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AMP : effets en France d’une double filiation maternelle légalement établie selon la loi étrangère

La filiation étant régie par la loi personnelle de la mère, il convient d’admettre que la filiation maternelle d’un enfant conçu en Espagne par assistance médicale à la procréation, peut être établie à l’égard de l’épouse de la mère, en application de la loi espagnole, par la déclaration faite par les deux femmes auprès des services de l’état civil espagnol. Dès lors, les deux femmes résidant en France avec l’enfant, ont vocation à exercer en commun l’autorité parentale.

La mobilité internationale des personnes, la diversité des législations applicables ainsi que la rapidité de leurs évolutions, soulèvent aujourd’hui des difficultés fréquentes en matière de procréation médicalement assistée (PMA). En l’absence de règles spécifiques de droit international privé pour y répondre, il faut se tourner vers le droit commun. Malgré les critiques qui lui sont adressées, il suffit parfois à offrir des solutions pertinentes.

Deux Espagnoles résidant en France, deux enfants conçus en Espagne

Madame S. et Madame O., toutes deux de nationalité espagnole, se sont mariées en Espagne en 2012. Le mariage entre personnes de même sexe est autorisé par le droit espagnol depuis 2005 (Loi n° 13/2005 du 1er juill. 2005). En 2013, Madame S. a donné naissance à un enfant (V.), qui a été adopté en 2014 par Madame O. Dès cette époque, les deux femmes résident probablement en France puisque l’adoption a été prononcée par le Tribunal de Béziers. Il n’est pas certain qu’elle ait été prononcée en application de la loi espagnole (pourtant loi nationale de l’adoptant ; C. civ., art. 370-2-1), qui n’admettait initialement que cette voie pour établir la filiation à l’égard de l’épouse de la mère. En effet, il ne s’agissait pas d’une adoption internationale au sens de l’article 370-2-1 du code civil (enfant résidant en France mais sans déplacement vers l’étranger). Il est probable que les deux femmes ont plutôt profité de l’ouverture du droit français en 2013 au mariage entre personnes de même sexe, et par voie de conséquence à la possibilité dans ce cadre d’une adoption de l’enfant du conjoint, alors même qu’il serait issu d’une assistance médicale à la procréation (AMP) pratiquée à l’étranger (Cass., avis, 22 sept. 2014, n° n° 14-70.007 P et n° 14-70.006 P, D. 2014. 2031 , note A.-M. Leroyer ; ibid. 2015. 21, point de vue H. Fulchiron ; ibid. 649, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 702, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1777, chron. I. Gallmeister ; AJ fam. 2014. 555, obs. F. Chénedé ; ibid. 523, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2015. 144, note S. Bollée ; JCP 2014. 1004, note J. Hauser ; Dr. famille 2014. Comm. 160, note C. Neirinck ; RJPF 2014-11/24, obs. T. Garé).

En janvier 2016, Madame S. a mis au monde des jumeaux (T. et P.), conçus par assistance médicale pratiquée en Espagne, mais qui sont nés en France. En février 2016, les deux femmes ont effectué auprès d’un consulat d’Espagne en France, une déclaration exprimant leur consentement à ce que la filiation de T. et P. soit établie à l’égard de Madame O.

Le mécanisme de déclaration de consentement de l’épouse de la mère

Ce mécanisme a été intégré de façon laborieuse dans le droit espagnol (E. Alba Ferré, La filiacion intenciona en los casos des doble maternidad, Actualidad jurídica iberoamericana, n° 20 bis, juin 2024, p. 42 s.). La loi n° 14/2006 du 26 mai 2006 sur les techniques de reproduction assistée a confirmé l’accès à l’AMP pour toute femme « indépendamment de son état civil et de son orientation sexuelle », mais sans envisager la question particulière de la filiation de l’enfant dans le cadre d’un couple de femmes. C’est une loi ultérieure n° 3/2007 du 15 mars 2007, qui est venue préciser dans ce cas les modalités d’établissement de la filiation en permettant à l’épouse de la mère (la maternité de cette dernière résultant de l’inscription de la naissance à l’état civil, Codigo civ., art. 115 et 120, 5°), et à elle seule (rien n’était prévu pour les couples de femmes non mariées, mais ce point a été modifié par une loi n° 4/2023 dite « loi trans », art. 44.6 LRC) d’effectuer une déclaration à l’état civil pour exprimer son consentement à ce que la filiation de l’enfant soit établie en sa faveur.

Toutefois, le texte laissait entendre que cette déclaration devait intervenir avant la naissance de l’enfant, pour ne prendre effet qu’au moment de la naissance. Il a fallu attendre une loi n° 19/2015, du 13 juillet 2015, relative aux mesures de réforme administrative dans le domaine de l’administration de la justice et de l’état civil, pour voir disparaître toute référence à la naissance et voir ainsi élargi le champ temporel de la déclaration de consentement de la part de l’épouse de la mère.

Cela n’a pas évincé toute discussion, autour des conditions de cette déclaration au regard des règles de l’état civil (lieu de la déclaration ; séparation de fait des épouses ; éventuel refus de la femme ayant accouché), et cela explique le soin pris par la Cour de cassation, dans son arrêt du 20 novembre 2024, de renvoyer à la validation attestée du consulat d’Espagne, auquel il incombait de vérifier que les conditions étaient remplies. Spécialement, on a pu se demander si la déclaration était ou non soumise à un délai et lequel. On note en l’espèce la relative proximité dans laquelle est intervenue la déclaration par rapport à la naissance (1 mois).

Le système est donc proche d’une reconnaissance, sans en être tout à fait l’équivalent. Il ne s’agit pas non plus d’une présomption comparable à celle dont bénéficie en droit espagnol, le mari qui consent à une AMP avec donneur, ou telle qu’elle existe au profit des couples de femmes dans d’autres systèmes juridiques (Belgique ou Suisse, par ex. ; A. Quinones Escamez, Conjugalité, parenté et parentalité : la famille homosexuelle en droit espagnol comparé, RIDC 2012. 57).

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