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Airbnb : remboursement au propriétaire des loyers issus d’une sous-location irrégulière

Le locataire d’un appartement soumis au régime de la loi du 6 juillet 1989 est tenu de reverser au propriétaire du bien les loyers des sous-locations irrégulières qu’il a perçus, ces loyers devant être considérés comme des fruits civils dont le mécanisme de l’accession permet au propriétaire lésé par la sous-location non autorisée d’en réclamer le remboursement.

par Maxime Ghiglinole 20 juin 2018

Depuis quelques mois, la plateforme Airbnb est au cœur d’une véritable « guerre à couteaux tirés » (selon l’expression de X. Delpech, Juris tourisme 2018, n° 206, p. 10). Ce feu croisé implique tout d’abord les pouvoirs publics qui s’attèlent à soumettre cette plateforme communautaire à la règlementation des meublés de tourisme. C’est notamment ce qu’a entrepris la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 (n° 2016-1321, 7 oct. 2016, JO 8 oct. 2016 ; v. spéc. D. Richard, La location Airbnb ou la « disruption » rattrapée par la réglementation de la République numérique, AJDI 2017. 336 ). Ce sont ensuite les propriétaires de logements eux-mêmes qui recherchent la condamnation de cette société lorsqu’ils constatent une sous-location non agréée de leur bien. Récemment, la condamnation de Airbnb a d’ailleurs été prononcée pour avoir « fourni [au locataire] le moyen de s’affranchir de ses obligations contractuelles » (TI Paris, 6 févr. 2018, n° 11-17-000190,  AJDI 2018. 364, obs. de La Vaissière ; Juris tourisme 2018, n° 206, p. 10, note X. Delpech).

Pourtant, malgré ces vicissitudes, le développement de cette société se poursuit et, avec elle, le marché collaboratif de la sous-location au moyen de plateformes dédiées. Or cette « ubérisation » des pratiques et le modèle économique « disruptif » qu’elle engendre créent des tensions inédites sur le marché locatif (P. Storrer, Les premiers pas d’un « droit Airbnb », D. 2016. 265 ).

Dans ce contexte, l’arrêt de la cour d’appel de Paris rapporté est un véritable coup de tonnerre dans le ciel des locataires peu scrupuleux pratiquant la sous-location sauvage. D’autant que cette décision ne manquera pas de susciter l’intérêt des praticiens, puisque le régime de la sous-location, bien que fréquente en pratique, n’a engendré que peu de jurisprudence. Aussi, il faut saluer la sagacité du conseil du propriétaire lésé qui a su trouver une brèche pour s’y engouffrer.

Le recours au mécanisme de l’accession pour prétendre au versement du revenu des sous-locations au profit du propriétaire est en effet inédit. Certes, un tribunal d’instance s’est récemment appuyé sur ce fondement juridique, mais pour condamner Airbnb et non le locataire principal (TI Paris, 6 févr. 2018, n° 11-17-000190, préc.). La présente décision est par conséquent tout à fait remarquable.

Avant d’entrer plus en détail dans cet argumentaire, un rappel des faits et de la procédure s’impose.

Les locataires d’un appartement ont sous-loué ce bien pendant près de trois ans au moyen de la plateforme Airbnb. À la suite d’une succession, le nouveau propriétaire a pris connaissance de cette pratique. Il a réalisé des captures d’écran du site internet et a fait procéder à un constat d’huissier attestant de la mise en sous-location. Il a ensuite délivré un congé pour reprise aux locataires. Ces derniers en ont contesté la validité et se sont maintenus dans les lieux. Quelques mois plus tard, un dégât des eaux les a contraints à quitter l’appartement. Le propriétaire a alors fait établir un état des lieux de sortie par huissier et a assigné ses locataires afin de faire constater la régularité du congé, l’expulsion des locataires et la condamnation au paiement de dommages et intérêts notamment en raison de la sous-location irrégulière.

En première instance (TI Paris, 5e, 6 avr. 2016, n° 11-15-000294, AJDI 2016. 609 , obs. F. de La Vaissière ; RTD civ. 2016. 651, obs. P.-Y. Gautier ; Juris tourisme 2016, n° 187, p. 12), les juges ont validé le congé aux fins de reprise du logement délivré par le bailleur, prononcé l’expulsion des locataires et condamné ces derniers à une indemnité d’occupation égale au montant du loyer et des charges au titre de la période comprise entre la prise d’effet du congé et la libéralisation effective des lieux. Ce jugement a particulièrement retenu l’attention des commentateurs en ce qu’il a, au surplus, condamné les locataires à verser 5 000 € de dommages-intérêts au titre du préjudice moral subi par le bailleur. Une partie de la doctrine s’était alors étonnée de la sévérité de cette décision (X. Delpech, ses obs. ss. TI Paris, 5e, 6 avr. 2016, n° 11-15-000294, préc.).

