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Les aménagements de peine : le « milieu fermé »

Le juge de l’application des peines (JAP) s’apprête à fêter ses 60 ans au beau milieu d’une réforme comportant un volet d’envergure en matière d’aménagement de peine, même si elle ne retouche à ce stade qu’à la marge les modalités de sortie anticipée de détention. Pour l’occasion, nous nous sommes faufilés dans une série de « débats contradictoires » au centre pénitentiaire de Bois-d’Arcy…

par Antoine Blochle 10 décembre 2018

Ici, ce sont les surveillants qui sont derrière les barreaux : ceux de la « cage » centrale autour de laquelle sont disposés les parloirs avocats aux parois vitrées. Par les fenêtres, on ne voit guère qu’un épais brouillard, recouvrant la forêt qui cerne la maison d’arrêt (taux d’occupation : 183 %), devenue centre pénitentiaire depuis l’adjonction d’un quartier de semi-liberté. Dans cette prison d’hommes, trois femmes ont pris place, pour examiner des demandes de placement sous surveillance électronique (PSE), de semi-liberté ou de placement extérieur. Ou encore de libération conditionnelle, auquel cas les trois premiers aménagements peuvent être prononcés en amont, à titre probatoire. Il est donc question d’anticiper, pour éviter les fameuses « sorties sèches ». Originellement considérées comme de pures « mesures d’administration judiciaire », ces décisions de sortie accompagnée sont désormais soumises au contradictoire. En pratique, si elles sont motivées et susceptibles de recours, elles sont parfois, un peu partout en France, prises « hors débat ».

Mais, comme en témoignent les avocats en train de se chamailler sur leur ordre de passage, nous ne nous trouvons pas ici dans ce cas de figure. Dans le ressort, on n’y recourt pas en milieu fermé (en revanche, un nombre croissant d’audiences se tiennent en visioconférence depuis le tribunal de grande instance). Reposant notamment sur les « avis du représentant » (service de probation et/ou administration pénitentiaire), les débats portent (fort classiquement) sur les faits et la personnalité, avant les réquisitions du parquet et la plaidoirie de l’avocat. Sans oublier le traditionnel dernier mot, qui (tout aussi classiquement) permet souvent aux intéressés de se tirer une balle dans le pied. En maison d’arrêt, on rencontre beaucoup d’infractions « quotidiennes » (stups, conduite sans permis, violences conjugales, etc.), mais réitérées : un peu la même clientèle qu’aux comparutions immédiates, en somme. Les détenus formulent couramment plusieurs demandes en parallèle (au besoin à titre infiniment subsidiaire), et il faut passer en revue (sauf pour un PSE) un certain nombre de paramètres : reconnaissance des faits, indemnisation des éventuelles parties civiles, paiement des amendes, situation familiale, etc. Une particulière attention est portée au projet de réinsertion élaboré (ou pas) en vue de la sortie, et bien sûr au comportement en détention.

« C’est compliqué de reconnaître des faits qu’on n’a pas commis »

Certains détenus (ou certains avocats) tentent de profiter de l’évocation des faits pour rejouer le match perdu à l’audience de jugement. Mais en cas de discordance entre la mémoire du condamné et la décision qui l’a envoyé ici, c’est la seconde qui prime : on n’exige donc pas tant de lui la reconnaissance des faits que l’intériorisation d’une vérité judiciaire. Ce qui peut conduire à une insoluble incompréhension mutuelle, comme avec Mody, qui entre dans la salle en s’excusant platement pour sa tenue : un survêtement noir impeccable avec un écusson du « Barça », on a vu pire. Devant la cour d’appel, il a écopé de dix-huit mois ferme pour avoir cassé une vitrine de supermarché, ce qu’il reconnaît parfaitement, de même que son alcoolisation massive. Mais aussi pour la course-poursuite qui a suivi, et qu’il nie au contraire farouchement : refus d’obtempérer, violences volontaires sur fonctionnaires de police (sans ITT… mais en récidive). Le tout avec une douzaine de mentions au casier. Il demande, dans l’ordre, un PSE, une semi-liberté ou un placement à l’extérieur. D’emblée, l’avocate coupe la JAP : quatre minutes avant que les policiers n’identifient formellement Mody comme le conducteur de la voiture en fuite, des enregistrements de vidéosurveillance montrent un autre individu l’empêcher de monter par la portière avant-gauche. Le ministère public laisse faire quelques secondes, puis intervient : « ces éléments ont déjà été débattus, au moins devant la cour d’appel ». Le comportement de Mody ne plaide pas sa cause, puisque son frère a tenté d’introduire dans la maison d’arrêt dix grammes de cannabis et une carte SIM (permis de visite suspendu). Et lui-même a refusé de se soumettre à une fouille programmée (sans doute pas sans lien avec le premier incident), et agoni par la même occasion un surveillant (« au prochain parloir, je vais te pisser dessus, je vais te chier sur la gueule »).

