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Agression sexuelle sur mineure de 15 ans : relaxe d’un célèbre trompettiste

La cour d’appel de Paris relaxe un célèbre trompettiste poursuivi du chef d’agression sexuelle sur mineur de 15 ans.

par Alice Roquesle 14 octobre 2020

Un célèbre trompettiste était poursuivi du chef d’agression sexuelle imposée à une mineure de 15 ans.

En 2013, lors d’un concert, le trompettiste avait offert à la mineure de 14 ans la possibilité d’effectuer son stage découverte de 3e dans les locaux de sa société de production.

Un an après ce stage, le père de la mineure et son médecin traitant effectuaient un signalement auprès du procureur de la République de Montpellier. Le père dénonçait une tentative de corruption de mineure, après avoir pris connaissance de SMS échangés entre le musicien et sa fille. Le médecin signalait, quant à lui, des attouchements sexuels qu’aurait subis la mineure lors de son stage de musique et dont elle aurait parlé en consultation en février 2014.

Les signalements intéressant les mêmes faits, ils étaient joints le 22 avril 2015 et une enquête préliminaire était ouverte.

Auditionnée en janvier 2016, la mineure relatait son stage. Elle indiquait que, le 11 décembre 2013, le trompettiste lui avait proposé de l’accompagner à l’avant-première d’un film dont il avait composé la bande-son. Après le film, elle expliquait qu’ils s’étaient rendus dans un café. En sortant de ce café et alors qu’ils attendaient dans la rue des journalistes pour une dernière interview, le musicien l’avait embrassée sur la bouche, avec la langue.

La mineure faisait état d’une seconde scène qu’elle datait dans un premier temps le 12 décembre 2013, avant de dater ces faits le 13 décembre 2013.

Elle mentionnait que le musicien lui avait donné un cours de trompette avec une autre jeune fille et qu’après le départ de l’autre élève, il aurait procédé sur elle à des attouchements avant d’indiquer que ces faits s’étaient en fait déroulés le lendemain. Elle évoquait une scène, se déroulant au studio d’enregistrement en présence de la fille du musicien, pendant laquelle ce dernier s’était placé derrière elle et avait mimé un rapport sexuel.

Elle expliquait qu’après le stage, le trompettiste et elle avaient échangé des SMS dans lesquels il lui avait demandé à plusieurs reprises une photographie d’elle « sexy » qu’elle ne lui avait pas envoyée. Il lui avait dit que c’était le genre de choses que les nombreuses filles qu’il avait séduites faisaient, ce qui l’avait profondément blessée, car elle pensait être « spéciale » à ses yeux. Il lui avait demandé d’effacer leurs messages et de ne pas en parler. Elle s’était exécutée et confirmait que ses parents n’en avaient vu qu’une partie.

Aucun extrait de ces échanges de messages n’était retrouvé.

La mineure poursuivait en indiquant que ses parents avaient ensuite pris contact avec le musicien qui, d’après la jeune fille, s’était confondu en excuses et avait pleuré. Elle précisait que, depuis que ses parents s’étaient immiscés dans cette histoire, elle s’était sentie « souillée », avait commencé à détester son corps et à ne plus vouloir se nourrir. Elle avait été déscolarisée pendant une année et avait été hospitalisée à plusieurs reprises.

Le 12 janvier 2016, le père de la mineure déposait plainte contre le trompettiste pour agression sexuelle sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité et tentative de corruption de mineur de 15 ans. Il confirmait avoir contacté le musicien qui, à la suite de cet échange, lui avait envoyé un long SMS où il reconnaissait son erreur et s’excusait pour les SMS échangés avec la mineure. Il décrivait également le retentissement des faits dénoncés sur sa fille.

La retranscription du SMS était annexée à la procédure.

