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Agression sexuelle : confirmation de la caractérisation de la surprise par dissimulation de l’identité véritable du partenaire

La surprise ayant accompagné l’atteinte sexuelle et l’élément moral de cette dernière sont caractérisés dès lors que le prévenu, sachant que sa victime ne souhaitait pas avoir une relation avec lui, a sciemment utilisé, pour y parvenir, sa méprise quant à l’identité de la personne avec laquelle elle souhaitait avoir une relation, en utilisant un stratagème ne lui permettant pas de l’identifier immédiatement.

par Julie Galloisle 14 octobre 2019

L’arrêt rendu le 4 septembre 2019 par la chambre criminelle de la Cour de cassation s’inscrit dans la lignée de celui rendu au début de cette même année et dont les faits avaient été particulièrement médiatisés, compte tenu de leurs particularités – un homme âgé de 68 ans se faisant passer, sur un site de rencontre, pour un trentenaire au physique avenant et exerçant un métier de prestige demandait à ses partenaires, afin de rendre leur « première rencontre exceptionnelle », de se rendre chez lui, les yeux bandés, avant de se mettre nue dans son lit, les mains attachées pendant la relation sexuelle (Crim. 23 janv. 2019, n° 18-82.833, à paraître au Bulletin ; Dalloz actualité, 1er févr. 2019, obs. D. Goetz ; D. 2019. 361 , note E. Dreyer ; ibid. 945, point de vue M. Daury-Fauveau ; AJ pénal 2019. 153, obs. A. Darsonville ; RSC 2019. 88, obs. Y. Mayaud ).

La Cour de cassation avait jugé que « l’emploi d’un stratagème destiné à dissimuler l’identité et les caractéristiques physiques de son auteur pour surprendre le consentement d’une personne et obtenir d’elle un acte de pénétration sexuelle constitue la surprise ». Elle considérait ainsi que la tromperie employée par l’auteur sur son identité et ses caractéristiques physiques avait conduit à surprendre le consentement de sa victime quant à une relation sexuelle avec lui.

Dans la présente espèce, une femme de trente-neuf ans avait porté plainte, le 16 mai 2015, auprès des services de police du chef de viol par surprise à l’encontre d’un homme, pour des faits commis la veille, présentant quelques similarités. En août 2013, la femme s’était inscrite sur un site de rencontres sexuelles, à la suite de sa rupture d’avec un autre homme, prénommé Paul. Elle avait rencontré dans un bar un homme, un certain Julien. Mais parce que celui-ci ne correspondait pas à la photographie qu’il avait publiée sur le site, elle n’avait pas souhaité avoir de relation avec lui. Deux ans plus tard, la plaignante reçut un SMS d’une personne qui ne s’était pas présentée et qui, à sa demande, lui répondit s’appeler Paul. Pensant qu’il s’agissait du Paul auquel elle était restée attachée, elle avait accepté un premier rendez-vous à son domicile. L’homme lui indiquant ne plus se souvenir de son adresse, fixa un second rendez-vous à l’hôtel et lui indiqua vouloir se rencontrer dans le noir, cette dernière devant l’attendre nue dans le lit, avec un masque sur le visage. Une relation sexuelle eut lieu entre les deux individus, dans ces circonstances, avant que la femme ne se rende compte que son partenaire n’était pas l’homme qu’elle connaissait mais celui qu’elle avait rencontré deux ans plus tôt, et lequel s’était enfui de la chambre en emportant ses vêtements. Lors de sa garde à vue, après avoir été identifié, l’homme a indiqué avoir choisi le pseudonyme de Paul au hasard et avoir compris que sa partenaire le prenait pour une autre personne, ce qui l’avait d’ailleurs conduit à décliner le premier rendez-vous sous un faux prétexte.

Renvoyé par le juge d’instruction, après correctionnalisation, du chef d’agression sexuelle, le prévenu est relaxé par le tribunal correctionnel, le 5 juillet 2017. Sur appel du ministère public et de la plaignante partie civile, la cour d’appel de Bordeaux a infirmé le jugement ainsi rendu et déclaré le prévenu coupable des faits qui lui étaient reprochés. Pour ce faire, les juges bordelais ont considéré que le prévenu avait conscience « de l’absence de consentement de [s]a victime à avoir des relations sexuelles avec lui en connaissance de sa véritable identité ».