Au dossier, figure une promesse d’embauche, dans un snack, mais elle est problématique : la procureure note que le gérant se paie lui-même à peine un demi-SMIC, et qu’il est connu du parquet pour des faits de travail dissimulé. Elle écarte aussi d’un revers de main l’argument d’une enfant en bas âge : « votre fille était déjà née au mois de mars et, visiblement, cela n’a pas été un déclencheur pour ne pas consommer d’alcool ou ne pas commettre de dégradations ». Elle requiert dans la foulée : « Monsieur nous dit qu’il a beaucoup réfléchi, mais les faits les plus importants ne sont pas reconnus : à part ressasser une haine pour le système judiciaire, je ne vois pas à quoi il a bien pu réfléchir. Pas de garanties, pas d’amendement, un comportement problématique… je m’oppose à la demande ». Comprendre aux trois demandes. L’avocate, qui entame sa plaidoirie par « je ne vais pas revenir encore sur les faits… », s’empresse (bien entendu) de le faire tout de même : « c’est compliqué de faire reconnaître des faits à quelqu’un qui ne les a pas commis, vérité judiciaire ou pas ». Elle ajoute que son client, théoriquement éligible à une « conditionnelle sèche », a au moins la sagesse de solliciter une « sortie accompagnée ».

[Décision rendue : rejet de la demande d’aménagement]

« Concernant ma réinsertion, mon projet personnel, vous me conseillez quoi ? »

Arrive Mohammed, cheveux crépus grisonnants, sans avocat. « Vous souhaitez que cette audience se déroule aujourd’hui, ou vous préférez être assisté ? », demande la JAP. Mohammed ne sait pas trop, alors la juge poursuit : « ce qui me pose problème, c’est que vous formulez plusieurs demandes ». Mohammed a voulu jouer la sécurité, ce qui n’est pas idiot, mais n’est en pratique éligible qu’à une mesure probatoire (à une libération conditionnelle), vu sa date de fin de peine : encore plus de dix-huit mois à tirer. Il lance : « moi, je veux une semi-liberté probatoire à une libération conditionnelle ». Bonne pioche. La procureure tente de le dissuader de poursuivre : « je constate que votre demande ne s’appuie pas sur des pièces, nous n’avons pas grand-chose, notamment en termes de travail, je vais sans doute devoir demander le rejet ». Des pièces, Mohammed en a beaucoup, dans une grande enveloppe kraft qui, façon matriochkas, en renferme de plus petites, et de plus petites encore : il tend justement plusieurs photocopies à la JAP, qui se retrouve à devoir constituer le dossier elle-même. Elle en tire donc les conclusions : « je comprends que vous souhaitez que l’audience se tienne aujourd’hui… ». Avec douze mentions au casier, Mohammed a pris quarante mois ferme en correctionnelle, ramenés à trente-six mois en appel (ce qui reste un quantum peu courant en maison d’arrêt). Pour 350 €, il aurait fait le guet pendant que trois amis cambriolaient une boulangerie. Les quatre ont reconnu se trouver dans les parages (ce qui tombe bien, puisque leurs téléphones ont borné), mais chacun a minimisé à la fois son propre rôle et ceux des autres. La reconnaissance des faits est donc une nouvelle fois problématique : « je reconnais… que j’ai été dupé, on m’a dit d’attendre, et je me suis retrouvé dans une histoire où je ne savais pas où elle allait ». Mohammed ajoute, comme si cela allait changer quelque chose : « d’ailleurs, on avait demandé la relaxe ».

Le rapport du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), qui date de seulement trois jours, ne mentionne aucun classement pour du travail (et celui de l’administration pénitentiaire évoque tout juste une demande en cours), mais lui affirme officier depuis plusieurs semaines à la « cantine » : son bleu de travail semble en attester. Il a suivi des cours de langues, mais n’a eu aucune visite récente et ne reçoit jamais de mandat (administrativement parlant, il est « indigent », et reçoit donc de l’administration une obole de 20 € par mois). Il a aussi près de 5 000 € d’amendes à régler (« je ne pourrai jamais payer cash, ça c’est sûr… »).

Avant son incarcération, il a changé plusieurs fois de résidence, et la conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP), a résumé sa situation par la formule suivante : « a déclaré vivre entre son domicile, celui de sa mère et celui de sa compagne ». Ce n’est pas bon pour lui, en plus d’être inexact. La juge passe donc de longues minutes à démêler la situation, en reprenant un à un les justificatifs, avant de passer au comportement en détention. Dans les rapports, il est question d’une tentative de suicide, dès le quartier arrivants : « je n’étais vraiment pas bien ». « C’est votre deuxième incarcération », s’étonne la JAP, comme si cela excluait tout choc carcéral : « pas du tout pour les mêmes faits », précise Mohammed. Il compte appuyer sa demande sur l’aide dont sa femme, rongée par un cancer, a besoin au quotidien : « elle est handicapée à 85 %, on a réussi à avoir un enfant ensemble, mais… c’est devenu encore plus compliqué ensuite ». La « participation essentielle à la vie de famille » est bien une condition de recevabilité selon le code. Sa mère, retraitée, est repartie en Tunisie et ne peut donc s’en charger. Et puis, les amis, « on ne peut pas compter dessus, parce qu’ils ont leur vie aussi ».