Le 13 janvier 2016, la mère de la mineure déposait également plainte contre le musicien. Elle expliquait avoir découvert les échanges SMS entre sa fille et le trompettiste après les fêtes de Noël. Elle disait avoir lu ces échanges en diagonale et se souvenait toutefois des propos suivants : « Alors cette photo quand est-ce que tu me l’envoies je l’attends toujours ». La mineure répondait « qu’est-ce que tu veux comme photo ». Il disait « une photo de ton corps » et la mineure de répondre « je suis une gamine de 14 ans ». Elle confirmait également les propos de son époux quant au retentissement des faits dénoncés sur sa fille.

Plusieurs proches de la mineure étaient entendus au sujet de sa personnalité et des confessions qu’ils déclaraient avoir reçues de la part de la jeune fille.

Le 25 janvier 2017, le trompettiste était placé en garde à vue et était entendu à trois reprises hors la présence d’un avocat.

Sur les faits dénoncés, il reconnaissait seulement un baiser sur les lèvres de la mineure le soir du 11 décembre 2013, sans la langue, qu’il disait avoir tout de suite regretté. Il présentait ce baiser comme un acte d’initiative partagée. Il reconnaissait avoir envoyé à la jeune fille des SMS mais précisait qu’il s’agissait alors de lui faire comprendre qu’elle était trop jeune, dans le but de l’éloigner. Il lui aurait signifié que les femmes avec qui il sortait habituellement faisaient des « trucs d’adultes », comme lui envoyer des photos sexy, mais qu’elle ne pouvait pas le faire car elle était trop jeune.

Le lendemain, sur reprise de garde à vue, il confirmait ses déclarations dans ses deuxièmes et troisièmes auditions. Il contestait les demandes de photographies dénudées et niait avoir demandé à la jeune fille d’effacer ses messages. Il réfutait également avoir mimé un rapport sexuel et évoquait un possible rapprochement physique mal interprété et simplement destiné à corriger la position de la jeune fille pendant un cours de musique. Il affirmait ne pas avoir été plus loin que le premier baiser et contestait enfin que sa fille ait pu être présente au studio d’enregistrement.

À l’issue de l’enquête, le musicien était renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir du 9 décembre 2013 au 13 décembre 2013, commis ou tenté de commettre une atteinte sexuelle avec violence, contrainte, menace ou surprise sur la personne de la jeune fille, en l’espèce en procédant sur elle à des attouchements de nature sexuelle, avec cette circonstance que les faits ont été imposés à une mineure de moins de 15 ans.

Par jugement du 23 novembre 2018, le tribunal correctionnel déclarait le musicien coupable des faits d’agression sexuelle imposée à un mineur de 15 ans et le condamnait à une peine d’emprisonnement avec sursis de quatre mois, au paiement d’une amende de 20 000 € et constatait l’inscription du trompettiste au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles. Le tribunal se prononçait également sur l’action civile.

Le musicien interjetait appel principal sur les dispositions pénales et civiles. Le procureur de la République interjetait appel incident.

Par arrêt du 8 juillet 2020, la cour d’appel de Paris infirma le jugement en toutes ses dispositions pénales et relaxa le musicien.

La cour d’appel, après avoir rappelé l’article 222-22 du code pénal, selon lequel « constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise », précise qu’« en incriminant les atteintes sexuelles, le législateur a envisagé les atteintes objectivement portées au sexe d’autrui et non celles qui procèdent de l’instinct sexuel dont elles émanent » précise que l’infraction d’agression sexuelle est une infraction matérielle s’appréciant objectivement. Elle reprend ici la définition classique de l’infraction d’agression sexuelle qui avait été donnée par la cour d’appel de Reims afin de dissocier cette infraction des attentats à la pudeur incriminés par l’ancien code pénal (Reims, 10 nov. 1994, BICC 1995. 1241).

Les magistrats délivrent ensuite une réelle explication de leur mission.