Selon la cour d’appel de Paris, le bail en présence étant un bail d’habitation soumis au régime de la loi du 6 juillet 1989, le congé pris en application de l’article 15-1 de cette même loi est valable dès lors que les irrégularités formelles initiales ont été corrigées par le bailleur dans les délais. De plus, les locataires sont solidairement tenus des condamnations au titre desquelles se trouvent diverses réparations locatives.

Surtout, elle relève le préjudice subi du fait de la sous-location sans autorisation.

En effet, la cour d’appel estime que les locataires ne rapportent pas la preuve de l’autorisation expresse du bailleur de mise en sous-location de l’appartement qui est imposée tant par leur contrat de bail qu’ils ont signé que par l’article 8 de la loi du 6 juillet 1989. En conséquence, ces sous-locations non autorisées ont produit des fruits civils que le propriétaire est en droit de revendiquer sur le fondement de l’accession. La Cour condamne donc solidairement les locataires à reverser l’intégralité des sommes qu’ils ont pu percevoir par la mise en sous-location avec intérêts légaux à compter de l’assignation et capitalisation annuelle.

La Cour rejette toutefois le préjudice moral du propriétaire. Ce faisant, elle ne confirme pas le jugement de première instance sur ce point et considère ce préjudice comme non établi.

Le recours à l’accession emporte des conséquences absolument désastreuses pour les locataires fraudeurs. Si elle se justifie sans doute à l’aune de l’équité, cet arrêt semble néanmoins éloigné de la logique de réparation propre à la matière civile. Un parfum de sanction semble davantage s’en dégager. Afin d’en mesurer la portée, l’analyse du fondement juridique retenu s’impose.

En l’espèce, les magistrats ont suivi l’argumentaire du demandeur et ont entériné le jeu de l’accession pour prononcer la restitution des loyers issus des sous-locations. Dès lors, doit-on voir dans cette décision les prémices de la mise en œuvre du pouvoir créateur du juge sur le fondement de dispositions introductives ? En effet, à la manière des arrêts Jand’heur ou Blieck en leur temps, les magistrats visent des dispositions introductives quelque peu oubliées. C’est le cas de l’article 546 du code civil qui introduit le chapitre relatif au droit d’accession. Ce texte, non retouché depuis 1804, consacre avant tout un mode originaire d’acquisition de la propriété. L’accession permet au propriétaire d’une chose principale de devenir maître de la chose accessoire qu’elle produit, qui s’y unit ou s’y incorpore. Au sein du code civil, l’accession apparaît immédiatement après la définition de la propriété. Il est en cela regardé comme un attribut de la propriété à laquelle il est nécessairement rattaché.

Si, pendant des décennies, ces dispositions n’ont pas connu une actualité prétorienne particulièrement marquée, elles semblent désormais susciter un intérêt grandissant chez les praticiens. Pour s’en convaincre, il suffit de relever l’accroissement récent de la jurisprudence qui le vise (v. not. Civ. 3e, 20 oct. 2016, n° 15-20.044, Dalloz actualité, 7 nov. 2016, obs. D. Pelet ; ibid. 132, rapp. O. Echappé  ; 27 avr. 2017, n° 16-10.753, Dalloz actualité, 24 mai 2017, obs. N. Le Rudulier ; ibid. 1789, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin ; ibid. 2321, chron. A.-L. Collomp et A.-L. Méano  ; RDC 2017. 516, note Danos). Toutefois, à notre connaissance, aucune cour d’appel n’avait validé l’emploi de ces dispositions afin d’accorder le remboursement par le locataire des loyers issus de la sous-location illicite. En effet, dans la présente décision, la Cour a justifié par le mécanisme de l’accession l’octroi au bailleur de tous les revenus issus de la mise en sous-location irrégulière du preneur.

L’usage de ce fondement juridique peut surprendre à bien des égards. Certes, les articles 546 et suivant du code civil prévoient que le propriétaire a droit aux fruits civils du bien. Toutefois, comment cette règle peut-elle s’appliquer en présence d’un contrat de bail valablement conclu sur le bien ? Ce bail ne fixe-t-il pas déjà le sort des fruits civils que le propriétaire est en droit d’attendre de son bien ?