Mais la juge s’étonne tout de même qu’avec de tels niveaux de ressources et d’invalidité, le couple n’ait pas droit, en plus de l’allocation adulte handicapé (AAH), à une aide à domicile : si tel était le cas, l’argument de Mohammed ne pèserait naturellement plus grand-chose. Pour la sortie, il évoque un petit boulot de livreur de journaux, à l’aube (« je suis sûr que je n’aurais aucun mal à retravailler pour eux »). La procureure, qui n’a pas de question, requiert : « je ne vois pas de comportement inadapté, mais je note que sa fin de peine est encore lointaine : ça me paraît donc prématuré. Rien n’est clair, rien n’est précis, les faits ne sont pas reconnus, et le projet que nous propose Monsieur est un peu nébuleux. Trouver un petit boulot à temps partiel, à mon avis, c’est une mauvaise idée. La demande est donc insuffisamment fondée ». La parole est à Mohammed : « J’ai quand même reconnu ma négligence d’avoir suivi des personnes sans me renseigner plus sur les raisons de ma venue. J’ai eu un passé de délinquant autrefois, mais j’ai mûri. Concernant ma réinsertion, mon projet personnel, vous me conseillez quoi ? Si je prends un emploi à plein temps, je n’en aurai pas assez pour m’occuper de ma compagne… ». La procureure : « je pense qu’il faut que vous vous réadressiez à votre conseillère », ce qui est un judicieux conseil, pour peu que ce soit plus productif que pour constituer le dossier d’aujourd’hui. Lorsque Mohammed sort, la JAP se dit « très interloquée » par le manque de rigueur des dossiers et de l’accompagnement. La procureure ajoute : « on aurait vraiment dû lui proposer un désistement… ».

[Décision rendue : rejet de la demande d’aménagement]

« Vous vous rendez compte que vous êtes allé en prison pour 200 € par mois ? »

Parfois, le projet de sortie ne pose à l’inverse aucun souci, puisqu’il est tout simplement le même qu’à l’entrée. Comme pour Florian, grande bringue surmontée d’un regard abattu. Il a été incarcéré l’été dernier, à la suite de deux condamnations successives pour transport, offre, cession (etc.) de stupéfiants : il se trouvait donc en récidive légale pour la seconde série de faits. Au total, il écopé de quatorze mois ferme, auxquels s’ajoutent une révocation partielle de sursis, ce qui le rend théoriquement libérable à temps pour la prochaine fête de la musique. Il a demandé un PSE, une semi-liberté ou, à défaut, ces deux mêmes mesures, mais probatoires. La JAP entend se concentrer sur la consommation de stupéfiants : « il y a un an, je fumais dix joints par jour. À cause des proches, des copains, des soirées… Aujourd’hui, je ne fume même plus de cigarettes ». Sur la détention, « je me sens isolé et abandonné, mais ça se passe bien avec les autres détenus ». Florian avait un emploi, mais s’est lancé dans le trafic « pour dépanner des amis et financer [sa] consommation ». Son projet consiste à « reprendre [son] emploi d’ouvrier-paysagiste, et prendre un petit appartement ».

Le CPIP précise même que son employeur « attend son retour avec impatience », mais la procureure cherche la petite bête : « vous dites que vous dépanniez des amis, mais vous avez deux faits, vous deviez bien en tirer un peu d’argent ? ». Autour de 200 € par mois. « Vous êtes allé en prison pour 200 € par mois ! Vous allez reprendre le même travail, vous allez donc avoir le même salaire, et les mêmes copains, pourquoi ne pas recommencer ? ». Florian ne sait pas trop quoi répondre, alors le ministère public le fait à sa place : « parce que la prison vous a fait un choc et que vous n’avez pas envie d’y retourner ».

Florian acquiesce et tout dans son comportement montre effectivement que, dans ce dossier au moins, le fameux « choc carcéral » a fonctionné. L’avis du CPIP est favorable pour un PSE. Celui de l’administration aussi, même si elle penche plutôt pour un bracelet probatoire à une libération conditionnelle. La procureure se laisse convaincre : « pas de compte rendu d’incident, il a fait une formation et visiblement il est soutenu par sa famille, même s’il a peu de visites et de mandats. C’est une première incarcération, pour quelqu’un qui est inséré socialement, et je pense qu’il n’aura plus envie de s’y frotter. En tout cas je le souhaite, d’autant qu’il a toujours un sursis avec mise à l’épreuve (SME) au-dessus de la tête ». L’avocat n’a plus grand-chose à plaider, pour une fois que le ministère public le fait lui-même.

[Décision rendue : octroi du bracelet électronique probatoire]

« La dernière fois, j’étais déjà persuadé d’arrêter, et j’ai fait une rechute »

Zakaria a une voix caverneuse et un visage buriné par des décennies d’excès. Son avocat soulignera pourtant plus tard à quel point la détention l’a transformé : « il a retrouvé un teint à peu près normal et, maintenant, on peut tenir une discussion avec lui ». Il est incarcéré pour trois peines distinctes : des violences (avec deux circonstances), un lot d’infractions routières (conduite malgré annulation du permis, état d’ivresse manifeste, etc.) et de nouveau des violences (sur agent chargé d’un service public de transport). Son alcoolisme est donc de toute évidence problématique même lorsqu’il ne prend pas le volant, d’autant qu’il est aussi le fil rouge de la vingtaine d’autres mentions que porte son casier et qu’une précédente mesure de semi-liberté a tourné court à cause d’un retour en état d’ébriété. Cette fois, il a écopé de vingt-deux mois ferme, mais par le jeu d’une révocation de sursis, il devrait en faire pas loin de vingt-sept, hors éventuelles réductions de peine supplémentaire (RPS). La JAP relève au passage qu’il a eu droit à presque toutes les peines et modalités d’exécution existantes (SME, sursis-TIG, etc.).

