé la relaxe générale prononcée en première instance dans l’affaire Wildenstein

par Dorothée Goetzle 11 juillet 2018

Le 12 janvier 2017, le tribunal correctionnel de Paris prononçait une retentissante relaxe dans l’affaire Wildenstein (T. corr. 12 janv. 2017, Dalloz actualité, 17 janv. 2018, obs. D. Goetz ). Pour mémoire, les faits étaient relatifs à l’ouverture de la succession du marchand d’art Daniel Wildenstein en 2001. En 2005, sa veuve, qui avait initialement renoncé à la succession, reprochait à ses deux beaux-fils de lui avoir caché une partie du patrimoine familial, dissimulé dans des trusts situés dans des paradis fiscaux. En 2008, le décès de l’un des fils de Daniel Wildenstein faisait entrer dans la succession les deux enfants du défunt ainsi que sa veuve. En 2011, l’administration fiscale notifiait un premier redressement aux héritiers de Daniel Wildenstein et déposait plainte pour fraude fiscale au sujet de la succession de Daniel Wildenstein. En 2012, l’administration fiscale déposait une seconde plainte pour fraude fiscale relative, cette fois, à la succession du fils de Daniel Wildenstein : Alec senior Wildenstein. L’administration reprochait aux héritiers d’avoir omis de déclarer des biens trustés dans les deux déclarations de succession. Pour l’administration fiscale, la fraude consistait en la minoration de la déclaration de succession, étant précisé que les personnes visées dans la plainte, en leur qualité d’héritier, avaient omis de mentionner dans la déclaration de succession de nombreux biens détenus notamment au sein ou par l’interposition de trusts et d’entités notamment sis dans des paradis fiscaux.

En 2017, le tribunal avait considéré que l’élément légal de la fraude fiscale n’était pas caractérisé, ce qui avait entraîné la relaxe de tous les prévenus du chef de fraude fiscale mais aussi celle des personnes poursuivies pour complicité de fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale.

À la suite à l’appel interjeté par le ministère public (le parquet l’avait appelé la « fraude fiscale la plus lourde et la plus sophistiquée de la Ve République », v. communiqué du PNF, 13 janv. 2017 ; L’articulation du trust et du droit des successions, éd. Panthéon-Assas/LGDJ, 2004, préf. Y. Lequette), la cour d’appel a confirmé, dans un arrêt du 29 juin 2018, la position des premiers juges et a constaté la prescription du délit de fraude fiscale commis dans la déclaration de succession de Daniel Wildenstein. 

Pour justifier sa position, la cour d’appel rappelle que la fraude fiscale reprochée aux prévenus, en qualité d’auteurs ou de complices, consiste en l’omission de divers actifs logés dans des trusts constitués d’abord par Daniel Wildenstein puis par Alec senior Wildenstein dans deux déclarations à l’administration fiscale déposées à la suite du décès de Daniel Wildenstein le 23 octobre 2001 puis à la suite de la disparition d’Alec senior Wildenstein le 17 février 2008. Cette précision est importante puisque, dans sa motivation, la cour d’appel distingue les deux déclarations de successions. 

Concernant la déclaration de succession de Daniel Wildenstein, la plainte était déposée par l’administration fiscale le 22 juillet 2011. Toutefois, le décès de l’intéressé était survenu le 23 octobre 2001 et la déclaration de succession était déposée le 23 avril 2002. La cour d’appel considère que l’infraction de fraude fiscale, qui est un délit instantané, doit être considérée comme réalisée à la date d’expiration du délai légal fixé pour le dépôt de la déclaration. En l’espèce, la déclaration ayant été déposée le 23 avril 2002, le délai de prescription avait, pour les juges du fond, expiré le 31 décembre 2005. Ce faisant, la cour d’appel ne tient pas compte du raisonnement dégagé par le ministère public. Le parquet soutenait en effet qu’en l’espèce, le délit de fraude fiscale avait été réitéré en 2008, par le dépôt, le 31 décembre de cette année, d’une seconde déclaration de succession dans laquelle les biens logés dans les trusts n’étaient toujours pas déclarés. Cette réitération de tous les éléments constitutifs de l’infraction permettait au ministère public d’en déduire qu’une nouvelle infraction de fraude fiscale était née à ce moment-là et qu’un nouveau délai de prescription avait commencé à courir en 2008. Or « la cour ne peut considérer que le dépôt d’une seconde déclaration de succession, le 31 décembre 2008, portant sur la même succession, les mêmes impositions et comportant les mêmes omissions considérées comme frauduleuses, constitue un nouveau délit de fraude fiscale, celui-ci ayant été définitivement consommé, en raison de son caractère instantané, lors de la déclaration du 23 avril 2002, soit plus de trois ans avant le dépôt de la plainte de l’administration fiscale le 22 juillet 2011 ».

