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Aide juridictionnelle, avocats désignés successivement et point de départ du délai d’appel

Lorsque plusieurs avocats sont désignés successivement pour prêter leur concours au bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, c’est la notification de la désignation initiale qui sert de point de départ au nouveau délai d’appel prévu à l’article 38 du décret du 19 décembre 1991. 

par Géraldine Maugainle 19 mars 2020

Les délais des voies de recours sont prévus pour assurer la stabilité juridiques et courent, en principe, à compter de la notification de la décision contestée (C. pr. civ., art. 528). Toutefois, il existe des aménagements lorsque des modalités sont accomplies pour pouvoir pleinement exercer le droit de recours. C’est le cas lorsqu’un justiciable fait une demande d’aide juridictionnelle. L’appel est réputé avoir été intenté dans le délai, si la demande d’aide juridictionnelle s’y rapportant est adressée au bureau d’aide juridictionnelle avant l’expiration dudit délai et si l’appel est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter, en cas d’admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné (Décr. n° 91-1266 du 19 déc. 1991, art. 38, al. 1, d)). Or, il arrive qu’il y ait plusieurs désignations successives d’auxiliaires de justice. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 27 février 2020 a alors précisé quel était, dans cette hypothèse, le point de départ du nouveau délai d’appel.

Le litige opposait un particulier à une banque. N’ayant pas obtenu satisfaction en première instance, le particulier sollicite le 12 mai 2017 le bénéfice de l’aide juridictionnelle pour interjeter appel du jugement qui lui est signifié cinq jours plus tard, soit le 17 mai 2017. Le 1er juin, l’aide juridictionnelle totale lui est accordée et un avocat lui est adjoint par décision du bâtonnier du 9 juin, notifiée à l’intéressée le 13 juin. Mais ce premier auxiliaire de justice est remplacé par un autre, par décision du bâtonnier du 10 juillet 2017. Ce deuxième avocat informe alors son client, le 3 août suivant, qu’il a demandé au bâtonnier à être déchargé du dossier. Le 29 août 2017, un troisième (et dernier) avocat est désigné, qui interjette appel le 25 septembre. Le conseiller de la mise en état déclare l’appel irrecevable, ce que confirme la cour d’appel. Le recours n’a pas été intenté dans le mois suivant la désignation du premier avocat. L’appelant se pourvoit en cassation. Il reproche à la cour d’appel de ne pas tenir compte de la désignation du dernier avocat, à compter de laquelle, selon lui, le délai d’appel recommence à courir. Il reproche également aux juges du fond d’avoir retenu comme point de départ du nouveau délai, la date de désignation de l’auxiliaire de justice et non la notification qui aurait dû lui en être faite. La Cour de cassation a alors saisi l’occasion de préciser l’article 38, alinéa 1, d) du décret du 19 décembre 1991. C’est à compter de la désignation du premier avocat que le nouveau délai d’appel court (I) et plus précisément, à compter de la signification de cette désignation au bénéficiaire de l’aide juridictionnelle (II).

I - La Cour de cassation décide qu’en cas de désignations successives d’avocats devant apporter leur concours au bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, seule la première désignation importe et fait courir le nouveau délai d’appel. Elle en tire la conséquence que « la désignation ultérieure d’un nouvel avocat est sans incidence sur les conditions d’exercice du recours pour lequel l’aide juridictionnelle a été accordée ». Puisque le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle était en mesure d’être effectivement assisté dès la désignation initiale, il n’y a pas de raison de lui faire bénéficier d’un nouveau délai adossé à une désignation ultérieure. Mais comme à l’impossible nul n’est tenu, la Cour assortit son principe d’une exception. La désignation ultérieure d’un avocat au titre de l’aide juridictionnelle pourrait être prise en compte si des circonstances revêtant les caractères de la force majeure empêchaient l’avocat initialement désigné d’assister effectivement son client. Ce n’était pas le cas en l’espèce.

Cette solution est contraire à celle retenue par le Conseil d’État, il y a moins de deux ans. Dans une hypothèse similaire à celle soumise à la Cour de cassation, le Conseil d’état a estimé que « le délai de recours contentieux qui, dans le cas mentionné au d) de l’article 38, aurait commencé à courir à compter de la première désignation, recommence à courir à compter de [la] nouvelle désignation » (CE 6 juin 2018, n° 413511, Lebon ; AJDA 2018. 1193 ), sans qu’il ne soit question de cas de force majeure. Il a alors été souligné qu’ainsi le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle disposait « de la plénitude du délai de recours contentieux pour préparer, avec le concours de l’avocat, le recours qu’il projette » (C. Friedrich, L’effet utile de la prorogation du délai de recours contentieux par la demande d’aide juridictionnelle, JCP Administrations et collectivités territoriales 2018. Act. 530). On peut en effet s’interroger sur le fait de savoir si obliger un avocat qui estime avoir de bonnes raisons d’être excusé, à être diligent et à former un appel qu’il espère ne pas avoir à défendre, permet une assistance effective.

Or la solution de la Cour de cassation, qui peut surprendre de prime abord, présente l’intérêt indéniable de protéger non seulement le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle mais également la partie qui subit le recours.
L’article 38, alinéa 1, d) crée pour cette dernière une instabilité et une insécurité juridiques. En effet, ce texte déplace le point de départ du délai de recours à un événement postérieur à la décision contestée dont la date, dépendant du bureau d’aide juridictionnelle voire du bâtonnier, n’est pas prévisible ce qui pose des problèmes notamment d’exécution (pour des ex., v. C. Laporte, Appel et aide juridictionnelle, Procédures 2017. Alerte 21). Reconnaître que chaque nouvelle désignation – résultant d’un comportement dilatoire ou non – ait un effet sur l’exercice du recours tendrait à accroître cette instabilité et cette insécurité. L’application restrictive de l’article 38, alinéa 1, d) par la Cour de cassation au contraire les limite.

Quant au bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, la décision de la Cour de cassation préserve ses droits dans l’hypothèse où l’avocat initialement désigné ne serait finalement pas déchargé de son ministère, et surtout assure l’effectivité de ceux-ci, en ne faisant courir le délai de recours qu’à compter de son information de l’événement déclencheur.

II - En effet, la Cour de cassation précise que le délai de recours ne court qu’à compter de la date de notification de la désignation initiale de l’avocat au bénéficiaire de l’aide juridictionnelle. Un doute pouvait surgir à la seule lecture de l’article 38 du décret du 19 décembre 1991. Si le texte précise que le nouveau délai d’appel court, le cas échéant, à compter de la notification de la décision d’admission provisoire ou de la notification de la décision constatant la caducité de la demande, en cas d’admission suivie de la désignation d’un avocat, le point de départ est, textuellement, la date à laquelle l’auxiliaire de justice a été désigné. Il n’est pas question alors de notification et les juges du fond ont fait une application littérale de l’article 38. C’est sur ce point que la Cour de cassation casse la décision qui lui est soumise.

L’interprétation que la Cour de cassation livre de l’article 38 est conforme à la lettre l’article 528 du code de procédure civile : c’est la notification de l’événement déclencheur du délai de recours qui est le point de départ de celui-ci. On ne saurait reprocher à une partie de ne pas avoir agi tant qu’on n’a pas la certitude qu’elle a été effectivement informée que toutes les conditions nécessaires à son action sont bien réunies. Mais on pourrait penser également que l’article 38 est un texte spécial dérogeant au texte général. Or pour asseoir l’autorité de sa décision, la Cour de cassation vise l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Informer le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle de la désignation de son défenseur assure à celui-ci un droit au juge de qualité.