Il y a plusieurs semaines, il a formulé une demande de PSE, qu’il abandonne, et une autre de semi-liberté, qu’il maintient : « je bois trop depuis vingt-six ans, si je retourne dans l’alcool, c’est la mort qui m’attend ». Juste avant son incarcération, devenu SDF, il commençait d’ailleurs à avoir de sérieux problèmes digestifs. Il a eu une autorisation de sortie pour divorcer : « devant le juge aux affaires familiales, je pensais que mon épouse serait d’accord pour qu’on se remette ensemble, mais elle m’a dit négatif ». Il affirme que tout s’est passé « à l’amiable », mais la juge en doute un peu. D’une part, parce que sa compagne est la victime des violences (d’où l’une des deux circonstances) les plus lourdement sanctionnées : quatorze mois à elles seules. D’autre part, parce que les rapports indiquent au contraire que rien ne s’est bien passé.

En rentrant du tribunal de grande instance ce soir-là, il aurait confié à un surveillant : « je n’ai jamais touché aux armes, mais si je reviens en prison, ce sera pour longtemps ». Et ce n’était pas le premier incident en détention : il a bousculé un autre surveillant dès le premier jour, au quartier arrivant. Lui explique qu’il avait passé une nuit quasiment blanche, dans une « doublette », et surtout sans son traitement. Le matin, la porte s’est ouverte, il voulait simplement un peu d’espace et d’air frais, mais il s’est un peu trop précipité : d’où cette bousculade, qui lui a valu quatorze jours de quartier disciplinaire avec sursis. Il veut tout raconter en détail, mais son avocat, qui ne porte d’ailleurs pas la robe, lui met la main sur le bras pour l’interrompre. La JAP note qu’il veut faire du transport de personnes à mobilité réduite, mais… Zakaria n’a pas le permis : « vous me demandez un aménagement pour une promesse d’embauche qui implique un permis. Si je vous l’accorde, que vous ratez votre permis et que la promesse tombe, c’est quand même un peu compliqué ». Du tac au tac, elle se voit répondre : « ça n’a rien de compliqué, je connais bien le code de la route, je sais conduire ». Avec une aussi belle collection d’infractions routières, il fallait oser, semblent penser en chœur les magistrates. La procureure, qui bouillonnait depuis quelques minutes, met justement les pieds dans le plat en requérant : « j’ai l’impression qu’il ne réalise pas tellement sa situation. On a plus de vingt condamnations, tous les aménagements ont été des échecs, et surtout on a une vraie problématique alcoolique. Malgré cela, Monsieur s’imagine qu’il va sortir, passer son permis et devenir conducteur, en plus pour des personnes vulnérables ! Il faut un accompagnement beaucoup plus strict, un placement extérieur, en foyer, avec une cure, quelque chose de cadrant parce que la situation est grave. Je m’oppose à la demande ».

Avant de se lancer dans sa plaidoirie, l’avocat marque un temps d’arrêt, sans doute un peu long pour ne relever que la captatio benevolentiæ : il fait manifestement en vitesse quelques ajustements. Puis se lance : « il a été extrêmement déterminé, il a les alcooliques anonymes, les narcotiques anonymes, un psychologue, un psychiatre et un traitement médical, on ne peut pas faire mieux, il coche toutes les cases susceptibles de vous rassurer. Son employeur est très cadrant et va bien le prendre en charge : c’est un très vieil ami de son frère aîné, et il lui a bien fait comprendre qu’il n’aurait droit à aucune erreur. La conscience de mon client s’éclaire à mesure que les jours passent ». Moins sûr de lui, il ajoute au sujet d’une éventuelle cure, « pourquoi pas, je n’en sais rien ». La JAP traduit : « j’entends que vous suggérez l’ajournement… ». « Si c’est utile, Madame la Juge », confirme à demi-mot l’avocat. Zakaria tient justement à en ajouter un : « j’ai eu du temps pour réfléchir, et je sais où l’alcool va me ramener. Quand je suis sorti en 2016, j’étais déjà persuadé d’arrêter, et puis j’ai fait une rechute, mais… ». L’avocat attrape fermement le bras de son client, tandis que la JAP lève précipitamment l’audience, interrompant du même coup le cliquetis du clavier de sa greffière. Décontenancé par le soudain silence et la mine de son avocat, Zakaria met quelques instants à réaliser ce qu’il vient de dire. En se levant, il se mord les lèvres (les doigts aussi, sans doute) dans un sourire forcé.