Concernant la déclaration de succession d’Alec senior Wildenstein, la plainte de l’administration fiscale pour fraude fiscale était déposée le 20 décembre 2012. Sur le fond, cette plainte visait notamment la quote-part revenant à Alec senior Wildenstein des biens logés dans des trusts et issus de la succession de Daniel Wildenstein. Le tribunal correctionnel avait relaxé des chefs de fraude fiscale et de complicité de ce délit l’ensemble des prévenus, en raison de l’absence de disposition législative spécifique sur l’imposition de la propriété des biens placés dans des trusts et de l’absence de doctrine administrative publiée en matière d’imposition des trusts. Le ministère public, en se fondant sur le code général des impôts et sur la jurisprudence, faisait valoir, d’une part, que le principe de l’imposition des biens placés en trusts existait en droit fiscal au moment où a été déposée la déclaration fiscale d’Alec senior Wildenstein et, d’autre part, que la dissimulation, visée à la prévention et constitutive d’une fraude, était établie. En outre, aucun des trusts n’était irrévocable ou discrétionnaire et leur constituant ne s’était pas dessaisi des biens placés en trust. Dès lors, cette absence de dépossession faisait nécessairement naître une obligation de déclaration successorale de ces trusts (T. civ. Seine, 8 août 1888, JDI 1889. 635 ; Paris, 18 avr. 1929, Rev. crit. DIP 1935. 149 ; 6 nov. 1967, Rev. crit. DIP 1968. 503, note Boulanger ; Aix-en-Provence, 9 mars 1982, Rev. crit. DIP 1983. 282, note G.A.L. Droz ; Civ. 1re, 2 mars 1985, Rev. crit. DIP 1986. 71, note Y. Lequette ; 20 févr. 1996, n° 93-19.855, D. 1996. 390 ; ibid. 231, chron. Y. Lequette ; Rev. crit. DIP 1996. 692, note G. A. L. Droz ; RTD civ. 1996. 454, obs. J. Patarin ; ibid. 1999. 682, obs. J. Patarin ; JCP 1996. II. 22647, note Behar-Touchais ; Defrénois 1997. 26, note Vignal).

Intéressants, ces arguments n’ont pourtant pas convaincu la cour d’appel qui a considéré que « les textes en vigueur, tant au décès de Daniel Wildenstein qu’à celui d’Alec senior Wildenstein ne comportaient aucune disposition spécifique sur l’imposition de la propriété des biens placés en trust, que la jurisprudence citée en matière de droits d’enregistrement ne concerne pas des trusts prenant fin au décès du constituant ». Pour la cour d’appel, il n’est donc pas possible de considérer qu’il existait, avant la loi du 29 juillet 2011 et donc avant le décès d’Alec senior Wildenstein, « une obligation, suffisamment claire et certaine, portant obligation de déclarer les biens placés dans un trust, et qui plus est pour les biens logés dans un trust perdurant au décès de leur constituant, catégorie pour laquelle la loi a instauré une imposition spécifique ». En l’absence d’une telle obligation, dont l’omission constitue l’élément matériel du délit de fraude fiscale, la cour d’appel en a déduit que le délit de fraude fiscale n’était pas constitué. Tirant les conséquences de l’absence de constitution des délits de fraudes fiscales, les seconds juges ont également renvoyé des fins de la poursuite les prévenus du chef de blanchiment de fraude fiscale.

Le 3 juillet 2018, le parquet général près la cour d’appel de Paris a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Il reviendra donc à la Cour de cassation de se positionner sur les incidences de l’utilisation des trusts par les prévenus dans un sens aboutissant finalement à contourner l’administration fiscale. Ces agissements peuvent-ils être constitutifs d’une fraude fiscale ?

La Cour de cassation acceptera-t-elle cette approche dynamique de la fraude fiscale ? Affaire à suivre…