A priori, le contrat de bail transfère la jouissance du bien en contrepartie d’un loyer. Ce loyer correspond aux fruits que le propriétaire-bailleur peut espérer de son bien. Dans ce schéma, le propriétaire ne peut pas espérer plus de fruits que ce que le bail lui procure. Pourtant, le bail ne donne que des prérogatives limitées au locataire. Le recours à l’accession se justifierait donc par l’intervalle créé entre les droits que le locataire tient du bail et la pratique consistant à faire produire de nouveaux fruits civils au bien en procédant illicitement à sa mise en sous-location.

En effet, selon l’article 1719 du code civil, le bailleur a pour obligation de garantir la jouissance paisible du logement au preneur. En matière de baux d’habitation, cette obligation se retrouve plus spécifiquement à l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989. Or, si les textes prévoient une obligation de garantir la jouissance du locataire, ils ne lui accordent pas le droit de faire produire de nouveaux fruits au local objet du bail. C’est bien naturel. Le locataire n’a pas vocation à récupérer davantage de loyers que son bailleur en raison de sa meilleure gestion locative du bien. D’ailleurs, même lorsque la sous-location est autorisée, cette logique est respectée. L’article 8 de la loi du 6 juillet 1989 prévoit que « le prix du loyer au mètre carré de surface habitable des locaux sous-loués ne peut excéder celui payé par le locataire principal ». En matière de baux commerciaux, l’article L. 145-31 du code de commerce va plus loin. Ce texte prévoit qu’en cas de sous-location autorisée, « lorsque le loyer de la sous-location est supérieur au prix de la location principale, le propriétaire a la faculté d’exiger une augmentation correspondante du loyer de la location principale ». L’idée est alors que la sous-location emporte une opération neutre pour le locataire principal. Il ne s’appauvrit pas mais ne peut pas s’enrichir non plus.

Dans notre hypothèse, il ne peut pas s’agir d’augmentation du loyer au cours du bail. Il s’agit donc de procéder, comme en matière immobilière, à une forme « d’accession différée » sur les loyers issus de la sous-location irrégulière (J.-L. Bergel, « L’accession différée en matière immobilière », in Mélanges Malinvaud, 2007, Litec, p. 15). Si cette faculté peut s’avérer particulièrement sévère à l’égard du locataire, sa principale vertu est de fustiger un comportement déloyal en contradiction avec la politique actuelle du logement. Aussi, cette sanction ne manquera pas d’effrayer plus d’un locataire indélicat. Toutefois, son opportunité est sujette à caution. L’application de l’accession au loyer des sous-locations ne conduirait-elle pas à accroître injustement l’assiette des fruits civils auxquels peut normalement prétendre le propriétaire ?

En présence de sous-locations irrégulières, le bailleur voit son bien endurer le passage d’une clientèle éphémère en lieu et place d’un locataire bien établi. Dans ces circonstances, la possibilité de revendiquer l’intégralité des fruits civils, c’est-à-dire les loyers provenant de ces sous-locations, est une compensation plus que généreuse de ces désagréments. Cette possibilité va d’ailleurs vraisemblablement rebuter certains bailleurs à assigner trop rapidement leurs locataires fraudeurs. Les propriétaires perspicaces, arguant de la nécessité de son accord écrit afin de procéder à toute sous-location de leur bien, n’auront qu’à faire preuve de patience pour décupler leurs revenus. Si le locataire sous-loue, de préférence régulièrement et par le biais d’une plateforme de type Airbnb, ce ne sera que mieux puisque la preuve de cette pratique en sera facilitée. Les propriétaires lésés n’auront qu’à dénoncer le bail et demander le paiement de tous les fruits civils que leurs locataires ont perçu en violation de l’interdiction de sous-louer, ce avant que le jeu de la prescription n’opère. Autant dire que sous cet angle, la régulation des locations de courte durée illicites ne sera pas favorisée. Ceci étant, le principal attrait de cette décision demeure qu’elle prive le locataire de tout intérêt à sous-louer puisqu’il sait désormais qu’il risque à terme de perdre l’intégralité des loyers qu’il va percevoir. Son implication dans cette activité ne servira en définitive que les intérêts de son propriétaire.

En tout état de cause, la boîte de Pandore est désormais ouverte. Nous nous garderons bien de prédire le sort de cette décision. S’il nous est permis de penser qu’elle semble davantage teintée de politique juridique que d’une véritable volonté créatrice de droit, seule la Cour de cassation pourra répondre à cette interrogation. La formation d’un pourvoi est par conséquent plus qu’espérée.