[Décision rendue : rejet de la demande d’aménagement]

« Je suis nerveux, mais pas impulsif »

Kévin est écroué pour quatre peines distinctes : des stups, quatre mois pour violences sur conjoint, trois de plus pour menaces réitérées de crimes contre les personnes et enfin deux de révocation de sursis. Il avait formulé plusieurs demandes, mais ne garde finalement que la semi-liberté. La JAP commence par les violences : « Vous étiez alcoolisé ce jour-là… pourquoi ? ». Kévin remonte visiblement loin dans sa mémoire pour répondre : « ma mère était alcoolique, je suis tombé dedans depuis très longtemps ».

La juge passe rapidement à ce qu’elle appelle dans un premier temps les « menaces de mort », et qui s’avèrent en fait être des menaces de viol : « juste des paroles, il n’y a jamais eu de faits derrière », croit-il utile de préciser, « la concierge de la résidence a fait enlever ma moto, ça m’a coûté beaucoup d’argent ». Lorsqu’on lui demande s’il est du genre impulsif, Kévin objecte qu’il est juste nerveux. Personne ne saisit trop la nuance. À la réflexion, lui non plus, d’ailleurs. En détention, il travaille dans l’atelier de conditionnement et suit toutes sortes d’activités, dont du hip hop et de la sophrologie. Il a eu six visites, toutes de sa compagne, et demande une semi-liberté pour reprendre sa place de chauffeur-livreur, et faire connaissance avec son enfant, âgé de six mois au moment de son incarcération. Selon lui, aucun risque de récidive pour les violences, puisque « c’était l’alcool, et l’alcool, c’est stop ».

Mais la juge n’est pas convaincue, dans la mesure où « l’alcool, ça désinhibe, mais ça ne change pas la personnalité ». La procureure enfonce le clou : « vous êtes allé en prison entre autres pour avoir frappé votre compagne, vous ne pourriez pas lui en vouloir ? ». Il rétorque : « vu tout ce qu’elle a fait pour moi, je ferai tout pour elle ». Ce que les magistrates craignent, c’est l’installation d’un cycle : en cas d’emprise, il est courant que des phases de réconciliation (on parle même parfois de « lune de miel ») alternent avec les violences et ne fassent que renforcer ces dernières lorsqu’elles reviennent. L’avocat comprend l’idée qui chemine, et intervient : « elle a vu son compagnon dans un état qu’elle ne lui connaissait pas et elle a porté plainte immédiatement, il n’y a jamais eu aucun antécédent ».

Réquisitions : « Monsieur fait preuve d’une grande assurance vis-à-vis de la problématique alcoolique, c’est bien, mais l’assurance seule ne suffit pas. Ce qui me faisait me questionner, c’est que la date de fin de peine est encore lointaine, mais je suis favorable à une semi-liberté, pour un retour progressif au foyer ». L’avocat commence sa plaidoirie par « je vais être rapide… », et (pour une fois) c’est le cas : « quel plaisir d’être du même avis que le ministère public ! À l’audience, sa compagne victime est venue le soutenir, ce qui arrive parfois pour toutes sortes de mauvaises raisons, mais elle a bien précisé qu’elle avait porté plainte dès la première fois. Il est conscient qu’il a un casier chargé, et qu’il avait jusqu’ici eu la chance de passer un peu entre les gouttes. Le ministère public a raison, n’allons pas au-delà de la semi : le bracelet, c’est trop tôt, là au moins on sait s’il titube ou s’il a les yeux rouges à l’entrée du quartier… ».

[Décision rendue : octroi de la mesure de semi-liberté]

« Si je me retrouve seul chez moi, je prendrai peut-être un verre… »

L’avocate de Christian a adressé à la juge une lettre de désistement et n’a donc pas fait le déplacement à la maison d’arrêt. Mais Christian est bel et bien là, et entend maintenir sa demande de PSE. Condamné à six mois ferme pour récidive de conduite en état alcoolique et refus de restituer son permis (pour solde de points nul), il est écroué en même temps pour les mêmes faits, commis et jugés antérieurement (quatre mois ferme), qui constituent donc le premier terme de la récidive. Sans compter d’autres mentions au casier, toujours plus ou moins pour la même chose.

D’emblée, la JAP tente de le dissuader de présenter sa demande seul : « je ne sais pas si certains avocats présents aujourd’hui accepteraient votre dossier, sinon ce sera un renvoi ». Mais Christian monologue encore et elle doit se rendre à l’évidence : « alors allons-y, on examine le dossier aujourd’hui, sans avocat ». La procureure intervient aussi : « je note que vous n’avez pas de projet professionnel, peut-être que… ». Peine perdue, Christian continue, imperturbable. Marié, deux enfants, un DEUG en poche, il a dirigé une entreprise de sécurité, qui a périclité en 2014, puis s’est lancé comme agent immobilier indépendant. En détention, il a formulé une demande de travail (mais sans classement à ce jour), ainsi que pour des cours d’anglais et d’histoire. Il est aussi suivi par ce qu’il considère comme des « groupes de parole » et en a tiré que « l’alcool est juste un passe-temps : quand je n’ai rien à faire, je prends de la bière, la dernière fois c’était pendant la coupe du monde ». À sa sortie de détention, il aimerait « aider les autres à ne pas tomber dedans, j’en ai même fait un livre puisque, gloire à Dieu, je n’ai pas eu d’accident et je n’ai pas tué ». Il voudrait en profiter pour relancer sa société de sécurité, ce qui semble hautement improbable avec un casier comportant désormais deux condamnations fermes. Visiblement, personne ne l’en a dissuadé. Ou alors, il n’a pas voulu entendre.

