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Amiante : présomption de causalité conditionnée à la prise en charge de la maladie

Lorsque la victime n’est pas prise en charge au titre d’une maladie professionnelle occasionnée par l’amiante, la présomption de l’existence d’un lien de causalité entre l’exposition à l’amiante et le cancer dont elle souffre ne peut résulter de l’existence d’un lien direct et certain entre la présence de plaques pleurales et son exposition.

par Anaïs Hacenele 12 janvier 2018

Par cet arrêt de rejet du décembre 2017, la deuxième chambre civile refuse d’étendre la présomption d’imputabilité du préjudice à l’amiante à la victime non prise en charge au titre d’une maladie professionnelle.

En l’espèce, par le contact avec les vêtements de travail de son époux lui-même atteint d’une pathologie liée à l’exposition à l’amiante, une femme présenta des plaques pleurales péricardiques puis déclara une maladie tumorale thoracique.

Pour être indemnisée de ses divers préjudices, elle saisit le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA). La victime n’étant pas prise en charge lau titre de la législation professionnelle, le Fonds demanda l’avis de la commission d’examen des circonstances d’exposition à l’amiante (CECEA) sur la situation, laquelle ne  retint pas le diagnostic de cancer broncho-pulmonaire primitif. Tenant compte de cet avis, le FIVA fit une offre d’indemnisation à la victime au titre des seules plaques pleurales.

Rappelons que l’offre formulée par le FIVA peut être refusée par la victime ou ses ayants droit. Dans ce cas, ils ont la possibilité d’agir en justice pour obtenir une indemnisation des préjudices trouvant leur source dans la contamination par l’amiante en vertu de l’article 53-V de la loi du 23 décembre 2000 relative à l’indemnisation des victimes de l’amiante. Cette action doit être intentée devant la cour d’appel dans le ressort de laquelle se trouve le domicile du demandeur qui n’est pas forcément la victime directe (v. Civ. 2e, 4 juill. 2007, n° 06-20.040, Dalloz actualité, 25 juill. 2007, obs. I. Gallmeister isset(node/117795) ? node/117795 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>117795). En l’espèce, c’est ce que fit la victime en contestant cette offre devant la cour d’appel de Paris au motif que la maladie tumorale était, pour elle, due à l’amiante.

Après son décès, ses ayants droit poursuivirent la procédure.

Une cour d’appel les débouta de leur demande faute de preuve de l’existence d’un lien de causalité direct et certain entre la maladie et l’exposition à l’amiante.

Ils se pourvurent en cassation reprochant à l’arrêt ne pas retenir une présomption de causalité entre la maladie et l’amiante alors que, dans le même temps, le lien de causalité entre les plaques pleurales et l’amiante est établi de façon certaine. Les juges du fond auraient inversé la charge de la preuve et violé les articles 53, III, alinéa 4, de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, 15, III, et 17 du décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001.

La deuxième chambre civile était donc amenée à s’interroger sur l’existence d’une présomption d’imputabilité de la maladie à l’exposition à l’amiante par le biais des vêtements de travail de l’époux de la victime.

Elle rejette le pourvoi et refuse d’étendre la présomption d’imputabilité matérielle de la maladie à l’amiante reconnu dans le cadre des maladies professionnelles en vertu de la législation professionnelle.

Précisément, la Cour de cassation décide que « l’existence d’un lien direct et certain entre la présence, chez une victime non prise en charge au titre d’une maladie professionnelle occasionnée par l’amiante, de plaques pleurales et son exposition à l’amiante ne permet pas de présumer l’existence d’un lien de causalité entre cette exposition et le cancer broncho-pulmonaire dont cette victime souffre par ailleurs ».

Les juges du fond n’ont pas inversé la charge de cette preuve puisqu’aucune présomption de causalité n’existe. Elle incombe à la victime ou à ses ayants droit. En l’occurrence, au regard du dossier médical qui lui était soumis, la CECEA a estimé que les pièces fournies ne permettaient pas de démontrer que l’amiante était bien la cause certaine et directe de la pathologie tumorale. Seules les plaques résultaient, avec certitude, de l’exposition à l’amiante. Par conséquent, les juges d’appel ont décidé qu’à défaut de pièce nouvelle permettant la remise en cause de cet avis, la preuve lien de causalité entre l’affection et l’exposition de la victime à l’amiante n’était pas établie.

Les ayants droit, sauf à rapporter la preuve d’un lien de cause à effet certain et direct entre la maladie et l’exposition à l’amiante, ne peuvent obtenir réparation que des seuls préjudices résultant des plaques pleurales.

En principe, lorsqu’une maladie professionnelle liée à l’exposition à l’amiante est prise en charge au titre de la législation professionnelle, le juge reconnaît une présomption simple de causalité entre l’exposition à l’amiante et la maladie ou le décès de la victime. La deuxième chambre civile a reconnu à ce propos qu’« il résulte des articles 53, III, alinéa 4, deuxième phrase, de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 et 7, 15 et 17 du décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001 que la reconnaissance d’une maladie professionnelle occasionnée par l’amiante au titre de la législation française de sécurité sociale ou d’un régime assimilé ou de la législation applicable aux pensions civiles et militaires, établit par présomption simple, susceptible de preuve contraire par tous moyens légalement admissibles, le lien de causalité entre l’exposition à l’amiante et la maladie ou le décès » (Civ. 2e, 18 mars 2010, n° 09-65.237, Bull. civ. II, n° 118 ; Dalloz actualité, 6 avr. 2010, obs. I. Gallmeister isset(node/135249) ? node/135249 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>135249).

En revanche, si, comme en l’espèce, la victime n’est pas prise en charge par cette législation et que sa pathologie n’a pas le caractère d’une maladie professionnelle, la présomption de causalité n’existe pas. C’est alors à elle ou à ses ayants droit de démontrer le lien de causalité direct et certain entre l’amiante et la maladie.

Il semble que la Cour de cassation opère une distinction selon la qualité de la victime de l’amiante et selon qu’il s’agit d’une victime prise en charge par la législation professionnelle au titre d’une maladie professionnelle ou non.

En l’espèce, l’époux de la victime était atteint d’une pathologie survenue à la suite d’une exposition à l’amiante au cours de son activité professionnelle, ce qui n’est pas le cas de son épouse. La présomption de causalité entre l’exposition à l’amiante et la maladie aurait été applicable à l’égard de l’un mais ne l’est pas à l’égard de l’autre.

L’épouse victime reste soumise aux règles classiques du droit à réparation qui imposent la preuve d’un lien de causalité direct et certain entre le dommage dont elle souffre et le fait dommageable auquel elle l’estime imputable. Si cette preuve n’est pas faite, le droit à réparation n’est pas mis en œuvre.

Finalement, l’arrêt du 14 décembre est l’occasion de rappeler que l’admission de présomptions de causalité reste exceptionnelle. L’exigence de la preuve d’un lien de causalité entre le dommage et le fait dommageable est, à hauteur de principe, requise quel que soit le régime de réparation sur lequel se fonde la victime – qu’il s’agisse d’un régime de responsabilité ou d’un régime d’indemnisation – et quelle que soit la qualité du défendeur contre lequel elle agit – qu’il s’agisse d’un responsable ou d’un fonds d’indemnisation ou de garantie. Comme le disait le doyen Carbonnier, la causalité est une « constante » de la responsabilité (in Les obligations, 22e éd., PUF, 2000, § 205, p. 377) et le lien d’imputation matérielle entre le fait générateur et le dommage une condition invariable du droit à réparation.