Contestant la caractérisation de l’élément moral, le prévenu a soutenu que l’infraction sexuelle exige une intention consistant dans la connaissance par l’agent qu’il commet un acte immoral ou obscène contre le gré de la victime. Or, il relève qu’il n’est pas démontré qu’il s’était fait passer pour l’homme avec lequel la plaignante pensait en réalité être, le choix du prénom « Paul » résultant du hasard. Il reconnaît par ailleurs avoir « seulement profit[er] d’une ambiguïté quant à la personne que [la plaignante] pensait rencontrer », ce qui n’était pas suffisant, selon lui, pour caractériser l’intention de commettre le délit. D’autant plus que la plaignante avait « adhéré sans réserve à cette pratique particulière d’une rencontre dans l’obscurité et les yeux bandés, aux seuls fins d’avoir des relations sexuelles avec la personne avec qui elle entretenait une relation par SMS sans jamais avoir vérifié l’identité de son interlocuteur, et […] qu[’elle] était en attente de relations sexuelles intenses ».

La chambre criminelle de la Cour de cassation rejette toutefois en bloc cette argumentation, dans la mesure où la preuve que l’auteur savait que la plaignante ne souhaitait pas avoir de relations sexuelles avec lui, en tant que Julien, était rapportée. Peu important qu’il ne sache pas pour qui sa victime le prenait exactement, dès lors qu’il avait connaissance de sa méprise, quant à l’identité de son partenaire. En effet, même à supposer qu’il ne savait que le prénom Paul avait une résonance particulière chez la victime, il suffit seulement de démontrer qu’il a agi tout en ayant conscience que sa partenaire ne voulait pas de relations avec lui. Or, il ressort de la motivation de la cour d’appel que la plaignante lui avait raconté, lors de ses échanges de SMS, sa mauvaise rencontre, deux ans auparavant, avec une personne qui s’était faite passée pour une autre … sachant qu’il s’agissait de lui !

À la lecture de la solution de la Haute Cour, c’est d’ailleurs cette méprise qui a été exploitée par l’auteur, laquelle a conduit à la mise en place d’un stratagème – le changement de rendez-vous et la rencontre dans l’obscurité –, ne permettant pas à la victime d’identifier immédiatement qu’il ne s’agissait pas du bon partenaire. L’élément de surprise accompagnant l’atteinte sexuelle est ainsi caractérisé. En effet, comme a pu le rappeler un auteur, le viol, et plus largement les agressions sexuelles, tendent à protéger l’intégrité sexuelle de la victime mais aussi « sa liberté dans le domaine sexuel. Cette liberté implique le choix du partenaire, de sorte que toute tromperie quant à son identité constitue une infraction » (E. Dreyer, note ss. Crim. 23 janv. 2019, D. 2019. 361). Cette liberté existe d’ailleurs au niveau européen, dans la mesure où la Cour européenne des droits de l’homme y voit une composante de l’autonomie personnelle protégée, sous couvert de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, afin de permettre le libre épanouissement de chacun (en ce sens, E. Dreyer, préc. ; CEDH 17 févr. 2005, n° 42758/98, K.A. et A.D. c/ Belgique, § 83, D. 2006. 1200 , obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 2005. 2973, chron. M. Fabre-Magnan ; RTD civ. 2005. 341, obs. J.-P. Marguénaud ).

 Relevons qu’à la différence de la précédente affaire, la Cour de cassation approuve le raisonnement des juges du fond, reposant uniquement sur l’erreur d’identité du partenaire, même si cette erreur induit nécessairement une erreur sur les caractéristiques physiques de celui-ci. En effet, si le partenaire réel peut avoir des caractéristiques physiques similaires au partenaire supposé (âge, corpulence, taille, etc.), il ne correspondra jamais à celui avec lequel la victime s’imagine. Aussi, l’exigence en sus de dissimulation, par l’auteur, de ses caractéristiques physiques, pouvait apparaître redondante.