La JAP est perplexe quant à la réalité même du projet : « avez-vous entamé des démarches ? ». Christian est agacé : « comment voulez-vous que j’entame des démarches, puisque je suis ici ? ». « Mais il me faut des éléments sur votre projet, parce que si vous sortez demain, je ne sais pas ce que vous allez faire, je n’ai pas d’horaires, rien ! », enchaîne la juge. Le CPIP est défavorable, comme l’administration pénitentiaire, et la procureure passe aux réquisitions : « ce qui me pose problème, c’est son discours, Monsieur n’a pas besoin de soins, et à la sortie il veut aider les autres. Pour le projet, ce n’est pas la bonne démarche de se lancer à son compte : cherchez un travail salarié, sinon vous allez être inoccupé, et vous allez boire ». Faute de mieux, Christian plaide pour lui-même : « un projet non abouti, en étant incarcéré, je ne vois pas ce que je peux avoir de plus. Et je n’ai jamais dit que l’alcool était derrière moi : si je me retrouve tout seul chez moi, je prendrai peut-être un verre, mais au moins j’ai pris conscience de mon problème ». Avec ou sans avocat, pas vraiment la chose à dire.

[Décision rendue : rejet de la demande d’aménagement]

« C’est la troisième formation que je rate, ça va encore être la même chose »

De même que Florian tout à l’heure, Alexandre est inséré socialement, mais tombé pour stups. Comparution immédiate, mandat de dépôt, il a été écroué il y a neuf mois, pour des faits de détention de stupéfiants et d’association de malfaiteurs en récidive. Il est théoriquement libérable (hors RPS) dans neuf mois de plus. Il a déjà présenté une demande d’aménagement pour pourvoir un emploi mais l’employeur n’a pu maintenir son offre jusqu’au débat contradictoire. D’où le renvoi à aujourd’hui, pour le laisser se retourner. Il a formulé deux demandes : une libération conditionnelle à titre principal et un PSE probatoire à titre subsidiaire. Mais ce matin, il change son fusil d’épaule et demande à la place une semi-liberté. La JAP commence par examiner le comportement en détention : « le mois dernier, vous avez eu deux ordonnances de permission de sortir, d’abord pour aller voir votre grand-mère hospitalisée, puis pour vous rendre à ses obsèques. Aucun incident ».

Elle passe au cannabis, sous l’angle de la consommation, même si Alexandre, qui faisait la « nourrice », n’a pas été interpellé avec une barrette, mais avec deux kilos de résine. « J’ai commencé à fumer à cause d’une maladie, douloureuse et handicapante », explique-t-il, « et puis j’ai compris que c’était justement le cannabis qui était mauvais pour cette maladie. Je me suis fait opérer cinq fois, et à chaque fois je repartais dedans, du coup, je n’avais pas envie de travailler ». Le SPIP note qu’il est « remarquablement investi » et « prépare activement sa sortie ». Il a même rendez-vous pour une entrée en formation, laquelle pourrait déboucher sur « une embauche quasi certaine et immédiate ». Le conseiller précise qu’il ne peut pas attendre les trois mois nécessaires à l’examen déjà programmé en commission d’aménagement des peines (CAP) d’une libération sous contrainte (aux deux tiers de la peine). Alexandre a déjà eu un bracelet lors d’une précédente incarcération, sans le moindre incident, et le CPIP note (ce que confirme le décorticage du casier et de ses quatorze mentions pour stups) que les faits s’espacent dans le temps, ce qui est un signe de « désistance ». La procureure n’est tout de même pas très emballée : « je comprends bien la situation et sa volonté de réinsertion, mais l’audience me paraît prématurée, puisqu’on n’a pas encore eu d’entretien préalable à l’entrée en formation. Le projet me semble encore incertain et je ne peux que m’opposer à la demande ».

L’avocat est manifestement déçu : « moi, ce qui m’inquiète, c’est qu’il y a déjà eu un ajournement et qu’il faut absolument qu’on l’encourage, pour éviter que sa motivation disparaisse. Je pense qu’une semi-liberté peut lui convenir, comme n’importe quelle autre mesure transitoire vers l’extérieur ». La procureure reprend la parole et souligne que le CPIP a demandé une permission de sortir, pour se rendre au fameux entretien. L’avocat s’en rapporte et entérine donc n’importe quelle solution. Mais Alexandre, qui a suivi avec attention, monte au créneau : « l’autre fois, on m’a trouvé un truc, au dernier moment, mais ici, il faut compter quinze jours pour avoir une permission. Si je reste incarcéré, je n’aurai pas le temps d’aller à l’entretien. C’est la troisième formation que je rate comme ça… ». Un dernier mot qui fait mouche, pour une fois.

