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Altercation entre salariés : manquement de l’employeur à son obligation de sécurité

La Cour de cassation se prononce sur l’obligation de sécurité de l’employeur.

par Wolfgang Fraissele 14 novembre 2018

Constitue un manquement à l’obligation de sécurité le fait pour l’employeur, bien qu’ayant connaissance des répercussions immédiates causées sur la santé du salarié par une première altercation avec l’un de ses collègues, des divergences de vues et des caractères très différents, voire incompatibles des protagonistes et donc du risque d’un nouvel incident, de n’avoir pris aucune mesure concrète pour éviter son renouvellement hormis une réunion le lendemain de l’altercation et des réunions périodiques de travail concernant l’ensemble des salariés.

Cette décision est l’occasion pour la Cour de cassation de confirmer la nouvelle orientation jurisprudentielle relative au régime de l’obligation de sécurité de l’employeur. Depuis, l’arrêt du 25 novembre 2015 (Soc. 25 nov. 2015, n° 14-24.444, D. 2015. 2507 ; ibid. 2016. 144, chron. P. Flores, S. Mariette, E. Wurtz et N. Sabotier ; ibid. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2016. 457, étude P.-H. Antonmattei ), la haute juridiction se réfère au motif de principe suivant : « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ». Dès lors, l’employeur n’est plus tenu d’une obligation de sécurité de résultat engageant de plein droit sa responsabilité. Il revient à ce dernier de démontrer qu’il a pris toutes les mesures de nature à éviter et faire cesser le risque professionnel. L’arrêt de la chambre sociale prononcé le 1er juin 2016 marque cette évolution (Soc. 1er juin 2016, n° 14-19.702, Dalloz actualité, 14 juin 2016, obs. M. Peyronnet , note J. Icard et Y. Pagnerre ; RDT 2016. 709, obs. B. Géniaut ; RTD civ. 2016. 869, obs. P. Jourdain ; JCP 2016, n° 822, note J. Mouly ; RCA 2016. Comm. 702). La Cour de cassation reprend, en tête de son arrêt, le motif de principe de l’arrêt précité du 25 novembre 2015 en le complétant pour l’appliquer à la situation de harcèlement moral : « Vu les articles L. 1152-1, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ; Attendu que ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser ». L’arrêt du 17 octobre 2018 illustre également cette analyse.

En l’espèce, à la suite d’une altercation intervenue entre deux salariés, l’employeur avait mis en place une réunion entre les deux salariés en cause et une autre dont le but était de résoudre leur différend lié à des difficultés de communication. Au cours de cette réunion, l’un des deux salariés s’était excusé et, par suite, l’employeur avait organisé des réunions périodiques afin de faciliter l’échange d’informations entre services et entre ces deux salariés notamment. Toutefois, l’un de ces deux salariés a saisi la juridiction prud’homale aux fins de solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail. La cour d’appel de Nîmes (Nîmes, 14 mars 2017, n° 15/03392, Dalloz jurisprudence) a condamné l’employeur à payer une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l’exécution déloyale du contrat de travail. La Cour de cassation considère à son tour que les mesures entreprises par l’employeur ont été insuffisantes en relevant « que, bien qu’ayant connaissance des répercussions immédiates causées sur la santé du salarié par une première altercation avec l’un de ses collègues, des divergences de vues et des caractères très différents, voire incompatibles des protagonistes et donc du risque d’un nouvel incident, la société n’avait pris aucune mesure concrète pour éviter son renouvellement hormis une réunion le lendemain de l’altercation et des réunions périodiques de travail concernant l’ensemble des salariés, qu’elle n’avait ainsi pas mis en place les mesures nécessaires permettant de prévenir ce risque, assurer la sécurité du salarié et protéger sa santé physique et mentale conformément aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ».

Il ressort de l’analyse de cette décision que, si les juges ne peuvent plus automatiquement condamner l’employeur pour manquement à son obligation de sécurité dès que le salarié est victime sur son lieu de travail de violence morale sans rechercher si ce dernier a pris des mesures de prévention ou a réagi immédiatement après l’incident, les mesures entreprises par l’employeur doivent être concrètes. Les juges du fond et la Cour de cassation sont donc amenés à effectuer un contrôle plein et entier sur la qualification de manquement à l’obligation de sécurité en analysant chaque mesure prise par l’employeur. Cette décision permet de mieux comprendre les contours de l’obligation de sécurité de l’employeur.

Dans cette affaire, l’employeur avait pourtant été réactif puisqu’il avait organisé des réunions pour trouver une solution au différend qui opposait les salariés concernés. Or, pour la Cour de cassation, ce n’est tout simplement pas suffisant, surtout que l’employeur ne pouvait ignorer la gravité des tensions et altercations antérieures. Alors qu’aurait dû faire l’employeur ?

En l’espèce, il semblerait que la mise en place d’un processus de médiation aurait pu amener les magistrats à une tout autre appréciation (v. en ce sens Soc. 3 déc. 2014, n° 13-18.743, Dalloz jurisprudence). En effet, la médiation est un « processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige » (ord. n° 2011-1540, 16 nov. 2011, portant transposition de la dir. n° 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale, art. 1er). La médiation est un mode de résolution des conflits qui est déjà prévu par le code du travail pour le règlement de certains conflits collectifs (art. L. 2522-1, L. 2522-6, L. 2523-1), en matière de harcèlement moral (art. L. 1152-6) et d’apprentissage (art. L. 6222-39). Son domaine est pourtant bien plus large et les parties peuvent y recourir dès qu’elle paraît opportune par le biais de la médiation conventionnelle (C. trav., art. R. 1471-2). La médiation aurait ainsi toute sa place dans ce type de différends tant elle apparaît opportune sur le plan préventif mais aussi curatif en libérant la parole sur le champ des besoins, valeurs et croyances des personnes intégrées au processus de médiation (v. en ce sens B. Blohorn-Brenneur, La médiation pour tous. Théorie et pratique de la médiation. Le cadre juridique de la médiation, Médias & Médiations, 2013).