Le stratagème consistant à tromper sa victime quant à l’identité de son partenaire n’est pas nouvelle. Les prémices de cette position avaient déjà été posées par un arrêt rendu 11 janvier 2017 (Crim. 11 janv. 2017, n° 15-86.680, à paraître au Bulletin ; Dalloz actualité, 20 févr. 2017, obs. J. Gallois ; D. 2017. 162 ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ). En l’espèce, invité à une soirée, un homme alcoolisé, qui avait été éconduit à plusieurs reprises par la compagne de son hôte, également alcoolisée, s’était introduit dans la chambre dans laquelle la femme s’était allongée. Il en avait profité pour pratiquer sur elle des baisers et caresses intimes. Croyant, en raison de son état de semi-conscience, ces gestes prodigués par son compagnon, la jeune femme s’était laissé faire avant de s’y opposer, dès qu’elle eut compris son erreur. La Cour de cassation avait ici considéré que le délit d’agression sexuelle était caractérisé, constitué par « le fait [pour l’auteur] de profiter, en connaissance de cause, de l’erreur d’identification commise par une personne pour pratiquer sur elle des gestes à caractère sexuel comportant un caractère corporel ».

Il n’est ici pas douteux que si la victime a donné son consentement à une relation sexuelle, son consentement ne valait qu’à l’endroit d’une personne déterminée, qui n’était pas le prévenu. La question de la caractérisation de la surprise afin de caractériser l’agression sexuelle renvoie plus largement à une jurisprudence séculaire, reposant déjà sur la méprise de l’identité du partenaire. Dans cette occurrence, l’homme poursuivi avait été déclaré coupable de viol commis par surprise au motif qu’il s’était introduit dans la chambre et le lit d’une femme encore endormie et avait consommé, sur elle, l’acte de copulation en profitant de son erreur, sa partenaire croyant avoir une relation avec son époux, en réalité absent (Crim. 25 juin 1987, S. 1857. 1. 711 ; conf. 31 déc. 1858, Bull. crim. n° 328).

Il est encore moins douteux en l’espèce que l’auteur avait également connaissance de la méprise de sa partenaire quant à son identité. Dans l’arrêt précité de 2017, il était permis de contester l’approche adoptée par la chambre criminelle, laquelle avait approuvé les juges du fond d’avoir déduit, comme en l’espèce, la caractérisation de l’élément moral de la surprise. Elle avait jugé que « le prévenu a[vait] obtenu des faveurs sexuelles en abusant des difficultés de compréhension rencontrées par la victime, laquelle a pu croire […] à la présence de son compagnon, venu la rejoindre ». Mais la preuve que le prévenu savait que sa partenaire le prenait pour une autre personne n’était pas clairement rapportée (v. nos propos, obs. ss. Crim. 11 janv. 2017, n° 15-86.680, préc.). En l’espèce, comme l’ont relevé les juges du fond, « le prévenu, au vu des éléments du dossier, ne pouvait ignorer que [la plaignante] le prenait pour un autre ». En effet, « les échanges de SMS démontr[ai]ent que la partie civile avait fait part de la mauvaise rencontre qu’elle avait faite par internet, paraissant s’appliquer à la première rencontre avec [le prévenu] ». Cette connaissance par l’auteur avait d’ailleurs conduit ce dernier, d’une part, à ne « pas donn[er] suite au rendez-vous au domicile de [la victime], de crainte d’être repoussé », d’autre part, à « propos[er] la rencontre à l’hôtel dans les conditions spécifiques […], à savoir dans le noir et, pour elle, les yeux bandés ». La cour d’appel en avait déduit que le scénario mis en place, que la victime avait certes accepté, venait « étayer la conscience de [l’auteur] de [son] absence de consentement […] à avoir des relations sexuelles avec lui en connaissance de sa véritable identité ». Dans ces circonstances, la solution ne peut être qu’approuvée.