[Décision rendue : octroi de la mesure de semi-liberté]

« Dire qu’il minimise les faits serait un euphémisme »

Fatih a une quarantaine d’années bien tassée, des cheveux épars et gominés surmontant un front dégarni. Il est accompagné d’une interprète franco-turque et d’une jeune avocate aux lunettes rondes, qui substitue un confrère empêché. Condamné pour séquestration (avec libération volontaire avant le septième jour, faute de quoi il se serait agi d’un crime), mais aussi menaces réitérées sur conjoint et de violences volontaires (avec ITT de plus de huit jours), il a écopé de quatorze mois ferme. Il sollicite un bracelet électronique et la JAP commence par faire le point sur les faits, en commençant par « c’est un peu particulier, je le précise », ce qui, d’emblée, n’augure rien de bon : « vous avez été marié, puis séparé pendant dix ans pour aller vivre avec une autre compagne, qui se trouve être la victime. Qu’est-ce que vous pouvez me dire sur ces faits ? ». L’interprète traduit la question, puis la réponse : « ça a commencé parce que cette personne, avec qui j’ai un enfant, m’a trompé. J’étais énervé et j’ai été un peu violent avec elle, c’est regrettable ». Il reconnaît un coup de poing, mais pas la séquestration, au prétexte que « c’est elle qui m’a dit de venir chez elle le soir ».

Selon l’enquête, des voisines se sont inquiétées de voir l’appartement fermé pendant deux jours et de savoir que les enfants n’étaient pas allés à l’école. Alors, elles ont sonné, et la victime a ouvert, le visage tuméfié. Fatih, dont la version diverge notamment sur la durée (il condense les événements en une seule nuit) reconnaît que, quand sa compagne lui a dit qu’elle devait déposer ses enfants chez son ex-mari, il a vu rouge. « Monsieur, vous avez un enfant avec la victime : quelles relations voulez-vous avoir avec votre fils et sa mère à votre sortie ? » Il s’embarque dans une réponse interminable, qu’il ponctue en français (« j’ai terminé ») en croisant les bras d’un air satisfait. La juge note qu’il parle un peu français (« ça dépend je parle de quoi, tu vois »), avant que l’interprète ne se lance dans la traduction du reste de la logorrhée. Curieusement, elle n’en a que pour une poignée de secondes, ce qui donne au débat un petit côté « Lost in Translation » : Fatih veut refaire sa vie avec sa première (et seule) femme, qui est venue le voir plusieurs fois en détention. Classique, semble se dire la JAP, mais c’est justement sa seconde vie qui lui pose problème : « un SME prendra le relais, avec une interdiction de contact avec la victime, des dispositions ont-elles été prises avec un juge aux affaires familiales pour l’enfant que vous avez avec elle ? »

L’avocate intervient : « il a entamé des démarches. Il m’a même remis ce fascicule ». Elle dégaine le dépliant d’une association, mais la procureure rectifie : « donc il n’y a rien d’entamé du tout ». Sur la question des dommages-intérêts, il répond de nouveau lui-même en VF que « 30 € par mois, ici c’est pas facile, mais dès que je sors et que je travaille, je pourrai faire 50 ou 100 € ». D’autant que son employeur a simplement suspendu son CDI. Comme pour toute demande de bracelet (ou de semi-liberté, d’ailleurs), la juge s’enquiert des horaires de travail : de 6 heures à 22 heures, plus un samedi sur deux. La proc’ s’étrangle : « ben dis donc, ils respectent vachement le code du travail ! ». En fait, il est tantôt du matin, tantôt de l’après-midi (« ça dépend du travail, tu vois »). Le SPIP est défavorable au PSE, auquel il préférerait une semi-liberté, pour un retour en famille plus progressif. L’avocate sursaute et tend un courrier : « il y a quatre jours, son CPIP lui a envoyé un courrier pour lui dire qu’il n’était pas opposé au bracelet… ». La juge la coupe, pour préciser que « le conseiller peut avoir un avis personnel, mais il faut encore qu’il soit confirmé par le directeur ». L’avocate rebondit : « dans ce cas, Monsieur sollicite un bracelet électronique à titre principal, et une semi-liberté à titre subsidiaire ».

Réquisitions : « la détention s’est bien passée, il a travaillé, il est suivi, et les versements ont été initiés. Mais ce qui me pose un gros problème, c’est sa présentation des faits : dire qu’il les minimise serait un euphémisme. Il explique qu’il s’est montré violent avec une maîtresse parce qu’elle l’a trompé… mais c’est sa maîtresse ! ». Vu son ton, on attendrait presque dans la foulée une ponctuation de cour de récré, quelque chose du genre « non mais allô, quoi ?! ». Mais elle poursuit, soulignant que « rien n’a été mis en place et ce n’est pas la présentation d’un prospectus qui va nous convaincre du contraire. La situation reste très problématique, l’hébergement chez sa femme semble complètement opportuniste après une rupture de dix ans ». L’avocate est hors d’elle (ou fait bien semblant) : « c’est insultant pour sa femme, c’est insupportable à entendre. Elle a choisi d’être là pour lui, on n’est pas là pour juger leur relation de couple. Il fait ce qu’il peut avec le français qu’il a acquis ici, en maison d’arrêt, il a conscience d’un problème de violence, n’a eu aucun incident en détention. Est-ce qu’une sortie sèche, c’est vraiment quelque chose qui va rassurer la justice ? Et pour les modalités de garde du dernier enfant, il ne peut rien faire de plus que ce prospectus… un avocat spécialisé en affaires familiales ne viendra pas le voir ici ».