Ils précisent qu’il leur appartient dans un premier temps de qualifier la matérialité de l’infraction. Au regard de cette qualification matérielle, la cour rappelle qu’elle doit dans un premier temps établir la réalité de l’existence matérielle des faits dénoncés. Dans le cas où elle retiendrait leur réalité matérielle, elle devrait ensuite vérifier que ces faits entrent dans le champ d’application du texte, c’est-à-dire vérifier que les faits matériellement établis constituent une atteinte à l’intimité sexuelle de la victime. La cour précise que cette atteinte doit également être appréciée quant à son retentissement chez cette dernière, dont l’absence de consentement doit être qualifiée par la juridiction.

Dans un second temps, les magistrats précisent qu’il leur incombe de qualifier l’élément moral de l’infraction. À ce titre, ils rappellent que l’infraction d’agression sexuelle est une infraction intentionnelle. Ceci suppose donc qu’ils qualifient deux éléments : la conscience de l’auteur de commettre un acte immoral ou obscène à caractère sexuel et la conscience du défaut de consentement de la victime au moment de la commission des faits.

La cour précise qu’en matière de crimes et délits à caractère sexuel, où le huis clos entre les protagonistes est le plus souvent de mise, la qualification des éléments matériel et morale de l’infraction ne repose pas seulement sur les déclarations de l’auteur et de la victime, mais également sur le processus de révélations des faits, les constatations des enquêteurs, les éléments matériels, l’ensemble des expertises et des auditions des éventuels témoins.

S’agissant des SMS échangés entre la jeune fille et le musicien, la cour estime qu’ils ne sauraient permettre de qualifier, en leur élément matériel et intentionnel, les infractions poursuivies.

La cour rappelle en effet que sa saisine est limitée aux faits d’agression sexuelle sur mineur de 15 ans visés dans l’acte de poursuite : le baiser du 11 décembre 2013, le second baiser et les attouchements du 12 ou 13 décembre 2013. Or les échanges de SMS n’entrent pas dans le champ des poursuites et aucune requalification ne peut être envisagée s’agissant de faits distincts. Ainsi, bien que concédant que ces faits puissent revêtir une coloration pénale sous la qualification de tentative de corruption de mineur, la cour est liée par sa saisie in rem.

S’agissant du baiser du 11 décembre 2013, la cour relève que sa matérialité n’est pas discutée par le prévenu et la jeune fille. Bien que les versions s’opposent et soient évolutives, les deux parties concèdent qu’un baiser a eu lieu et la cour rappelle qu’« il est communément admis qu’un simple baiser sur la bouche peut être constitutif d’une agression sexuelle et que de l’âge de la victime peut être déduite la contrainte nécessaire à la caractérisation du délit, sauf à démontrer que l’initiative du baiser a été prise par l’auteur présumé [sic] ».

Or, s’agissant de l’élément moral, la cour estime que l’intention coupable du prévenu fait défaut, faute d’éléments permettant d’affirmer avec certitude qu’il en aurait été l’initiateur.

S’agissant des faits dénoncés comme commis le 12 ou 13 décembre 2013, la cour constate que la jeune fille a livré sur cette scène des versions très différentes puisqu’elle l’a tout d’abord datée au 12 décembre 2013, au sortir du cours avec une autre jeune musicienne qui venait de partir, avant d’affirmer que les faits seraient survenus le 13 décembre 2013, vers 16 h, au sous-sol du studio d’enregistrement, en présence de la fille du prévenu, alors âgée de 3 ans, qui les auraient regardés.

Se fondant sur les explications précises de l’ancienne assistante du trompettiste, sur la configuration du studio d’enregistrement, un extrait du journal intime de la jeune fille, le contenu de son rapport de stage rédigé par elle-même contredisant ses déclarations, la cour considère ces faits comme peu crédibles.

Ainsi, la cour estime que la preuve matérielle des faits dénoncés dans le sous-sol du studio d’enregistrement n’est pas rapportée.

Par conséquent, la cour d’appel a infirmé le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, a relaxé le musicien et l’a renvoyé des fins de la poursuite. Aucun pourvoi en cassation n’a été formé.