[Décision prise : octroi de la mesure de semi-liberté]

« Le principe d’une mesure probatoire, c’est qu’il faut des preuves »

Comme en milieu ouvert, les condamnés ont tendance à mettre leurs obligations à leur sauce. Le cas de Mohammed, une trentaine d’années, mi-enrobé, mi-baraqué, en est une excellente illustration. Il a été incarcéré il y a un peu plus d’un an, pour plusieurs peines portées successivement à l’écrou. La JAP passe rapidement : « je ne vais pas toutes les reprendre… vol, conduite sans permis, port d’armes, re-conduite sans permis… c’est assez diversifié ». L’été dernier, il a bénéficié d’un aménagement de peine et a rejoint le quartier de semi-liberté (QSL) du centre pénitentiaire. Condamné de nouveau dans la foulée (mais pour des faits plus anciens), il a obtenu une extension de cette mesure à la « nouvelle » peine.

Chaque jour, en sortant de détention, il était censé se rendre dans une association, mais le CPIP a découvert un peu par hasard qu’il avait été absent à huit reprises. Convoqué pour un « rappel des obligations », il a même imprudemment remis cela le lendemain matin. Mohammed s’explique : « je me suis inscrit dans une auto-école, pour passer mon permis : une formule intensive, quasiment tous les jours. J’ai mis un peu de temps à donner les documents à l’association, c’est vrai, mais ils m’ont juste dit d’essayer de venir quand même de temps en temps ». Peu probable. « Vous aviez l’autorisation de sortir à 7 heures du matin, mais vos cours de code ne commençaient qu’à 9 heures. Que faisiez-vous le matin avant l’auto-école ? » Mohammed tente une défense très start-up nation : « je suis allé sur le terrain, déposer des CV, tout ça. Quand je suis concentré sur quelque chose, je me donne à fond, je cours à droite à gauche et la journée passe vite. Le permis, j’en ai besoin pour trouver du travail, et comme j’ai aussi eu des affaires de conduite sans permis… »

Pas convaincue, la JAP poursuit : « Pourquoi le passer en accéléré, puisque la date de sortie n’est pas pour tout de suite ? Il y a beaucoup de semi-libres qui demandent des extensions pour prendre un cours de code ou de conduite le soir, après leurs dispositifs ». Pas de réponse. Après un tonitruant « taratata ! », la procureure insiste sur le fait qu’il a aussi été absent le lendemain du rappel des obligations, au lieu de faire profil bas. Sans se démonter, Mohammed répond : « mais c’était pour passer le permis ! ». Effectivement, il produit une attestation de l’auto-école : il avait bien une date de passage imminente pour la conduite, examen auquel il n’a finalement pas pu se rendre… en raison de la suspension de la mesure par la JAP. « J’ai mal réfléchi et je m’en excuse. Je me suis trompé de priorité ». La procureure cingle : « vous ne vous êtes pas trompé de priorité, vous vous êtes trompé d’obligation ». Il essaie alors de nouveau de convaincre de l’utilité de sa démarche : « je suis employé commercial, et pour tout ce qu’on me propose, il faut le permis ».

Oui mais voilà : « on n’a aucune proposition d’emploi dans le dossier », objecte la procureure, en faisant mine de farfouiller parmi ses pochettes cartonnées. « Je n’y ai pas pensé, je n’ai pas préparé ma défense par rapport à ça. Je n’ai rien en papier, c’est du bouche-à-oreille pour l’instant », tente Mohammed, qui se voit répondre illico : « c’est bien dommage, car le principe d’une mesure probatoire, c’est justement qu’il faut des preuves ». Arrivent les réquisitions : « je ne crois pas à ces explications, il a dix-huit mentions au casier, il sait comment fonctionne le SPIP. On a été particulièrement bienveillant, on lui a fait confiance. L’association, ce n’est pas le Club Med ». Elle poursuit en s’adressant directement à lui : « vous êtes multirécidiviste, la société vous trouve une place, ce qui coûte cher à tout le monde, et vous vous asseyez dessus. Vous avez discrédité, non seulement vous-même, mais aussi tous ceux qui pourraient bénéficier de cette mesure. Pas d’autre solution que de la retirer ». L’avocat invoque « le cas classique de celui qui veut trop en faire » et insiste sur le fait que pour obtenir une date de passage, il a nécessairement fait au moins vingt heures de conduite (sans compter le code). Puis ajoute : « il a bien fait une activité pour se réinsérer et, du fait de la suspension, il n’a pas pu passer son examen, qu’il doit donc repayer, ce qui est un gros investissement pour lui. Il ne faut pas qu’il perde le bénéfice de sa formation à la conduite ! ».

[Décision rendue : révocation de la mesure d’aménagement]

 

Avant d’aller s’enfoncer dans le brouillard, qui ne s’est jamais vraiment levé, la JAP philosophe sur ces cinq heures, qui ont souvent confiné au dialogue de sourds : « même en cas de rejet, beaucoup sont quand même contents de pouvoir faire un point de temps en temps sur ce qu’on attend d’eux », tente-t-elle de se convaincre.